Page images
PDF
EPUB

On ne saurait les acquérir par d'autres méthodes. C'est seulement en raisonnant juste sur des connaissances exactes qu'on apprend à mépriser la fragilité des jugements hâtifs et que l'on devient conscient que tout dans notre univers n'est pas scientifiquement connaissable, qu'en matière d'art, de littérature par conséquent, le cœur et le goût ont leurs raisons que la raison ne connaît pas.

Il n'est pas concevable qu'une discipline aussi rigide imposée à l'intelligence n'affecte pas du même coup le caractère. Le souci scrupuleux de probité intellectuelle réagit sur l'idéal moral et l'étudiant appliquera spontanément au jugement des hommes et de leurs actions les habitudes de sérénité et de justice qu'il aura acquises au cours de l'étude critique des œuvres pensées et écrites.

Mais il y a mieux. L'étude de la littérature nous apprend à pénétrer l'âme et l'esprit des plus grands de nos ancêtres, des vrais prophètes de l'humanité. Ce n'est pas là, ce ne peut pas être une forme supérieure de dilettantisme. Nous croyons que, si elles sont étudiées avec tout le respect que provoque leur méditation approfondie, les plus belles pensées des hommes s'infiltrent dans nos âmes par une sorte d'osmose spirituelle et s'incorporent à notre substance.

Ce n'est point sur les seuls terrains de football que se forment les caractères. L'histoire entière de la France est là pour le prouver.

L'effort constant que nécessite la recherche de la vérité est en soi un entraînement efficace à l'énergie, à l'action. Il enseigne en outre à l'étudiant à prendre connaissance de lui-même, à être lui-même.

Ainsi, on le voit, la concentration de la volonté est une acquisition dont le bénéfice ne se restreint pas à son objet direct et momentané.

Mais pousser l'étudiant à l'effort personnel, c'est s'engager implicitement à lui faire connaître la meilleure méthode pour l'appliquer. L'effort intellectuel est une chose sacrée qu'il doit apprendre à ne pas gaspiller. Notre devoir est donc, non seulement de lui apprendre à penser, mais à penser économiquement. Tel est le souci qui nous a poussé à publier certains de nos articles qui visent avant tout à suggérer une méthode pratique de travail.

Cette méthode nous l'avons choisie, non parce qu'elle nous a paru originale, mais parce qu'elle nous a semblé la plus efficace. Il n'est d'ailleurs pas impossible que notre ignorance nous ait fourvoyé à cet égard et nous sommes loin de prétendre qu'on ne saurait utiliser pour atteindre le but que nous avons essayé de définir d'autres routes plus fleuries, voire plus directes.

On trouvera peut-être aussi que notre but lui-même est bien lointain et représente un idéal difficile à atteindre. C'est par là qu'il nous plaît. Quand un géomètre veut tracer une ligne droite il a d'autant plus de chance d'y parvenir qu'il vise un jalon plus éloigné. Si le lecteur pouvait reconnaître d'après ces quelques pages que l'enseignement d'une langue et d'une littérature peut contribuer à l'élargissement de l'intelligence et au développement du caractère, nous aurions fourni sa meilleure justification en donnant la preuve de sa fécondité.

Mais on prendra garde que ces pages reproduisent pour la plupart des cours parlés. Transcrits sur le papier ils ont perdu

ce qui en faisait peut-être le seul intérêt : ce ne sont plus que des fantômes... Inertes et refroidis ils auraient besoin d'être animés par l'ardeur qui soutient le maître, par l'atmosphère de sympathie que les étudiants britanniques ont toujours su créer autour de lui, -aide puissante et appréciée dont il se fait un devoir de les remercier.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

Quand l'article suivant a été écrit il y avait encore dans les universités anglaises certains étudiants tout jeunes qui se préparaient à passer l'examen de la « Matriculation ». Cette catégorie d'étudiants, d'une façon générale, a disparu, mais nous publions néanmoins notre essai de correction qui pourra peut-être servir encore aux professeurs de l'enseignement secondaire.

LA MORT DUN CHÊNE

COMPTE RENDU STÉNOGRAPHIE D'UN ESSAI
DE CORRECTION

La scène se passe dans la salle de cours d'une université anglaise. Le professeur va rendre compte de la première composition française de l'année. Pour ne décourager personne, car ce sont pour la plupart des élèves de première année, il l'a choisie facile. C'est une narration et fort simple: LA MORT D'UN CHÊNE. Sur la chaire une pile de copies. Les quelque trente étudiants qui sont présents semblent attendre l'heure du jugement sans

1. Il s'agit ici d'une construction, d'une synthèse. Pour l'analyse d'un sujet analogue, voir :

G. RUDLER. Une méthode de lecture et de devoir français. Une étude d'arbre. Le Français, no 221, p. 35, juin-oct. 1921.

1

trop d'angoisse. Un certain malaise se lit pourtant sur le visage d'un ou deux freshers. Ils découvrent, mais un peu tard, qu'ils ont peut-être apporté à ce devoir une hâte funeste. Mais bah! le juge n'a pas l'air bien terrible : il évite scrupuleusement les noms propres dans ses critiques : Only those whom the cap fits need wear it, et si on a parfois la menace de ce bonnet d'âne suspendue sur la tête, c'est une consolation de sentir qu'on est seul à le savoir. Puis un moment de honte est vite passé !

...

Mr. B. « Par quoi fallait-il commencer ? »

A cette question insidieuse, dix réponses partent en salve : << Par faire un plan ! » Le professeur fronce les sourcils comme les héros d'Homère. Hélas! c'est lui qui est en faute.

(Déjà !) N'a-t-il pas lui-même donné vingt fois ce conseil : << Faites d'abord un plan. » Mais ce « d'abord » était relatif : il aurait dû préciser.

Mr. B. avec un signe de dénégation énergique : « Avant le plan ? »>

Plusieurs voix. « Il fallait trouver les idées. »

« Et avant cela ? »

Ébahissement général : « Eh quoi ! c'est se moquer, remonterons-nous donc au déluge? Toutes les rhétoriques ne sontelles pas d'accord et l'invention ne précède-t-elle pas tout autre travail ? » On s'attend à une révélation.

« Il fallait lire le titre. >>

(Horrible truisme!) Le chœur des désenchantés, in petto : << Mais nous l'avons tous lu, votre titre ! »

« Oui, certes, mais en courant, et c'est là ce que je vous reproche. Le titre, c'est la source d'où jailliront vos idées.

« ՆախորդըՇարունակել »