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SCÈNE VI.

GARDE, ALCESTE, CÉLIMÈNE, ÉLIANTE,
ACASTE, PHILINTE, CLITANDRE.

Vous

GARDE1.

Monsieur, j'ai deux mots à vous dire.

ALCESTE.

pouvez parler haut, Monsieur, pour m'en instruire.

GARDE.

Messieurs les Maréchaux, dont j'ai commandement,
Vous mandent de venir les trouver promptement,
Monsieur.

1. LE GARDE. (1734; ici et plus bas.)

2. L'édit de septembre 1651, sous lequel on vivait alors, et qui, reprenant les dispositions de plusieurs lois antérieures, entre autres d'une ordonnance rendue à Moulins en 1566, défendait rigoureusement le duela, avait en même temps maintenu, pour juger souverainement du point d'honneur entre gentilshommes et officiers d'armée, l'institution d'un tribunal formé de l'assemblée des maréchaux de France et présidé par leur doyen. Ce tribunal ne pouvait être permanent, et n'était réuni par son président que pour les affaires de quelque importance. Dans l'intervalle des convocations, le maréchal doyen, qui avait gardé quelques-unes des prérogatives de nos anciens connétables, exerçait à lui seul une juridiction provisoire. Il exerçait aussi une sorte de police. Toute personne qui avait été témoin d'un différend, d'une provocation pouvant avoir des suites, était tenue de lui en donner avis, afin qu'il put aussitôt prendre des mesures préventives. Une compagnie entière de gardes, dite de la connétablie, était à sa disposition pour l'exécution de tous ses ordres, et fournissait chaque jour un poste pour son hôtel. Un règlement des maréchaux, du 22 août 1653, assurant l'exécution de l'édit, portait des peines assez sévères contre les auteurs d'injures et d'outrages; mais comme le plus souvent des torts réciproques étaient constatés, le maréchal doyen se bornait presque tou

a Voyez tome III, p. 54, note 5, et sur le tribunal des maréchaux, le Recueil cité là, que publia, peu d'années avant la Révolution, de Beaufort, premier lieutenant de la connétablie, particulièrement tome 1, p. 86 et suivantes, et tome II, p. 3-6.

b Les maréchaux avaient dans les provinces, pour cet office, des suppléants (les gouverneurs ou les lieutenants généraux, ou même, hors des capitales, de simples gentilshommes commis par eux), mais dont les décisions n'étaient pas toujours en dernier ressort.

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Oronte et lui se sont tantót bravés

Sur certains petits vers, qu'il n'a pas approuvés;

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jours aussi à envoyer des gardes aux adversaires, à empêcher d'abord toute rencontre, puis à mander devant lui ceux qu'il avait fait surveiller, pour obtenir d'eux un acte de réconciliation. MM. de Villers, dans le Journal de leur voyage à Paris, ont laissé une courte relation d'une affaire, un peu plus grave que celle d'Alceste et d'Oronte, mais qui fut arrêtée et dénouée à peu près de même. A la date des 25 et 27 avril 1657, après avoir raconté une violente querelle survenue, dans un mail où ils jouaient (probablement celui de l'Arsenal), entre un de leurs cousins, Hollandais comme eux, et le comte de la Marck, ils donnent les détails suivants, bons, ce nous semble, à rapprocher de ces vers et du premier couplet de l'acte IV: « Nous retournâmes au logis, après avoir laissé le sieur de Speyck (leur cousin) chez un de nos amis, où il demeura caché, afin qu'il ne fût pas embarrassé d'un garde comme sa partie, qui en eut un jusques au jour de l'accommodement.... Le 27° (surlendemain de la querelle; mais Molière naturellement abrége les délais), nous fùmes mandés par un garde de la maréchaussée de venir chez M. le maréchal d'Estrées (frère de la belle Gabrielle), qui est doyen des maréchaux de France. Ayant ouï les plaintes de part et d'autre, il jugea que le comte de la Marck eût pu se passer de jeter la boule du sieur de Speyck et de lui dire qu'il sauroit son logis, et qu'aussi notre cousin l'ayant appelé fripon, il sembloit que l'injure étoit réciproque sur quoi il leur ordonna d'être amis et il les fit embrasser, voulant que nous en fissions de même. Nous le remerciâmes de la peine qu'il avoit prise, et nous nous en retournâmes au logis.

1. PHILINTE, à Alceste. (1734.)

2. CÉLIMÈNE, à Philinte. (Ibidem.)

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a Henri-Robert Échallard, par sa mère comte de la Marck, qui fut tué à Conz-Saarbrück en 1675: voyez les Lettres de Mme de Sévigné, tomes III, p. 489, et IV, p. 49.

Et l'on veut assoupir la chose en sa naissance.

ALCESTE.

Moi, je n'aurai jamais de lâche complaisance.

PHILINTE.

Mais il faut suivre l'ordre : allons, disposez-vous....

ALCESTE.

Quel accommodement veut-on faire entre nous?
La voix de ces Messieurs me condamnera-t-elle
A trouver bons les vers qui font notre querelle?
Je ne me dédis point de ce que j'en ai dit,
Je les trouve méchants.

PHILINTE.

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Mais, d'un plus doux esprit....

ALCESTE.

Je n'en démordrai point : les vers sont exécrables. 765

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Hors qu'un commandement exprès du Roi me vienne De trouver bons les vers dont on se met en peine, 770 Je soutiendrai toujours, morbleu! qu'ils sont mauvais, Et qu'un homme est pendable après les avoir faits1.

1. Sur cette boutade, qui a été racontée de Boileau, voyez à la Notice, p. 391.- « Il étoit.... assez mauvais poëte, avait dit Scarron dans le Roman comique, pour être étouffé, s'il y avoit de la police dans le Royaume. »>

are partie, chapitre vin, tome I, p. 45 et 46, de l'édition de M. Victor Fournel.

(A Clitandre et Acaste, qui rient.)

Par la sangbleu1! Messieurs, je ne croyois pas être
Si plaisant que je suis'.

Où vous devez.

CÉLIMÈNE.

Allez vite paroître

ALCESTE.

J'y vais, Madame, et sur mes pas 775

Je reviens en ce lieu, pour vuider nos débats.

1. Par le sangbleu! (1674, 82.)

2. Boileau avait été frappé de la manière dont Molière disait ce passage, et un jour, en 1702, il essaya d'en donner quelque idée à Brossette : c'est un des intéressants souvenirs que ce dernier a consignés dans le recueil de ses notes. M. Despréaux, dit-il, « a encore récité cet endroit du Misanthrope de Molière où il dit, quand on rit de sa fermeté outrée :

Par le sangbleu! Messieurs, je ne croyois pas être

Si plaisant que je suis.

Molière, en récitant cela, l'accompagnoit d'un ris amer si piquant, que M. Despréaux, en le faisant de même, nous a fort réjouis. Il a dit, en même temps, que le théâtre demandoit de ces grands traits outrés, aussi bien dans la voix, dans la déclamation, que dans le geste. »

a Voyez au tome I des OEuvres de J. Racine, p. 224 et 225, ce que Louis Racine dit du talent d'imitation qu'avait Boileau.

Dans un passage déjà en partie cité page 398 de la Notice, et qui se lit f 18 v° du manuscrit appartenant à la Bibliothèque nationale, p. 522 du volume de M. Laverdet.

FIN DU SECOND ACTE.

ACTE III.

SCÈNE PREMIÈRE.

CLITANDRE, ACASTE.

CLITANDRE.

Cher Marquis, je te vois l'âme bien satisfaite :
Toute chose t'égaye, et rien ne t'inquiète.
En bonne foi, crois-tu, sans t'éblouir les yeux,
Avoir de grands sujets de paroître joyeux ?

ACASTE.

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Parbleu! je ne vois pas, lorsque je m'examine,
Où prendre aucun sujet d'avoir l'âme chagrine.
J'ai du bien, je suis jeune, et sors d'une maison
Qui se peut dire noble avec quelque raison;
Et je crois, par le rang que me donne ma race,
Qu'il est fort peu d'emplois dont je
d'emplois dont je ne sois en passe'.
Pour le cœur, dont sur tout nous devons faire cas,
On sait, sans vanité, que je n'en manque pas,
Et l'on m'a vu pousser, dans le monde, une affaire

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1. « Passe signifie, au jeu du billard et au jeu du mail, cet archet ou porte par laquelle il faut faire passer sa bille ou sa boule. » (Dictionnaire de l'Académie, 1694.) Etre en passe se disait d'un joueur dont la bille était placée de manière à pouvoir passer par cette porte. L'expression, au sens figuré, se trouve déjà dans les Précieuses (tome II, p. 79), et dans les Fâcheux (tome III, p. 54, vers 275). Pascal, dans les Pensées a, l'a employée sans complément : « C'est un grand avantage que la qualité, qui, dès dix-huit ou vingt ans, met un homme en passe, connu et respecté, comme un autre pourroit avoir mérité à cinquante ans. »

a Edition de M. Havet, p. 70, no 15.

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