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SOMMAIRE

DE DOM JUAN OU Le festin DE PIERRE

PAR VOLTAIRE.

L'original de la comédie bizarre du Festin de Pierre est de Triso' de Molina, auteur espagnol. Il est intitulé el Combidado de piedra, le Convié de pierre. Il fut joué ensuite en Italie, sous le titre de Convitato di pietra. La troupe des comédiens italiens le joua à Paris, et on l'appela le Festin de Pierre2. Il eut un grand succès sur ce théâtre irrégulier : l'on ne se révolta point contre le monstrueux assemblage de bouffonnerie et de religion, de plaisanterie et d'horreur, ni contre les prodiges extravagants qui font le sujet de cette pièce. Une statue qui marche et qui parle, et les flammes de l'enfer qui engloutissent un débauché sur le théâtre d'Arlequin, ne soulevèrent point les esprits, soit qu'en effet il y ait dans cette pièce quelque intérêt, soit que le jeu des comédiens l'embellit, soit plutôt que le peuple, à qui le Festin de Pierre plaît beaucoup plus qu'aux honnêtes gens, aime cette espèce de merveilleux.

Villiers, comédien de l'Hôtel de Bourgogne, mit le Festin de Pierre en vers, et il eut quelque succès à ce théâtre. Molière voulut aussi traiter ce bizarre sujet. L'empressement d'enlever des spectateurs à l'Hôtel de Bourgogne fit qu'il se contenta de donner en prose sa comédie: c'était une nouveauté inouïe alors, qu'une

1. Il y a bien ici Triso, pour Tirso, et, à la ligne suivante, Combidado, et non Convidado, dans les deux éditions de l'opuscule sur Molière qui parurent du vivant de Voltaire et dans celle des OEuvres, publiée par Beuchot. L'ancienne orthographe combidado, qui se trouve aussi dans Cailhava (de l'Art de la Comédie, tome II, p. 179 et 193; Études sur Molière, p. 123), est celle de tous les dictionnaires espagnols du dix-septième siècle que nous avons pu voir, en particulier du Trésor, déjà cité, d'Antoine Oudin. Le mot est très-probablement écrit ainsi dans la première impression, de 1622, de la pièce de Tirso de Molina.

2. Voyez ci-dessus, p. 9, note 3.

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Un impie », dans la première édition de Voltaire (1739).

pièce de cinq actes en prose. On voit par là combien l'habitude a de puissance sur les hommes, et comme elle forme les différents goûts des nations. Il y a des pays où l'on n'a pas l'idée qu'une comédie puisse réussir en vers': les Français, au contraire, ne croyaient pas qu'on pût supporter une longue comédie qui ne fût pas rimée. Ce préjugé fit donner la préférence à la pièce de Villiers sur celle de Molière; et ce préjugé a duré si longtemps, que Thomas Corneille, en 1673, immédiatement après la mort de Molière2, mit son Festin de Pierre en vers; il eut alors un grand succès sur le théâtre de la rue Guénegaud; et c'est de cette seule manière qu'on le représente aujourd'hui.

A la première représentation du Festin de Pierre de Molière, il y avait une scène entre Don Juan et un pauvre. Don Juan demandait à ce pauvre à quoi il passait sa vie dans la forêt. « A prier Dieu, répondait le pauvre, pour des honnêtes gens qui me donnent l'aumône. Tu passes ta vie à prier Dieu? disait Don Juan : si cela est, tu dois donc être fort à ton aise. Hélas! Monsieur, je n'ai pas souvent de quoi manger. Cela ne se peut pas, répliquait Don Juan : Dieu ne saurait laisser mourir de faim ceux qui le prient du soir au matin. Tiens, voilà un louis d'or; mais je te le donne pour l'amour de l'humanité. »>

Cette scène, convenable au caractère impie de Don Juan, mais dont les esprits faibles pouvaient faire un mauvais usage, fut supprimée à la seconde représentation, et ce retranchement fut peutêtre cause du peu de succès de la pièce.

Celui qui écrit ceci a vu la scène écrite de la main de Molière, entre les mains du fils de Pierre Marcassus, ami de l'auteur".

1. Voltaire aurait-il pu nommer ces pays?

2. L'erreur de date est étrange. Thomas Corneille ne donna son Festin de Pierre qu'en 1677.

3. Toute cette fin du sommaire fut ajoutée à la seconde édition donnée par l'auteur (1764).

4. Tel est le texte de 1764. Beuchot a imprimé, avec raison peut-être : « les honnêtes gens ».

5. Il y a des difficultés : Pierre Marcassus était ami, dit-on, non de notre Molière (ce serait une erreur de Moreri), mais de François de Molière, auteur du roman de Polixène; et puis il mourut en 1664, quand le Dom Juan n'existait pas encore. On a remarqué aussi que Voltaire, qui dit avoir vu la scène

Cette scène a été imprimée depuis '.

écrite de la main de l'auteur, ne paraît, par ce qu'il cite, en connaître que ce qui avait été conservé par les éditeurs de 1682, avant les cartons. On peut répondre cependant que Molière en a pu faire cette nouvelle copie après qu'on l'eut obligé à des suppressions.

1. De quelle édition veut ici parler Voltaire? demande Beuchot dans une note sur le Sommaire. Probablement de celles d'Amsterdam (1683) et de Bruxelles (1694), dont nous avons parlé un peu plus haut (p. 71). Mais il n'a pas fait attention qu'il ne fallait pas dire: depuis; car elles ont toutes deux précédé sa visite chez le fils de Marcassus, puisqu'elles sont l'une antérieure à sa naissance, l'autre de l'année même où il est né.

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1. Voici quelle est la liste des personnages: 1o dans les éditions de 1683 A (Amsterdam) et de 1694 B (Bruxelles):

D. Elvire.

D. Juan.

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ACTEURS. D. JUAN. — D. Louis, père de D. Juan. — ELVIRE, maîtresse de D. Juan. D. ALONSE, D. CARLOS, frères de GUSMAN, valet de D. Elvire. SGANARELLE, valet de LA VIOLETTE, RAGOTIN, laquais de D. Juan. Mr DILA RAMÉE, bretteur. PIERROT, paysan, amant de CHARLOTTE, paysanne. MATHURINE, paysanne. Un Spectre. Trois suivants de

MANCHE.

Charlotte.

LA STATUE du Commandeur.

D. Alonse. Un Pauvre.

2o dans l'édition de 1734:

ACTEURS.

de Dom Juan.

-

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DOM JUAN, fils de Dom Louis. ELVIRE, femme
DOM CARLOS, DOM ALONSE, frères d'Elvire.

DOM LOUIS, père de Dom Juan. FRANCISQUE, pauvre. - CHARlotte, Mathurine, paysannes. PIERROT, paysan. LA STATUE

du Commandeur.

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GUSMAN, écuyer d'Elvire. SGANARELLE, LA VIOLETTE, RAGOTIN, valets de Dom Juan. · MONSIEUR DIMANCHE, marchand. LA RAMÉE, spadassin. Un Spectre.

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2. D'après l'inventaire publié dans les Recherches sur Molière de M. E. Soulié (p. 277), le costume de Molière dans ce rôle se composait d'«< un jupon de satin aurore, » d' « une camisole de toile à parements d'or, » et d' « un pourpoint de satin à fleurs. >> Voyez au tome IV, p. 514 et 515, la note relative au mot jupon.

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SUITE de Dom Carlos et de Dom Alonse, frères.
UN SPECTRE.

La scène est en Sicile 3.

1. Tel est le texte de tous les exemplaires de 1682, soit cartonnés, soit non cartonnés. Pourtant ce personnage, à la scène où il figure, qui est la seconde de l'acte III, ne porte le nom de FRANCISQUE que dans les exemplaires cartonnés; dans les non cartonnés il est simplement nommé, en tête de la scène, UN PAUVRE, puis LE PAUVRE. On ne s'explique guère comment ces derniers, où ce nom propre ne reparaît pas dans la pièce même, peuvent l'avoir, aussi bien que les cartonnés, dans cette liste.

2. M. Soulié nous a appris que ce nom n'est pas de l'invention de Molière : « J'ai, dit-il (p. 276, note 1, de ses Recherches), rencontré plusieurs actes notariés concernant des personnages portant les noms de M. Dimanche, de M. Jourdain et de M. Fleurant, à l'époque même où Molière composait Dom Juan, le Bourgeois gentilhomme et le Malade imaginaire. »

3. Les éditions de 1683 A, 1694 B ne marquent pas le lieu de la scène. Voyez à la Notice, p. 35. Le Mémoire de.... décorations (Manuscrits français de la Bibliothèque nationale, no 24 330) donne sur la mise en scène les indications suivantes : « Le Festin de Pierre. Ir acte. Il faut un palais. II. acte. Une

a M. Despois pensait que le registre que nous citons n'avait été tenu, pour les pièces de Molière, qu'après la jonction de 1680, à l'Hôtel Guénegaud (voyez le Théâtre français sous Louis XIV, p. 411). C'est l'arrangement de Thomas Corneille qu'on jouait, depuis 1677, à Guénegaud, mais la mise en scène ne devait pas différer beaucoup de celle que Molière avait réglée, en 1665, au Palais-Royal.

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