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bigarré de différentes couleurs par les pièces qu'il y a fait mettre (5).

Le mauvais et sordide génie qui anime des hommes de ce genre asservit et avilit ses amis pour en faire ses esclaves, soit qu'il les rencontre dans l'état de simples particuliers, soit qu'il les trouve sur le trône et au nombre des rois les plus puissants.

Jamais il ne permet à ces malheureux d'employer leurs richesses à se procurer quelque jouissance ou à faire quelque dépense honorable. Ce n'est pas même dans la vue de s'en servir qu'il leur permet de les rassembler, mais pour les cacher dans des lieux obscurs et secrets d'où jamais elles ne doivent sortir.

NOTES.

(1) Dion étoit un rhéteur grec de la fin du premier et du commencement du deuxième siècle. Il étoit stoïcien, et vivoit à Rome. Il s'en exila lui-même, et se rendit chez les Thraces et les Gètes pour fuir la tyrannie de Domitien. Il fut rappelé par Nerva, et jouit de la faveur de Trajan. Le surnom de Chrysostôme, qui signifie bouche d'or, lui a été donné, ainsi qu'au père de l'Église du quatrième siècle, connu sous ce nom, à cause de son éloquence. Mais en comparant ses DISCOURS à ceux des écrivains des beaux siècles d'Athènes et de Rome, on y trouvera bien des vestiges de la décadence du goût au temps où il a vécu. Ces trois caractères sont pris de son quatrième discours DE REGNO, p. 167 et suiv. de l'édition de Reiske.

(2) Dion personnifie les qualités de l'homme qu'il veut peindre sous la forme d'un être idéal qu'il appelle DÉMON; c'est un hommage rendu à l'esprit de son siècle. Il avertit

d'ailleurs expressément qu'il faut entendre par ce démon le caractère et l'esprit individuel de chacun. « J'ai rassemblé, » dit-il à cette occasion, beaucoup de traits particuliers pour >> faire tout le contraire de ce que font les physionomistes; >> ils devinent et annoncent les mœurs et les caractères d'après » la figure; moi, je veux dessiner le portrait en peignant le caractère et les mœurs. >>

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(3) « De telles gens, dit La Bruyère, ne sont ni parents, ni amis, ni citoyens, ni chrétiens, ni peut-être des hommes; » ils ont de l'argent. >>

(4) Dion écrivoit dans un pays où la chaleur empêchoit qu'on ne fît ses affaires au milieu du jour, et dans un siècle où il étoit assez reçu de se faire porter en litière. L'avare profite des heures les plus fraîches pour faire ses affaires à pied.

(5) L'espèce d'hommes désignés dans le texte, et pour lesquels il n'y a pas de nom honnête en françois, portoit des habits de plusieurs couleurs. (Voyez Pollux, IV, 120.)

mm.

II.

LE VOLUPTUEUX.

L'ADORATEUR de la volupté est constamment occupé de son corps et des jouissances sensuelles dont il est insatiable. Loin d'écouter ce que lui commande la partie la plus noble de son être, il ne fait au contraire absolument rien pour elle. Enfoncé dans la mollesse, il hait le grand air et les travaux (1); il prend chaque jour plusieurs bains chauds, et fait usage des parfums les plus délicieux. Jamais il ne s'expose à la moindre fatigue; ses habits sont de la mollesse la plus recherchée; sa démarche et ses mouvements sont étudiés avec soin; il est entouré de serviteurs attentifs à se partager le soin d'accomplir ses désirs et de prévenir ses besoins. Il chérit cette mollesse de toute son âme ; mais ce qui fait l'objet de ses désirs les plus ardents et les plus effrénés, ce sont les jouissances de l'amour, dans lesquelles il ne respecte aucune des bornes que la nature leur a tracées. Si quelque trésor royal ou une grande fortune particulière fournit sans cesse à ses dépenses, il se roulera, jusque dans sa vieillesse, dans de longues et continuelles débauches; si sa fortune est moindre, il dissipera rapidement ce

qu'il possède; mais, tout pauvre qu'il sera, il n'en restera pas moins adonné aux plaisirs ; il sera tourmenté à la fois par le besoin et par les désirs, et ne cessera de poursuivre des jouissances qu'il ne pourra plus atteindre.

Le voluptueux, d'un caractère foible et timide, ne risque au moins que les maux, les douleurs, et le déshonneur obscur qui suivent nécessairement une telle conduite; mais le libertin, hardi et effronté, s'expose, pour assouvir ses désirs, aux amendes et aux supplices, en violant toutes les lois divines et humaines. Le premier confesse sa honte en ne se mêlant d'aucune occupation virile, et en abandonnant les affaires publiques à ceux dont la conduite est meilleure que la sienne mais le second brave la honte et les injures, parle au peuple assemblé d'une voix forte et pénétrante, comme un acteur sur le théâtre (2); et, si les suffrages s'égarent au point de le créer général ou démagogue, il jette surle-champ son vêtement efféminé, prend un habit de soldat ou d'orateur, se promène en regardant tout le monde avec impudence, et devient un délateur formidable.

:

Le génie de la volupté, représenté par un peintre fidèle, sera vêtu mollement et avec un luxe efféminé; il s'avancera d'un pas vacillant et lent, répandra partout autour de lui l'odeur des parfums et des vins ; des ris immodérés seront à tout instant sur ses lèvres. Il ressemblera à un buveur qui revient en plein jour d'une débauche nocturne, cou

ronné de fleurs fanées et la tête penchée sur l'épaule, dansant et chantant un air fade et langoureux. Il est conduit au son des timbales et des flûtes par des femmes lubriques appelées les Désirs; elles cherchent toutes à l'entraîner, et il ne résiste à aucune d'elles. L'Illusion les précède; sa tournure est agréable et séduisante; sa parure est celle d'une courtisane: elle sourit constamment, et promet une foule de jouissances, comme si elle conduisoit vers la félicité même; mais elle disparoît au bord d'un abîme où elle jette ceux qui la suivent, en les laissant se vautrer dans la fange (3).

NOTES.

(1) Je me suis permis ici, et en quelques autres endroits de ces caractères, de légères transpositions que me sembloient exiger les omissions que j'ai cru devoir faire, ou auxquelles la nature des passages me forçoit.

(2) Les théâtres des anciens étant beaucoup plus grands que les nôtres, ils exigeoient de la part des acteurs la voix que leur attribue le texte.

(3) Dion me paroît avoir emprunté quelques traits de ce caractère du Tableau de la vie humaine par Cébès, et de l'allégorie de Prodicus, d'Hercule tenté par le Vice et réclamé par la Vertu.

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