Page images
PDF
EPUB

» le temps des noyades de Nantes, des guillotinades de Paris et des » fusillades de Lyon? Il eût été beau sans doute, fort beau de voir » alors un de nos philosophes modernes rappeler à l'ordre des lois » ces hommes qui couvraient de deuil la France, par leurs assas⚫sinats et leurs massacres: mais la terreur avait saisi et consterné » tous autres que les Lyonnais, et l'âme de nos philosophes n'a point » été impassible. Maintenant que l'orage est passé, il en est qui » veulent faire parade de leur fausse philanthropie par des déclama» tions que les circonstances réprouvent. Je ne relèverai point toutes » les fausses applications des mots de bourreaux et d'assassins que » Lacretelle le jeune s'est plu à faire aux malheureux Lyonnais; » je lui observerai seulement que depuis longtemps leur cri solli» citait une vengeance éclatante sur les scélérats qui avaient inondé de sang leur trop malheureuse ville. L'impunité avait augmenté >> l'audace et l'espoir. Les Lyonnais se voyaient chaque jour exposés » à être massacrés par ceux qui avaient déjà égorgé leurs parents » et leurs amis; quelques-uns des plus coupables avaient été mis en jugement, ils avaient été absous; d'autres allaient être également » acquittés. Un déni de justice aussi marqué a excité alors la juste indignation des Lyonnais. Des hommes justes et probes ne pou» vaient respirer le même air que leurs assassins; ils ne pouvaient » vivre plus longtemps sous le même toit que leurs bourreaux. La » vertu ne fit jamais alliance avec le crime. Les trop malheureux Lyonnais se sont donc vus dans l'affreuse alternative, ou de se » faire justice eux-mêmes, ou d'être exposés à devenir les victimes » de ceux qui s'étaient déjà joué de la vie et de la fortune de leurs proches. Que fallait-il donc faire dans cette circonstance difficile ?..... » Si donc, dans leur juste et légitime courroux, les Lyonnais ont pris » la massue d'Hercule pour exterminer des scélérats, que la hâche » du bourreau aurait dû atteindre et immoler depuis longtemps, ils » ont exercé un acte de la plus grande justice. Ils ont noblement vengé l'humanité et la vertu outragées. Ils ont délivré leurs villes » de ces hordes de brigands et de cannibales, qui guettaient le

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

» moment où ils pourraient encore s'abreuver de leur sang et faire

[ocr errors]
[ocr errors]

des restes de leur malheureuse ville un nouveau champ de carnage et d'horreur. Ils ont fait pâlir d'effroi tous les fripons et » tous les scélérats; mais que l'âme du citoyen Lacretelle se rassure, » le sang de l'innocent n'a pas coulé. Il est des circonstances pénibles

» et en même temps impérieuses qui forcent à des devoirs cruels. » Il faut plaindre les Lyonnais dans celle où ils se sont trouvés, et si » leur action pouvait avoir quelque chose de condamnable, ce serait >> sur l'insuffisance de nos lois que tomberait le blâme et non sur les >> braves injustement calomniés par Lacretelle le jeune. »

Un fait arrivé au Théâtre des Célestins, le même jour que cette lettre fut répandue, à plusieurs milliers d'exemplaires, dans la ville de Lyon, témoigne au plus haut degré que les Lyonnais répudiaient la responsabilité des événements du 15 floréal. Ceux-là même qui, dans le fond de leur âme, en blâmaient les auteurs, étaient loin de les traiter de lâches, d'assassins et de septembriseurs; voici le fait. Ce jour là, un billet imprimé fut lancé des premières, sur la scène, au pied d'un acteur. Le public aussitôt s'empressa d'en demander la lecture, ainsi qu'il avait l'habitude de le faire toutes les fois que semblable chose arrivait. C'était des couplets intitulés: La justice du peuple, et mis en musique sur l'air du Réveil du peuple. L'artiste qui se trouvait en scène, désirant se conformer à la loi, invite l'auteur à se présenter. Un inconnu se présente sous des allures communes qui ne pouvaient point être celles d'un poète. Alors l'artiste, se rendant au vœu du public qui persistait à demander la lecture des couplets, chanta d'une voix ferme les vers de cette première strophe:

Quoi ! toujours de crimes en crimes,

Veut-on égarer les Français ?

Verra-t-on toujours des victimes

Souiller jusqu'à nos succès ?

Vous dont les haines implacables

Répandent le sang des humains,

Même en frappant de grands coupables,

Vous n'êtes que des assassins.

Un long murmure de désapprobation accueillit la fin de ce couplet. Plusieurs voix même protestèrent au parterre contre les allusions perfides de l'auteur, disant, que les grands coupables dont il était question étaient seuls les véritables assassins. L'artiste reprit :

Où donc des lois est la puissance?

Et de quel droit punissez-vous?

[graphic][merged small][subsumed][merged small]
[graphic]

Les égorgeurs sont-ils en France
Dignes de tomber sous vos coups?
Pourquoi prévenir leur supplice?
Qui vous établit leurs bourreaux ?
Le meurtre est-il une justice?
Et les prisons des échafauds?

Effacez ces scènes horribles
Des fastes de l'humanité;

Plus que jamais soyez terribles,
Mais toujours avec dignité;

Massacrer l'homme sans défense....

Du crime servir les fureurs !

O Dieu ! quelle atroce vengeance

Que celle des septembriseurs

Le dernier vers de ce couplet, fort mal appliqué du reste, redoubla la rumeur excitée par la première strophe. Quel rapport pouvait-il y avoir entre les victimes de la Conciergerie et les victimes de Roanne, de Saint-Joseph et des Recluses? Il y avait toute la différence qui existe entre des gens de bien et des scélérats souillés par tous les crimes.

Une explosion de sifflets, de huées et des cris A la porte! à la porte l'auteur! accueillirent cette quatrième strophe :

Et quand ainsi des terroristes
Vous abattez l'affreux pouvoir;
Voyez, voyez les royalistes
Lever un front brillant d'espoir.
De leurs complots et de leur nombre
Osez-vous braver les hasards?

Et parmi vous glissés dans l'ombre,
Ne craignez-vous pas les poignards.

Les cris redoublent, à ces derniers vers:

Le tumulte est à son comble; le parterre indigné s'élance par-dessus les banquettes de l'orchestre, franchit la rampe, saute sur la scène et s'empare du malencontreux auteur qu'il conduit, sans lui faire aucun mal, devant le commandant de place. Là, le malheureux déclare en tremblant qu'il n'est pas poète, qu'il ne l'a jamais été et qu'il ne le sera de sa vie ; il n'est que le domestique de l'auteur, et l'auteur

« ՆախորդըՇարունակել »