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mine d'avoir quelque tenture qui vous incommode1. Celui que vous aimez, ma voisine, a, dit-on, quelque inclination pour ma fille, et vous ne seriez pas fâchée de la voir la femme d'un autre 2. Et quant à vous, ma chère nièce, ce n'est pas mon dessein, comme on sait, de marier ma fille avec qui que ce soit3, et j'ai mes raisons pour cela; mais le conseil que vous me donnez de la faire religieuse, est d'une femme qui pourroit bien souhaiter charitablement d'être mon héritière univer. selle. Ainsi, Messieurs et Mesdames, quoique tous vos conseils soient les meilleurs du monde, vous trouverez bon, s'il vous plaît, que je n'en suive aucun. Voilà de mes donneurs de conseils à la mode.

SCÈNE II.

LUCINDE, SGANARELLE.

SGANARELle.

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Ah! voilà ma fille qui prend l'air. Elle ne me voit pas; elle soupire; elle lève les yeux au ciel. Dieu vous gard! Bon jour, ma mie. Hé bien ! qu'est-ce ? Comme vous en va? Hé! quoi? toujours triste et mélancolique comme cela, et tu ne veux pas me dire ce que tu as.

1. « On n'a pas remarqué, dit Bazin, p. 133-134, que, dans la première scène, il Molière) avait jeté un trait plaisant sur la profession de son père. « Vous êtes orfévre, Monsieur Josse,» mot devenu proverbial, n'était que la moitié de la leçon comique adressée aux donneurs d'avis; l'autre regardait M. Guillaume, qui vend des tapisseries.

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2. De la voir femme d'un autre. (1734.)

3. A qui que ce soit. (Ms. Philidor.)

4. Seul. (1734.) — 5. A Lucinde. (Ibidem.)

6. Pour la forme gard, conservée dans cette antique salutation, voyez d'autres exemples, de Molière et de la Fontaine, dans le Dictionnaire de M. Littré, à l'article GARDER, 11°, fin: Gard ou gart est le subjonctif de garder dans l'ancien français; il n'y a point d'e supprimé.

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Allons donc, découvre-moi1 ton petit cœur. Là, ma pauvre mie, dis, dis; dis tes petites pensées à ton petit papa mignon. Courage! Veux-tu que je te baise? Viens. J'enrage de la voir de cette humeur-là. 3 Mais, dis-moi, me veux-tu faire mourir de déplaisir, et ne puis-je savoir d'où vient cette grande langueur? Découvre-m'en la cause, et je te promets que je ferai toutes choses pour toi. Oui, tu n'as qu'à me dire le sujet de ta tristesse ; je t'assure ici, et te fais serment qu'il n'y a rien que je ne fasse pour te satisfaire : c'est tout dire. Est-ce que tu es jalouse de quelqu'une de tes compagnes que tu voies plus brave que toi? et seroit-il quelque étoffe nouvelle dont tu voulusses avoir un habit? Non. Est-ce que ta chambre ne te semble pas assez parée, et que tu souhaiterois quelque cabinet de la foire Saint-Laurent? Ce n'est pas cela. Aurois-tu envie d'apprendre quelque chose? et veux-tu que je te donne un maître pour te montrer à jouer du clavecin? Nenni. Aimeroistu quelqu'un, et souhaiterois-tu d'être mariée ? (Lucinde lui fait signe que c'est cela 6.)

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1. Allons, découvre-moi donc. (Ms. Philidor.) 2. A part. (1734.) · 3. A Lucinde. (Ibidem.) 4. Voyez ci-dessus, p. 304, note 5.

5. Sur ce meuble, quelquefois de très-grand luxe, qui pouvait contenir jusqu'à trente tiroirs, voyez ci-après, à la scène i de l'acte I du Misanthrope. — La foire Saint-Laurent se tenait, du 28 juin au 30 septembre, au faubourg SaintMartin, entre Saint-Lazare et les Récollets, dans un enclos ceint de murs, qui appartenait aux prêtres de la Mission, établis depuis 1632 à Saint-Lazare. Ils avaient été autorisés à transporter dans cet enclos le marché Saint-Laurent, dans la possession duquel ils avaient été confirmés par des lettres obtenues en 1661. François Colletet fit paraître en 1666 une description burlesque de la foire Saint-Laurent: voyez le Tracas de Paris dans le recueil publié en 1859 par P. L. Jacob bibliophile, sous le titre de Paris ridicule et burlesque au dix-septième siècle, p. 199 et suivantes.

6. Lucinde fait signe qu'oui. (1734.)

SCÈNE III.

LISETTE, SGANARELLE, LUCINDE'.

LISETTE.

Hé bien, Monsieur, vous venez d'entretenir votre fille. Avez-vous su la cause de sa mélancolie?

SGANARELLE.

Non. C'est une coquine qui me fait enrager.

LISETTE.

Monsieur, laissez-moi faire, je m'en vais la sonder un peu.

SGANARELLE.

Il n'est pas nécessaire; et puisqu'elle veut être de cette humeur, je suis d'avis qu'on l'y laisse.

Lisette.

Laissez-moi faire, vous dis-je. Peut-être qu'elle se découvrira plus librement à moi qu'à vous. Quoi? Madame, vous ne nous direz point ce que vous avez, et vous voulez affliger ainsi tout le monde? Il me semble qu'on n'agit point comme vous faites, et que, si vous avez quelque répugnance à vous expliquer à un père, vous n'en devez avoir aucune à me découvrir votre cœur. Dites-moi, souhaitez-vous quelque chose de lui ? Il nous a dit plus d'une fois qu'il n'épargneroit rien pour vous contenter. Est-ce qu'il ne vous donne pas toute la liberté que vous souhaiteriez, et les prome

1. SGANARELLE, lucinde, lisette. (1734.)

2. Plus loin (acte III, scène vi), Clitandre dit de même Madame à Lucinde. N'est-ce pas un peu par l'habitude d'écrire les comédies en vers, où Mademoiselle entre malaisément, que s'est établi au théâtre cet emploi de Madame? Nous verrons le mot adressé à Armande et à Henriette dans les Femmes savantes: voyez, par exemple, les scènes Iv et v de l'acte IV.

nades et les cadeaux' ne tenteroient-ils point votre âme ? Heu'. Avez-vous reçu quelque déplaisir de quelqu'un? Heu. N'auriez-vous point quelque secrète inclination, avec qui vous souhaiteriez que votre père vous mariât? Ah! je vous entends. Voilà l'affaire. Que diable? pourquoi tant de façons? Monsieur, le mystère est décou

vert; et....

SGANARELLE, l'interrompant'.

Va, fille ingrate, je ne te veux plus parler, et je te laisse dans ton obstination.

LUCINDE.

Mon père, puisque vous voulez que je vous dise la chose....

SGANARELLE.

Oui, je perds toute l'amitié que j'avois pour toi.

LISETTE.

Monsieur, sa tristesse....

SGANARELLE.

C'est une coquine qui me veut faire mourir.

LUCINDE.

Mon père, je veux bien....

SGANARELLE.

Ce n'est pas la récompense de t'avoir élevée comme j'ai fait.

Mais, Monsieur....

LISETTE.

1. Il a déjà été dit (tome II, p. 104, note 5, et tome III, p. 219) qu'on appelait cadeau un repas offert dans une partie de campagne.

2. Hé? (1734; ici et à la ligne suivante.) Mais ce Heu, d'après la ponctuation des éditions anciennes, que nous reproduisons, semble avoir un sens dubitatif, bien approchant du sens négatif, et traduire le signe que fait Lucinde, à peu près comme, dans la scène précédente, l'ont traduit les Non et Nenni de Sganarelle. Le ton dont cette interjection est prononcée par Lisette doit lui faire signifier: « Il ne paraît pas. »

3. Cette indication est omise dans l'édition de 1734. 4. Ce n'est pas là la récompense. (1710, 18, 34.)

SGANARElle.

Non, je suis contre elle dans une colère épouvantable.

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Une coquine, qui ne me veut pas dire ce qu'elle a.

LISETTE.

C'est un mari qu'elle veut.

SGANARELLE, faisant semblant de ne pas entendre.

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