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ACTE II'.

SCÈNE PREMIÈRE.

CHARLOTTE, PIERROT'.

CHARLOTTE.

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Nostre-dinse, Piarrot, tu t'es trouvé là bien à point.

1. Le théâtre représente une campagne, au bord de la mer, dit Auger. Cette campagne est près de la ville où s'est passé le premier acte. C'est dans le port de cette ville que Dom Juan est monté sur une petite barque, pour aller enlever, pendant une promenade en mer, la jeune fille dont il est devenu amoureux. Renversé dans la mer, par un coup de vent, à peu de distance de la terre, il est sauvé par deux paysans de la côte. »

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2. Voyez ci-après, à l'Appendice, p. 205, cette scène telle que la donne Champmeslé dans les Fragments de Molière. Selon les frères Parfaict (tome VIII, p. 26 et 27), Mathieu Gareau, dans le Pédant joué, « est le premier paysan qu'on ait osé hasarder au théâtre avec le jargon de son village. Cette comédie, en prose aussi, de Cyrano Bergerac était imprimée depuis plus de dix ans. Chez lui, Gareau, et, chez Molière, Pierrot, Charlotte et Mathurine, parlent à peu près la langue du même pays; un grand nombre des formes patoises et des façons de dire campagnardes que nous avons ici sont également dans les tirades du paysan de Cyrano (à l'acte II, scènes I et III, et à l'acte V, scènes VIII, IX et x du Pédant joué). Les deux auteurs ont surtout reproduit, ce semble, l'accent des environs de Paris; car, malgré plus de deux siècles écoulés et certaines exagérations de l'écriture, plus étranges à l'œil que le débit, meme théâtral, ne devait l'être à l'oreille, on le reconnaît encore. On peut voir, à défaut des éditions du temps (la première, in-4o, est de 1654), la réimpression du Pédant joué donnée par M. Paul Lacroix a, ou les extraits des frères Parfaict (tome VIII, p. 7-10 et p. 24), et ceux de M. Victor Fournel (les Contemporains de Molière, tome III, p. 386-391). Pour les propriétés de ce jargon, et particulièrement les altérations de lettres, nous renvoyons, d'une manière générale, à la curieuse Étude de M. Ch. Nisard sur le langage populaire ou patois de Paris et de sa banlieue (Paris, 1872, in-8°).

3. L'édition de 1694 B a partout PIARROT, au lieu de PIERROT, aux en-tête, et non pas seulement, comme nos textes de 1682 et de 1734, dans le dialogue même; celle de 1683 A n'a PIARROT en vedette qu'à partir de notre page 106, avant : « Oui, c'est le maître. »

4. Nostre-dinje, Piarrot, tu t'is trouvé. (1683 A, 94 B.)

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Votre dinse

a Dans les OEuvres comiques, galantes et littéraires de Cyrano de Bergerac, A. Delahays, 1858.

PIERROT.

Parquienne, il ne s'en est pas fallu l'époisseur d'une éplinque1 qu'ils ne se sayant' nayés tous deux.

CHARLOTTE.

C'est donc le coup de vent da matin qui les avoit renvarsés dans la mar?

4

PIERROT.

Aga, guien, Charlotte, je m'en vas te conter tout

(1734, mais non 1773). Notre-dinse et tre-dinse ont été mis par Cyrano Bergerac dans la bouche de Mathieu Gareau: ce sont, non pas des corruptions, mais des altérations, sans doute faites à dessein, dans l'origine, de Notre-Dame et de Tre-Dame : dinse ne peut guère venir de dame; ce serait plutôt le mot danse d, prononcé à la villageoise; mais le plus naturel est d'y voir des syllabes insignifiantes substituées à un nom qu'on se faisait scrupule de profaner; c'est ainsi qu'on aura d'abord dit, au lieu de « par Dieu », parbleu, etc.

1. Porquisenne.... d'une espingle. (1683 A, 94 B.) — Parguienne........ d'une éplingue. (1730, 33, 34.)

2. Vaugelas, dans son paragraphe sur la diphthongue OI, cite encore soyent et droit (qui va venir quatre lignes plus loin) parmi le petit nombre de monosyllabes a que l'on prononce en ai»: saient, drait. Voyez les Remarques sur la langue françoise, p. 79 de l'édition de 1670; mais la décision de Vaugelas datait de 1647, année où parut la 1re édition de ses Remarques; le fait même d'avoir ainsi figuré la prononciation de ce paysan semble indiquer qu'elle n'était plus guère celle de la ville. Nous ne pouvons d'ailleurs savoir si, en 1682, lors de la première impression de Dom Juan, éditeurs et imprimeurs ont exactement suivi, pour tous les menus détails, la copie préparée par Molière dixhuit ans auparavant; il se pourrait, par exemple, que la prononciation drait, qui commençait à être surannée en 1682, ne le fût pas en 1665: on a vu adroite rimer avec secrète au vers 946 du Tartuffe.

3. Noyés tou deu. (1683 A, 94 B.)

4. D'amatin qui les avoit renversés. (Ibidem.) Ces deux éditions omettent : dans la mar ». — D'à matin. (1730, 33, 34.)

5. Aga, quien. (1683 A, 94 B, 1730, 33, 34.) — Aga est sans doute une

a Nous ne relevons pas, comme variantes, dans l'édition de 1734, les simples différences d'orthographe, telles que j'étions pour j'estions, tête pour teste, putôt pour putost, appellont pour appelont, assoltée pour assotée, Monsieu pour Monsieur, Messieux pour Messieus, etc.

Voyez le Pédant joué, p. 51 et 15 de l'édition de 1671 : « Nostre-dinse! n'en diret que je ne nous connoissiens plus. Ho, ho, tre-dinse! il ne sera pas dit que j'usions d'obliviance. »

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e Tredame est une exclamation de Mme Jourdain, acte III du Bourgeois gentilhomme, fin de la scène v.

d Dinse pour danse a été noté par M. Ch. Nisard, à la page 132 de l'ouvrage cité à la page précédente.

fin drait comme cela est venu; car, comme dit l'autre 1, je les ai le premier avisés, avisés le premier je les ai3. Enfin donc j'estions sur le bord de la mar, moi et le gros

abréviation d'agarde, qui est pour regarde, vois, vois-tu! « Aga, Alizon, l'envie ne mourra jamais..., » dit Philippin dans la Comédie des Proverbes d'Adrien de Montluc (acte III, scène vin). Le pluriel agardez se lit, tout à fait avec le même sens, dans les Baliverneries.... d'Eutrapel a : « Car, agardez, » car, voyez (c'est un vilain qui parle) ¿.

1. Tout fin dray comme cela est venu çà, comme dit l'autre. (1683 A, 94 B.) 2. Cet accord irrégulier, par attraction, est dans tous nos anciens textes, y compris ceux de 1734 et de 1773.

3. « Pourtant je paraissy un sot basquié (bâté), un sot basquié je paraissy,» dit Gareau (acte II, scène 1, du Pedant joue). Auger rappelle que Mme Jourdain a aussi cette manière de se répéter, d'insister en ne variant que l'ordre des mots : « Oui vraiment, nous avons fort envie de rire, fort envie de rire nous avons. » (Acte III, scène v, du Bourgeois gentilhomme.)

4. J'esquions. (1683 A, 94 B.) — Ce solécisme, dont Martine est si aigrement reprise (à la scène vi de l'acte II des Femmes savantes), avait été fort de mode à la cour de François Ier, de son fils et de ses petits-fils :

Pensez à vous, ô courtisans,

Qui lourdement barbarisans
Toujours j'allion, je venion dites,

Contre la promesse que fites
Au gentil poëte Clément,

Qui s'en courrouçoit âprement.

(Henri Estienne, Deux dialogues du nouveau langage françois italianisé, sans date, mais, d'après Brunet, de 1578, feuillet préliminaire v verso; voyez aussi p. 146.) Génin, dans son Lexique.... de la langue de Molière, p. 221, et ses Variations du langage français, p. 290 et 291, en cite des exemples, entre autres celui-ci, tiré d'une lettre écrite sous la dictée de François Ierd: « J'avons espérance qu'y fera demain beau temps, vu ce que disent les étoiles que j'avons eu très-bon loisir de voir. »

a Voyez les OEuvres facétieuses de Noël du Fail, édition de M. Assézat, tome I, p. 154.

Aga est encore usité dans les dialectes du Midi, et peut-être en vient-il : voyez des Influences provençales dans la langue de Molière, par M. Adelphe Espagne (1876, brochure extraite de la Revue des langues romanes), p. 12. Agardez a été abrégé en urdez: voyez ci-après, p. 106 et note 9.

e Clément Marot. Henri Estienne rappelle ici un passage de la seconde de ses épitres à Lyon Jamet intitulées du Coq à l'âne (p. 203 de l'édition de Lyon 1544):

Je di qu'il n'est point question

De dire j'allion ne j'étion,
Ni se renda, ni je frappi....

a Publiée par Génin dans les Pièces justificatives des Lettres de Marguerite..., reine de Navarre (1841), p. 468.

Lucas', et je nous amusions à batifoler avec des mottes de tarre que je nous jesquions à la teste; car, comme tu sais bian, le gros Lucas aime à batifoler, et moi par fouas je batifole itou3. En batifolant donc, pisque batifoler y a, j'ai aparçu de tout loin queuque chose qui grouilloit dans gliau, et qui venoit comme envars nous par secousse. Je voyois cela fixiblement, et pis' tout d'un coup je voyois que je ne voyois plus rien. « Eh! Lucas, ç'ai-je fait, je pense que vlà des hommes qui nageant là-bas. - Voire, ce m'a-t-il fait, t'as esté au trépassement d'un chat, t'as la vue trouble 10. — Palsanquienne 11, ç'ai-je fait, je n'ai point la vue trouble: ce sont des hommes.— Point du tout, ce m'a-t-il fait, t'as la barlue. Veux-tu gager, ç'ai-je fait, que je n'ai point la

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barlue, ç'ai-je fait, et que sont deux hommes, ç'ai-je fait, qui nageant droit ici? ç'ai-je fait. — Morquenne 12, ce m'a-t-il fait, je gage que non. -O! çà, ç'ai-je fait, veuxdix sols gager Je le veux bian 13, ce m'a-t-il fait; et pour te montrer, vlà argent su jeu 1, » ce m'a-t-il

tu

si? que

1. Mo et le gros Lucas. (1683 A, 94 B.) -2. Avé. (Ibidem.)

3. Per fois je batifole i tou. (Ibidem.)

4. J'ai

aperçu. (Ibidem, 1692 Lyon, 1718, 34.)

5. Per secousse. (1683 A, 94 B.)

6. Je voyois ça fisiblement. (Ibidem.) — GAREAU. Ardé, je croy fixiblement que je n'eussiesmes pas encor cheminé deux glieuës que j'eussiesme trové le paradis et l'enfar. (Acte II, scène II, du Pédant joué.)

7. Fixiblement, pis. (1730, 34.)

8. Rian. (1730, 33, 34.) 9. Nagiant. (Ibidem.)

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10. Ce proverbe, fondé sur quelque superstition populaire, se trouve dans la Comédie des Proverbes d'Adrien de Montluc (acte II, scène v): Tu as la berlue, je crois que tu as été au trépassement d'un chat, tu vois trouble. » (Note d' Auger.)

11. Palsanguiene. (1683 A, 94 B.) - Palsanguienne. (1730, 33.)— Par sanguienne. (1734.)

12. Et que ce sont des hommes, ç'ai-je fait, qui nageant drai ici? ç'ai-je fait. Morguenne. (1683 A, 94 B.) Et que ce sont. (1734.) - Deux hommes, ç'ai-je fait, qui nagiant droit (drait, 1710, 18, 33) ici? ç'ai-je fait. Morguienne. (1730, 33, 34.) — Morquienne. (1718.)

13. Je veux bian. (1683 A, 94 B.) 14. Sur eu. (1692, 97, 1710, 18.)

fait. Moi, je n'ai point esté ni fou1, ni estourdi ; j'ai bravement bouté à tarre quatre pièces tapées, et cinq sols en doubles, jergniguenne', aussi hardiment que si j'avois avalé un varre de vin; car je ses hazardeux', moi, et je vas à la débandade. Je savois bian ce que je faisois pourtant. Queuque gniais! Enfin donc, je n'avons pas putost eu gagé, que j'avons vu les deux hommes tout à plain', qui nous faisiant signe de les aller querir; et moi de tirer auparavant les enjeux. « Allons, Lucas, ç'ai-je dit, tu vois bian qu'ils nous appelont: allons viste à leu secours. - Non, ce m'a-t-il dit, ils m'ont fait pardre. » O! donc, tanquia qu'à la parfin, pour le faire court, je l'ai tant sarmonné, que je nous sommes boutés dans une barque, et pis j'avons tant fait cabin caha, que je les avons tirés de gliau, et pis je les avons menés cheux nous auprès du feu, et pis ils se sant dépouillés1o tous nus" pour se sécher, et pis il y en est venu encore 12 deux de la mesme bande, qui s'equiant sauvés tout seul, et pis Mathurine est arrivée là, à qui

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1. Ser jeu, ce m'a-t-il fait. Moi, je n'ai été ni fou. (1683 A, 94 B.) 2. J'ai bravement bouté quatre. (Ibidem.)

3. Le Dictionnaire de M. Littré nous apprend (à l'article PIÈCE, 16') que pièce tapée s'est dit « de certains sous parisis au milieu desquels on avait ajouté la marque d'une fleur de lis pour en faire des sous tournois. » Mais ces paysans continuaient à s'en servir comme de sous parisis. Or quatre sous parisis en valaient cinq tournois : c'était la moitié de l'enjeu. L'autre moitié, comme le remarque Auger, avait dû être comptée en trente menues pièces, le double (c'est-à-dire le double denier) n'étant que le sixième d'un sou: voyez tome III, p. 264, note 3.

4. En double, jerniguenne. (1683 A, 94 B.) — Jerniguienne. (1730, 33, 34.) 5. Car si hasardeux. (1683 A, 94 B.) Car je sis. (1730, 33, 34.)

6. Enfin don, je n'avois pas plustost. (1683 A, 94 B.)

7. Tous à plein. (Ibidem.)

8. Et moi d'hier auparavant. (Ibidem.)-Et moi de tirer les enjeux.(1730, 34.) 9. Qu'ils nous appellent: allons viste à leur secours. (1683 A, 94 B.)

10. Se sont dépouillés. (Ibidem, 1718.)

11. Tout nus. (1730, 33, 34.)

12. Il y en est encore venu. (1683 A, 94 B.)

13. Qui saguiant sauvés. (Ibidem.) — 14. Tout seuls. (1718, 30, 33, 34.)

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