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III

PROGRAMME-ANNONCE DU FESTIN DE PIERRE

REPRÉSENTÉ EN PROVINCE AU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE1.

LA DESCRIPTION DES SUPERBES MACHINES ET DES MAGNIFIQUES CHANGE-
MENTS DE THEATRE DU FISTIN DE PIERRE OU L'ATHEE FOUDROYÉ
DE M. DE MOLIÈRE.

Avant-propos.

Si des cinq sens que la Nature a distribués pour la satisfaction de l'homme, l'ouïe et la vue tiennent l'âme dans un état capable d'en goûter un solide plaisir, on peut dire à la gloire de l'incomparable auteur du Festin de Pierre qu'il a fait de cet ouvrage le plus aimable divertissement qu'on puisse recevoir par ces deux portes de l'âme la diversité des personnages, leur caractère si bien touché dans le cours de cette pièce fournissent tout ce que peut exiger le goût des savants, et chaque genre d'esprit y trouve à jouir des agréments de cette diversité surprenante; les six magnifiques changements de théâtre qui secondent ce poëme produisent de nouvelles beautés; et de tout ce que la scène françoise, à l'imitation des Italiens, a pu mettre au jour sur ce sujet, ce dernier Festin de Pirre a couronné l'œuvre. Nous y contribuerons pour vos satisfactions tout ce que demande le sujet dans sa représentation.

Argument du premier acte.

L'ouverture du théâtre se fait par un magnifique jardin. Après que les yeux ont eu loisir de se satisfaire à considérer sa beauté, Gusman, valet de Done3 Elvire, maîtresse de Dom Juan, demande à Sganarelle, son valet, les desseins de son maître, et ce qu'il a

1. Voyez ci-dessus, p. 51-53. — Nous donnons ce programme d'après une copie calquée sur l'original (4 pages in-4°), lequel appartient à M. Gariel, conservateur de la Bibliothèque de Grenoble.

2. Dans le texte original, distribué, sans accord.

3. Ici et trois autres fois, il y a, dans l'original, Dom, au lieu de Done, devant Elvire; plus bas, dans l'argument du troisième acte, D. Elvire.

envie de faire après avoir trompé sa maîtresse. Sganarelle lui fait un portrait de l'honneur de Dom Juan, et renvoie Gusman aussi satisfait de lui que Done Elvire l'est de son maître. Dom Juan entre et dit à Sganarelle qu'il veut faire un voyage sur mer; Done Elvire le surprend, et tâche par ses pleurs et par ses remontrances d'émouvoir sa tendresse, et de lui faire tenir parole pour l'accomplissement du mariage qu'il lui a promis; elle ne gagne rien sur son esprit et.remet s vengeance entre les mains du Ciel. Sganarelle corrige son maître, qui, sans l'écouter, l'oblige de le suivre partout; et s'en vont pour s'embarquer.

Argument du deuxième acte.

Un théâtre de mer et de rochers succède au superbe palais du premier acte, et sur le rivage Pierrot, marinier, fait le récit à Charlotte, sa maîtresse, du naufrage que Dom Juan et Sganarelle ont essuyé, mais dans une naïveté capable de faire rire les plus sévères et par son discours et par sa représentation. Dom Juan et Sganarelle, son valet1, arrivent, ravis d'en être quittes à si bon marché. Dom Juan aborde Charlotte, qui, dans l'entretien qu'elle a avec lui, fait voir une innocence si pure, qu'on ne peut qu'on ne soit charmé. Dom Juan, qui promet mariage à tout ce qui se présente à lui, donne la main à Charlotte; Thomasse, autre paysanne et fille de l'hôte de Dom Juan, entend qu'il promet d'épouser Charlotte; elle lui fait des reproches sur son inconstance et qu'elle a laissé son honneur à sa bonne foi; ces deux paysannes, jalouses l'une de l'autre, font naître une petite contestation, qui, dans son genre, n'a rien que d'agréable; Dom Juan se retire, leur promettant mariage à toutes deux; Sganarelle leur représente la mauvaise vie de son maitre, qui l'écoute, et Sganarelle l'apercevant tourne tout d'une autre manière et se dégage du piége où son caquet l'alloit faire tomber. Dom Juan cajole de nouveau Charlotte; et Pierrot, son amant, les trouvant sur le fait, donne matière à la risée dans l'expression de sa jalousie villageoise, et, après avoir fait vingt postures, toutes extraordinaires, se retire avec Charlotte. On vient avertir Dom Juan qu'on le cherche, et Sganarelle, qui veut avoir son congé, se voit forcé par son maître, qui le menace de le tuer, d'être compagnon de sa fortune.

1. On a, dans l'original, imprimé par erreur : « Dom Juan, Sganarelle et

son valet ».

2. Cette substitution du nom de Thomasse à celui de Mathurine a été relevée dans la Notice (p. 53).

MOLIÈRE. ▼

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Argument du troisième acte.

Ce théâtre de mer et de rochers disparoît, et fait place à un bois. Dom Juan, pour éviter la poursuite de ses ennemis, se déguise, et Sganarelle paroît en docteur. C'est dans cet entretien que l'opiniâtreté de Dom Juan dans son athéisme est combattue par de fortes raisons. Un des frères de Done Elvire, qui s'étoit écarté dans le bois pour chercher Dom Juan, Bans le connoitre que sur le rapport que son frère lui en a fait, est attaqué par quatre voleurs. Dom Juan lui sauve la vie; l'autre frère reconnoît Dom Juan avec son frère; il veut avoir satisfaction de Dom Juan par sa mort; celui que Dom Juan a sauvé fait céder le devoir à la reconnoissance; et se promettent de se rencontrer autre part; cette poursuite fait résoudre Dom Juan à s'en aller, et, comme il est prêt de partir, ce bois change sa verdure en autre théâtre de statues de marbre blanc, qui fait naître une autre satisfaction, par son prompt changement; et, dans le fond, Sganarelle montre à son maître une statue de six pieds de haut, sur un piédestal', qu'il reconnoît être celle du commandeur qu'il a tué. Sganarelle l'invite à souper de la part de son maître; la Statue répond par un mouvement de tête, qui vous surprendra; Dom Juan incrédule la2 prie lui-même, et se voyant surpris d'un autre signe de tête, il se résout d'attendre cette statue.

Argument du quatrième acte.

Cet acte se passe dans une chambre aussi superbe qu'on en puisse voir. Dom Juan paroît triste des signes de tête de l'Ombre. Son père le vient prier de changer sa vie; et le rebute. Dom Juan demande à souper. M. Dimanche, marchand, demande à parler à Dom Juan; Sganarelle fait dire qu'il revienne une autre fois; son maître lui commande de le faire entrer, et fait voir dans cette scène ce que beaucoup de gens pratiquent aujourd'hui avec à qui ils doivent et qui payent plutôt en paroles qu'en effet: on peut nommer cette scène la belle scène, puisque c'est une peinture du temps. Dom Juan l'ayant fait sortir à force de civilités, il demande encore à souper; on sert; Sganarelle n'oublie rien de ce qui peut

1. Dans l'original, ce nom est décomposé en pied d'étail : voyez l'étymologie du mot dans le Dictionnaire de M. Littré.

2. Il y a, dans le texte original, le au lieu de la, et, à la ligne suivante, d'une pour d'un.

3. Nous reproduisons sans changement cette phrase mal construite du programme.

faire rire, et par ses postures italiennes divertit son maître, qui se voit contraint par son impatience de le faire manger avec lui. On frappe trois fois : l'Ombre entre, Dom Juan la reçoit, l'Ombre tâche de l'émouvoir, et Dom Juan poursuit dans ses mauvais sentiments; l'Ombre, pour vaincre son obstination, lui donne le temps de songer au repentir, et1 souper. Dom Juan promet, et, malgré les conseils de son valet, il veut risquer une si funeste entreprise.

Argument du cinquième acte.

La décoration de cet acte est un théâtre de statues à perte de vue. L'ouverture s'en fait par Done Elvire et un de ses frères, qui lui conte comme Dom Juan lui a sauvé la vie, et proteste de le chercher partout. Dom Juan arrive avec son valet, et dit qu'il veut changer de vie et voiler ses crimes du masque de l'hypocrisie, sans avoir égard à ce que Sganarelle lui dit; au contraire, il en donne une marque, abusant encore de Thomasse et Charlotte; et leur promet de les marier richement, et les deux paysannes sont assez crédules pour se fier à sa parole. Done Elvire et son frère tâchent d'avoir satisfaction de Dom Juan, mais il refuse de la faire, sous prétexte que le Ciel s'y oppose; mais Done Elvire et son frère voyant que c'est temps perdu, remettent leur querelle entre les mains de Dieu, et prédisent à Dom Juan sa perte. C'est dans cet acte que la justice divine se fait paroître. Le Temps, par un vol merveilleux qu'il fait sur le théâtre, avertit Dom Juan de songer à lui, et qu'il n'a plus qu'un moment à vivre. Il rit de ces avertissements; l'Ombre entre, qui, voyant qu'il persiste dans sa méchante inclination, le fait abimer dans un gouffre, précédé des éclairs et du tonnerre. Tout le théâtre paroît en feu; l'Ombre, par un vol qui vous surprendra, remonter en l'air; et Sganarelle, qui ne voit plus son maitre, finit cette tragi-comédie par une fin dont on ne vous dit rien, pour vous en faire trouver plus de satisfaction quand vous la verrez.

Notre comique se dispose à vous faire rire dans ce charmant ouvrage, et garde pour la vue et l'ouïe ce que le papier ne peut exprimer.

1. La phrase suivante montre, ce semble, que, devant souper, ont été sautés les mots le convie ou l'invite à.

2. Paraît remonter.

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