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que je ne suis point auteur de cet ouvrage; de sorte que toute cette manoeuvre tourne contre le calomniateur. Je ne connois point l'air actuel du bureau de Paris; et si ces feuilles ont pu faire impression sur quelqu'un, c'est-à-dire si quelqu'un a cru que je fusse l'auteur de cet ouvrage, que sûrement un catholique ne peut avoir fait, seroit-il à propos que je donnasse une petite réponse en une page, cum aliquo grano salis? Si cela n'est pas absolument nécessaire, j'y renonce, haïssant à la mort de faire encore parler de moi. Il faudroit que je susse si cela a quelque relation avec la Sorbonne. Je suis ici dans l'ignorance de tout; et cette ignorance me plaît assez. Tout ceci entre nous, et sans qu'il paroisse que je vous en aie écrit. Mon principe a été de ne point me remettre sur les rangs avec des gens méprisables. Comme je me suis bien trouvé d'avoir fait ce que vous voulûtes, quand vous me poussâtes, l'épée dans les reins, à composer ma Défense a, je n'entreprendrai rien qu'en conséquence de votre réponse. Huart veut faire une nouvelle édition des `Lettres persanes; mais il y a quelques juvenilia ↳ì

a Ce fut lui qui, à force de sollicitations, lui arracha, comme malgré lui, l'unique réponse qu'il ait faite aux critiques sous le titre de Défense de l'Esprit des lois, que le public a reçue comme un chef-d'oeuvre de critique et un modèle de bon goût.

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. b Il a dit à quelques amis que, s'il avoit eu à donner actuellement ces Lettres, il en auroit omis quelques unes, dans lesquelles le feu de la jeunesse l'avoit transporté; qu'obligé par son père de passer toute la journée sur le code, il s'en trouvoit

que je voudrois auparavant retoucher; quoiqu'il faut qu'un Turc voie, pense et parle en Turc, et non en chrétien: c'est à quoi bien des gens ne font point attention en lisant les Lettres persanes.

Je vois que le pauvre Clément v retombera dans l'oubli, et que vous allez quitter les affaires de Philippe le Bel pour celles de ce siècle-ci, L'histoire de mon pays y perdra, aussi-bien que la république des lettres; mais le monde politique y gagnera. Ne manquez pas de m'écrire de Vienne, et n'oubliez point de me ménager la continuation de l'amitié de M. votre frère: c'est un des militaires que je regarde comme destinés à

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le soir si excédé, que pour s'amuser, il se mettoit à composer une lettre persane, et que cela couloit de sa plume sans étude.

a Il étoit alors général-major au service d'Autriche. It fut choisi dans la dernière guerre pour quartier - maître général de l'armée de Bohême; il eut part, en cette qualité, à la victoire de Planian; et la réputation qu'il s'est faite dans les défenses mémorables de Dresde et de Schweidnitz, prouve que Montesquieu se connoissoit en hommes. Il mourut d'apoplexie à Koenigsberg, où il étoit prisonnier de guerre, dans le grade de général en chef d'infanterie, et chevalier grand'croix de l'ordre militaire de Marie-Thérèse. Elle honóra par des regrets très-marqués la perte de ce général, auquel l'ennemi même rendit les honneurs les plus distingués durant sa captivité et à sa mort; mort qu'il eût peut-être évitée, si les témoignages honorables que le roi de Prusse rendit à sa capacité après le siège de Schweidnitz, eussent été accompagnés de la grace de pouvoir aller prendre les bains, suivant la convention faite verbalement avec le général ennemi, lors de la reddition de la place.

L

faire les plus grandes choses. Adieu, mon cher ami; je vous embrasse de tout mon coeur.

De la Brède, le 4 octobre 1752.

LETTRE XLIX.

A U

MÊME.

A Vienne.

'AI reçu, mon cher comte, votre lettre de Vienne du 28 décembre. Je suis fâché d'avoir perdu ceux qui m'avoient fait l'honneur d'avoir de l'amitié pour moi. Il me reste le prince de Lichtenstein; et je vous prie de lui faire bien ma cour. J'ai reçu des marques d'amitié de M. Duval, bibliothécaire a de l'empereur, qui fait beaucoup d'honneur à la Lorraine sa patrie. Dites aussi, je vous prie, quelque chose de ma part à M. Van - Swieten: je suis un véritable admirateur de cet illustre Esculape. Je vis hier M. et madame

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a C'est-à-dire de sa bibliothèque particulière; homme d'autant plus estimable, que, né dans un état bien éloigné de la culture des lettres, il est parvenu à les cultiver,, sans secours, par la seule force du talent.

b Il savoit que c'étoit à lui que les libraires de Vienne devoient la liberté de pouvoir vendre l'Esprit des lois, dont la censure précédente des jésuites empêchoit l'introduction à Vienne: car M. le baron de Van - Swieten n'est pas seulen.ent l'Esculape

madame de Sénectère: vous savez que je ne vois plus que les pères et les mères dans toutes les familles. Nous parlâmes beaucoup de vous; ils vous aiment beaucoup. J'ai fait connoissance avec... a Tout ce que je puis vous en dire, c'est que c'est un seigneur magnifique, et fort persuadé de ses lumières: mais il n'est pas notre marquis de Saint-Germain; aussi n'est-il pas un ambassadeur piémontais b. Bien de ces têtes

de cette ville impériale par sa qualité de premier médecin de la cour, il est encore l'Apollon qui préside aux muses autrichiennes, tant par sa qualité de bibliothécaire impérial, charge qui, par un usage particulier à cette cour, est unie à celle de premier mé decin, que par celle de président de la censure des livres, et des études du pays; de sorte qu'il pourroit être en même temps le médecin des esprits, comme il l'est des corps, si le despotisme sur le Parnasse n'étoit pas trop effrayant pour les muses, et si la sévérité, lo qu'elle est trop scrupuleuse, ne rendoit pas plus ingénieux dans la contrebande des livres dangereux, comme elle prive quelquefois de ceux qui sont d'une utilité relative aux différentes professions. Quoi qu'il en soit, malgré la satyre qu'on lit dans les dialogues de Voltaire, portant également sur les fonctions des deux ministères de ce savant médecin, Vienne lui doit déjà quelques changemens utiles au bien des études; et ce poète célèbre lui doit sur-tout que son Histoire universelle soit, contre toute attente, entre les mains de tout le monde dans ce pays-là.

a Ce nom n'a pas pu se lire, l'écriture étant effacée.

b Il avoit été intimement lié avec le marquis de Breil, le commandeur de Solar son frère, et le marquis de Saint-Germain; tous les trois, ambassadeurs de Sardaigne, le premier à Vienne, les deux autres à Paris; tous les trois, hommes du premier mérite.

diplomatiques se pressent trop de nous juger; il faudroit nous étudier un peu plus. Je serois bien curieux de voir les relations que certains ambassadeurs font à leurs cours sur nos affaires internes. J'ai appris ici que vous relevâtes fort à propos l'équivoque touchant la qualification de mauvais citoyen: il faut pardonner à des ministres, souvent imbus des principes du pouvoir arbitraire, de n'avoir pas des notions bien justes sur certains points, et de hasarder des apophthegmes 2.

La Sorbonne cherche toujours à m'attaquer; il y a deux ans qu'elle travaille, sans savoir guère comment s'y prendre. Si elle me fait mettre à ses trousses, je crois que j'acheverai de l'ensevelir Þ. J'en serois bien fâché, car j'aime la paix par-dessus toutes choses. Il y a quinze jours que l'abbé Bonardi m'a envoyé un gros paquet pour mettre dans ma lettre pour vous. Comme je sais qu'il n'y a dedans que de vieilles rapsodies que vous ne liriez point, j'ai voulu vous épargner un port considérable: ainsi je garde la lettre jusqu'à votre retour, ou jusqu'à ce que vous me mandiez de

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Étant question de l'Esprit des lois à un dîner d'un ambassadeur, S. E. prononça qu'il le regardoit comme l'ouvrage d'un mauvais citoyen.,, Montesquieu mauvais citoyen! s'écria son

ami: pour moi je regarde l'Esprit des lois même comme l'ou,,vrage d'un bon sujet; car on ne sauroit donner une plus ,, grande preuve d'amour et de fidélité à ses maîtres que de les éclairer et les instruire."

"

b Il venoit de paroître un ouvrage intitulé le Tombeau de la Sorbonne, fait sous le nom de l'abbé de Prade.

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