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LE MISANTHROPE

COMÉDIE

REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS A PARIS

SUR LE THÉÂTRE DU PALAIS-ROYAL

LE 4 DU MOIS DE JUIN 1666

PAR LA

TROUPE DU ROI

NOTICE.

Le Misanthrope était déjà sur le métier en 1664, si Brossette n'a parlé que sur de bons renseignements. Il raconte1 que le jour de cette année 1664 où Boileau récita, chez le comte du Broussin, la Satire II, écrite à la louange de Molière, celui-ci fit, après cette lecture, celle du premier acte de son Misanthrope. Cette comédie et le Tartuffe auraient donc été commencés vers le même temps: éclosion presque simultanée des deux chefs-d'œuvre de notre théâtre comique. Quoi qu'il en soit, le Misanthrope ne se révéla au public que plus tard. Il fut représenté pour la première fois le 4 juin 1666, sur la scène du Palais-Royal. Le Roi et la cour en deuil (il n'y avait pas tout à fait six mois qu'Anne d'Autriche était morte2) n'eurent pas les prémices du plus noble des chefs-d'œuvre comiques, du plus digne d'être goûté par la société polie.

Il faut remarquer cependant ces vers de Subligny écrits, dans la Muse Dauphine, à la date du 17 juin, quand la pièce n'avait encore été jouée que cinq fois :

Une chose de fort grand cours3,

Et de beauté très-singulière,

Est une pièce de Molière;

Toute la cour en dit du bien.

Notons aussi ce passage de la Lettre écrite (par Donneau de Visé) sur la comédie du Misanthrope: Les courtisans «< ont

1. OEuvres de M. Boileau Despréaux, Genève, 1716, in-4o, tome I, p. 21, à la remarque 3.

2. Le 20 janvier 1666.

3. Dans l'original : « de fort grands cours ».

assez fait voir, par leurs applaudissements, qu'ils trouvoient la comédie belle1. » Si cette lettre doit être datée, comme l'affirme l'Avis du libraire 2, du premier jour après que la comédie avait paru, c'était à la première représentation que de Visé avait entendu les applaudissements qu'il atteste. Voilà donc deux témoignages de l'approbation de la cour, quoique ce spectacle n'eût pu lui être donné à Fontainebleau, où elle était alors. Probablement Grimarest n'était pas mal informé, lorsqu'il écrivait que le Misanthrope avait été lu par l'auteur à toute la cour, avant la représentation du 4 juin; il donne même ce détail qu'une de ces lectures fut faite à Madame, à qui ne plut pas le grand flandrin de vicomte, crachant dans un puits, et qui ne put décider Molière à le supprimer.

Mais, sans aucun doute, ce ne furent pas ces lectures seules qui fournirent aux courtisans l'occasion de donner leur suffrage à la pièce. Il est clair, par la Lettre de Donneau de Visé, que beaucoup d'entre eux se mêlèrent, dès la première représentation, aux spectateurs de la ville, dans la salle du Palais-Royal. Bien différent toutefois aurait pu être le succès de la comédie, s'ils l'avaient d'abord vue représentée pour eux seuls. Le jour de l'entière justice ne serait-il pas venu beaucoup plus tôt*?

Une telle œuvre, en effet, avait de quoi plaire particulièrement à ces << gens de la cour, de qui le goût est si raffiné, » ce sont les expressions mêmes de l'auteur de la Lettre (p. 430). Il est remarquable que c'est à une personne de qualité que de Visé s'adresse, et que son libraire a soin de nous dire que la lettre fut lue de « la meilleure partie de la cour. » Ainsi l'on

1. Voyez ci-après, p. 441. 2. Voyez p. 429. 3. La Vie de M. de Molière, p. 188 et 189.

4. Si l'on en croyait cependant M. Michelet", ni le Roi, ni la cour n'avaient pu être contents du Misanthrope: « Car si Alceste gronde, c'est sur la cour plus que sur Célimène ; » et «< ces mauvais choix pour les emplois publics qui révoltent Alceste, qui donc les fait, sinon le Roi?» C'est voir dans notre comédie bien des choses qu'on ne s'avisait sans doute pas d'y voir alors. Que deviennent d'ailleurs les témoignages que nous avons fait remarquer de la Muse Dauphine et de la Lettre sur le Misanthrope?

a Histoire de France, tome XIII (1860), p. 83.

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