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Mais quoi...?

PHILINTE.

ALCESTE.

Je n'entends rien.

PHILINTE.

Mais....

ALCESTE.

Encore?

PHILINTE.

On outrage....

ALCESTE.

Ah, parbleu! c'en est trop; ne suivez point mes pas. 445

PHILINTE.

Vous vous moquez de moi, je ne vous quitte pas.

FIN DU PREMIER ACTE.

1

ACTE II.

SCÈNE PREMIÈRE.

ALCESTE, CÉLIMÈNE.

ALCESTE.

Madame, voulez-vous que je vous parle net1?
De vos façons d'agir je suis mal satisfait;

Contre elles dans mon cœur trop de bile s'assemble,
Et je sens qu'il faudra que nous rompions ensemble. 450
Oui, je vous tromperois de parler autrement;
Tôt ou tard nous romprons indubitablement;
Et je vous promettrois mille fois le contraire,
Que je ne serois pas en pouvoir de le faire.

CÉLIMÈNE.

C'est pour me quereller donc, à ce que je voi,
Que vous avez voulu me ramener chez moi?

ALCESTE.

455

Je ne querelle point; mais votre humeur, Madame,
Ouvre au premier venu trop d'accès dans votre âme:
Vous avez trop d'amants qu'on voit vous obséder,
Et mon cœur de cela ne peut s'accommoder.

CÉLIMÈNE.

Des amants que je fais me rendez-vous coupable?
Puis-je empêcher les gens de me trouver aimable?
Et lorsque pour me voir ils font de doux efforts,

460

1. Molière, comme le remarque Auger, a manqué ici, après la suspension de l'entr'acte, à la règle de l'alternance des rimes: c'est une fois de plus que nous ne l'avons dit tome 1, p. 135, note 1.

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Dois-je prendre un bâton pour les mettre dehors?

ALCESTE.

470

Non, ce n'est pas, Madame, un bâton qu'il faut prendre,
Mais un cœur à leurs vœux moins facile et moins tendre.
Je sais que vos appas vous suivent en tous lieux;
Mais votre accueil retient ceux qu'attirent vos yeux;
Et sa douceur offerte à qui vous rend les armes
Achève sur les cœurs l'ouvrage de vos charmes.
Le trop riant espoir que vous leur présentez
Attache autour de vous leurs assiduités;
Et votre complaisance un peu moins étendue
De tant de soupirants chasseroit la cohue.
Mais au moins dites-moi, Madame, par quel sort
Votre Clitandre a l'heur1 de vous plaire si fort?
Sur quel fonds de mérite et de vertu sublime
Appuyez-vous en lui l'honneur de votre estime ?
Est-ce par l'ongle long qu'il porte au petit doigt
Qu'il s'est acquis chez vous l'estime où l'on le voit? 480
Vous êtes-vous rendue, avec tout le beau monde,
Au mérite éclatant de sa perruque blonde?

475

1. Sur ce mot, plusieurs fois employé par Molière, entre autres dans le vers 644 du Tartuffe, voyez le tome II de la Bruyère, p. 210 et note 2.

α

2. C'était déjà la mode dans les premières années de Louis XIII : le baron de Fæneste porte un grand ongle 4. En 1655, Scarron la constate en disant de l'un des personnages de ses nouvelles : « Il se piquoit de belles mains, et s'étoit laissé croître l'ongle du petit doigt de la gauche jusqu'à une grandeur étonnante, ce qu'il croyoit le plus galant du monde. » Dans un opuscule réimprimé par M. Édouard Fournier, d'après un recueil de 1661°, il est aussi parlé « de la belle mode qui courut parmi nos godelureaux, il y a quelque temps, de laisser croître l'ongle du petit doigt. » M. É. Fournier, dit une note de M. Despois, conjecture que cela servait à gratter aux portes, usage poli qui avait remplacé celui de frapper est-il bien sûr que cela servait à quelque chose? Que de modes qui ne servent à rien !

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a Voyez livre III, début du chapitre VI, p. 144, de l'édition Mérimée. Cité par Bret. Voyez à la page 4 de la IV des Nouvelles tragi comiques, achevée d'imprimer le 26 octobre 1655: Plus d'effets que de paroles. e Voyez, au tome VII des Variétés historiques et littéraires, l'Histoire du poëte Sibus, p. 94 et note 3.

Sont-ce ses grands canons1 qui vous le font aimer?
L'amas de ses rubans a-t-il su vous charmer?

Est-ce par les appas de sa vaste rhingrave1

Qu'il a gagné votre âme en faisant votre esclave'?
Ou sa façon de rire et son ton de fausset
Ont-ils de vous toucher su trouver le secret?
CÉLIMÈNE.

Qu'injustement de lui vous prenez de l'ombrage!
Ne savez-vous pas bien pourquoi je le ménage,
Et que dans mon procès, ainsi qu'il m'a promis,
peut intéresser tout ce qu'il a d'amis?

II

ALCESTE.

Perdez votre procès, Madame, avec constance,
Et ne ménagez point un rival qui m'offense.

CÉLIMÈNE.

Mais de tout l'univers vous devenez jaloux.

ALCESTE.

C'est que tout l'univers est bien reçu de vous.

CÉLIMÈNE.

C'est ce qui doit rasseoir votre âme effarouchée,

485

490

495

1. Voyez à la scène Ix des Précieuses ridicules, tome II, p. 77, note 2. 2. « Rhingrave, lit-on dans le Dictionnaire de Furetière (1690), est.... une culotte, ou haut-de-chausse, fort ample, attachée aux bas avec plusieurs rubans, dont un rhingrave ou prince allemand a amené la mode en France il y a quelque temps. » On désignait alors particulièrement sous le titre de Monsieur le Rhingrave Frédéric, seigneur de Neuviller, qui était gouverneur de Maestricht pour la Hollande, et mourut en 1673; il avait par sa femme des terres en France et faisait de longs séjours à Paris, comme on le voit en 1657 et en 1658, par le Journal de MM. de Villers (p. 67, 114, 447); son fils ainé y affectait fort, disent-ils (p. 59), « de vivre à la courtisane. »

3. En se donnant pour votre esclave, en jouant ce personnage dans le monde. « Je ferai le vengeur des intérêts du Ciel, dit Dom Juan, qui vient de prendre le masque de la dévotion (ci-dessus, p. 194, au 11° renvoi).

a Dans tous nos textes, reingrave.

Au vers 487, partout, avant 1734, faucet; c'est aussi l'orthographe de Retz (tome III, p. 458, note 3).

Celui-ci fut tué au service de la Hollande en 1665; Mme de Sévigné parle de son frère, lieutenant du prince d'Orange, mort d'une blessure reçue devant Maestricht en 1676: voyez ses Lettres, tome IV, p. 559 et note 21.

Puisque ma complaisance est sur tous épanchée ;
Et vous auriez plus lieu de vous en offenser,
Si vous me la voyiez sur un seul ramasser.

ALCESTE.

Mais moi, que vous blâmez de trop de jalousie,
Qu'ai-je de plus qu'eux tous, Madame, je vous prie ?
CÉLIMÈNE.

Le bonheur de savoir que vous êtes aimé.

ALCESTE.

Et quel lieu de le croire à mon cœur enflammé 1?

CÉLIMÈNE.

Je pense qu'ayant pris le soin de vous le dire,
Un aveu de la sorte a de quoi vous suffire.

ALCESTE.

Mais qui m'assurera que, dans le même instant,
Vous n'en disiez peut-être aux autres tout autant?

CÉLIMÈNE.

Certes, pour un amant, la fleurette est mignonne,
Et vous me traitez là de gentille personne.
Hé bien! pour vous ôter d'un semblable souci 2,
De tout ce que j'ai dit je me dédis ici,

500

505

510

Et rien ne sauroit plus vous tromper que vous-même : Soyez content.

ALCESTE.

Morbleu! faut-il que je vous aime?

Ah! que si de vos mains je rattrape mon cœur,

Je bénirai le Ciel de ce rare bonheur !

Je ne le cèle pas, je fais tout mon possible
A rompre de ce cœur l'attachement terrible;

Mais mes plus grands efforts n'ont rien fait jusqu'ici,
Et c'est pour mes péchés que je vous aime ainsi.

I.

Et quel lieu de le croire a mon cœur enflammé?

(1675 A, 82, 84 A, 94 B, 1773.)

515

520

2. Corneille s'est plusieurs fois servi de l'expression ôter quelqu'un de souci.

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