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PORTRAIT

DE L'ÉLECTEUR DE BAVIERE.

M. l'électeur m'a paru doux, poli, modeste, et glorieux dans sa modestie. Il étoit embarrassé avec moi, comme un homme qui en craint un autre sur sa réputation d'esprit. Il vouloit néanmoins faire bien pour me contenter; d'ailleurs il me paroissoit n'oser en faire trop, et il regardoit toujours par-dessus mon épaule M. le marquis de Bedmar, qui est, dit-on, dans une cabale opposée à la sienne. Comme ce marquis est un Espagnol naturel, qui a la confiance de la cour de Madrid, l'électeur consultoit toujours ses yeux avant que de me faire les avances qu'il croyoit convenables: M. de Bedmar le pressoit toujours d'augmenter les honnêtetés; tout cela marchoit par ressorts comme des marionnettes. L'électeur me paroît mou et d'un génie médiocre, quoiqu'il ne manque pas d'esprit et qu'il ait beaucoup de qualités aimables. Il est bien prince, c'est-à-dire foible dans sa conduite, et corrompu dans ses mœurs. Il paroît même que son esprit agit peu sur les violents besoins de l'état qu'il est chargé de soutenir; tout y manque; la misere espagnole surpasse toute imagination. Les places frontieres n'ont

ni canons ni affûts; les breches d'Ath ne sont pas encore réparées; tous les remparts sous lesquels on avoit essayé mal-à-propos de creuser des souterrains, en soutenant la terre par des étaies, sont enfoncés, et on ne songe pas même qu'il soit question de les relever. Les soldats sont tout nuds, et mendient sans cesse ; ils n'ont qu'une poignée de ces gueux ; la cavalerie entiere n'a pas un seul cheval. M. l'électeur voit toutes ces choses; il s'en console avec ses maîtresses, il passe les jours à la chasse, il joue de la flûte, il acheté des tableaux, il s'endette, il ruine son pays, et ne fait aucun bien à celui où il est transplanté; il ne paroît pas même songer aux ennemis qui peuvent le surprendre.

J'oubliois de vous dire qu'il me demanda d'abord et dans la suite encore plus de nouvelles de M. le duc de Berri que des autres princes. Je lui dis beaucoup de bien de celui-là; mais je réservai les plus grandes louanges pour M. le duc de Bourgogne, en ajoutant qu'il avoit beaucoup de ressemblance avec madame la dauphine. Dieu veuille que là France ne soit point tentée de se prévaloir de la honteuse et incroyable misére de l'Espagne !

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-A M. L'ÉLECTEUR DE COLOGNE.

MONSEIGNEUR,

Il ne m'appartient nullement de parler des affaires générales, elles sont trop au-dessus de moi, j'en ignore absolument l'état; je me contente de prier Dieu tous les jours pour leur succès sans avoir aucune curiosité sur ce qui se passe. Mais votre altesse sérénissime électorale veut que je prenne la liberté de lui répondre sur la question qu'elle me fait l'honneur de me confier, et je vais lui obéir simplement. Il me semble, monseigneur, que le grand intérêt de votre maison est de conserver ses anciens états au centre de l'empire. La maison d'Autriche peut finir tout-à-coup : alors votre maison se trouvera naturellement à la tête du parti catholique, si elle est rétablie au milieu de l'Allemagne. C'est une espérance assez prochaine, et qui peut mettre toutà-coup votre maison au comble de la grandeur. Voš églises donnent un grand avantage à votre maison pour la mettre à la tête des catholiques: mais si votre maison n'avoit plus ses états au centre de l'empire, on commenceroit à la regarder comme une maison

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LETTRE A M. L'ÉLECT. DE COLOGNE: 643)

devenue étrangere au corps germanique; et les grands: établissements de votre altesse électorale se trouveFoient inutiles pour votre maison. Je ne sais point ce qu'on offre à son altesse électorale de Bavierė en la place de ses anciens états; mais je crains que ce qu'on lui offrira en compensation n'ait plus d'éclat que de solidité et de revenu liquide. J'avoue qu'il doit être naturellement touché d'un titre de roi; mais ne peutil pas l'avoir sans renoncer à ses anciens états? J'avoue que la Baviere, sans le haut Palatinat, est un corps démembré; mais s'il faut souffrir cette perte, je compte encore pour beaucoup la Baviere pour mettre votre maison à la tête du corps germanique quand le parti catholique voudra prévaloir sur le protestant. Il vous est capital, si je ne me trompe, de demeurer dans l'empire pour en devenir le chef. Après ces réflexions proposées au hasard et par pure obéissance, j'ajoute, monseigneur, que vous ne pouvez mieux faire que de confier vos intérêts au roi: il est touché du zele avec lequel vos altesses électorales ont soutenu si noblement leur alliance. Sa majesté aime vos intérêts, elle sait mieux que personne ce qu'elle peut faire. Vous ne voulez ni empêcher ni retarder la paix générale de l'Europe, qui est si nécessaire à toutes les puissances. Ainsi ce qui vous convient est de prendre vos dernieres résolutions

PORTRAIT

DE L'ÉLECTEUR DE BAVIERE.

M. l'électeur m'a paru doux, poli, modeste, et glorieux dans sa modestie. Il étoit embarrassé avec moi, comme un homme qui en craint un autre sur sa réputation d'esprit. Il vouloit néanmoins faire bien pour me contenter; d'ailleurs il me paroissoit n'oser en faire trop, et il regardoit toujours par-dessus mon épaule M. le marquis de Bedmar, qui est, dit-on, dans une cabale opposée à la sienne. Comme ce marquis est un Espagnol naturel, qui a la confiance de la cour de Madrid, l'électeur consultoit toujours ses yeux avant que de me faire les avances qu'il croyoit convenables : M. de Bedmar le pressoit toujours d'augmenter les honnêtetés; tout cela marchoit par ressorts comme des marionnettes. L'électeur me paroît mou et d'un génie médiocre, quoiqu'il ne manque pas d'esprit et qu'il ait beaucoup de qualités aimables. Il est bien prince, c'est-à-dire foible dans sa conduite, et corrompu dans ses mœurs. Il paroît même que son esprit agit peu sur les violents besoins de l'état qu'il est chargé de soutenir; tout y manque; la misere espagnole sur

passe toute imagination. Les places frontieres n'ont

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