Page images
PDF
EPUB

trouve trop bien de lui avoir rendu son amitié, pour en vouloir encore. A quoi bon l'amitié d'un homme en place qui est toujours dans la méfiance, qui ne trouve juste que ce qui est dans son systême, qui ne sait jamais faire le plus petit plaisir ni rendre aucun service? Je me trouverai mieux d'être hors de portée de lui en demander ni pour les autres ni pour moi; car je serai délivré parlà de bien des importunités:

Dulcis inexpertis cultura potentis amici:

Expertus metui.

Il faut éviter une coquette qui n'est que coquette et ne donne que de fausses espérances. Voilà mon dernier mot. Je me flatte que notre duchesse entrera dans mes raisons; son franc-aleu n'en ira ni plus ni moins.

Je suis très flatté du souvenir de M. l'abbé

Oliva a. Je me rappelle toujours avec délices

a Bibliothécaire du cardinal de Rohan à l'hôtel de Soubise, chez qui s'assembloient, un jour de la semaine, plusieurs gens de lettres, pour converser sur des sujets littéraires. Montesquieu, dans le premier voyage qu'il fit à Paris, fréquen toit cette société; mais, trouvant que le P. Tournemine vouloit y dominer, et obliger tout le monde à se plier à ses opinions, il s'en retira peu à peu, et n'en cacha pas la raison. Depuis lors, le P. Tournemine commença à lui faire des tracasseries dans l'esprit du cardinal de Fleury, au sujet des Lettres persanes. On a entendu conter à Montesquieu que, pour s'en venger, il ne fit jamais autre chose que de demander à ceux qui lui parloient, Qui est-ce que ce P. Tournemine? je n'en ai jamais entendu parler; ce qui piquoit beaucoup ce jésuite, qui aimoit passionnément la célébrité.

les momens que je passai dans la société littéraire de cet Italien éclairé, qui a su s'élever au dessus des préjugés de sa nation. Il ne fallut pas moins que le despotisme et les tracasseries d'un père Tournemine pour me faire quitter une société dont j'aurois voulu profiter. C'est une vraie perte pour les gens de lettres que la dissolution de ces sortes de petites académies libres; et il est fâcheux pour vous que celle du P. Desmolets a soit aussi culbutée. J'exige que vous m'écriviez encore avant votre départ pour Turin, et je vous somme d'une lettre dès que vous y serez arrivé. Adieu. Le 5 décembre 1750.

a On a plusieurs volumes de fort bons mémoires littéraires, lus dans cette société, recueillis par ce bibliothécaire de l'Oratoire, chez qui s'assembloient ceux qui en sont les auteurs. Les jésuites, ennemis des pères de l'Oratoire, ayant peint ces assemblées, quoique simplement littéraires, comme dangereuses à cause des disputes théologiques du temps, elles furent dissoutes, non sans un préjudice réel pour les progrès de la littérature.

LETTRE XL I.

A M.

L'ABBÉ

VENUT I.

A Bordeaux.

Il ne faut point vous flatter, mon cher abbé,

que l'abbé de Guasco vous écrive de sa main triomphante; mais si vous étiez ex-ministre des affaires étrangères, il iroit dîner chez vous pour vous consoler 2. Le pauvre homme promène son oeil sur toutes les brochures, prodigue son mauvais estomac pour toutes les invitations de dîners d'ambassadeurs, et ruine sa poitrine au service de son Cantemir bet de son Clément v; ce qui n'empêche pas qu'on ne trouve son Cantemir trèsfroid: mais c'est la faute de feu son excellence.

Il n'y a aucune apparence que j'aille en Angleterre; il y en a une beaucoup plus grande que j'irai à la Brède. J'écris une lettre de félicitation au président de la Lane sur sa réception à l'académie. Bonardi, le président de cette académie, qui est venu me raconter tous les dîners qu'il a

a Le marquis d'Argenson, ci-devant ministre des affaires étrangères, après sa démission, donnoit à dîner à ses confrères tous les jours d'assemblée d'académie, se dédommageant ainsi de son désoeuvrement avec les gens de lettres; et l'abbé de Guasco, qui venoit d'être reçu à l'académie des inscriptions, avoit été admis au nombre des convives.

b L'abbé de Guasco a traduit les satyres du prince Cantemir, ambassadeur de Russie à la cour de France.

faits depuis son retour chez tous les beaux esprits. qui dînent, avec la généalogie a des dîneurs, m'a dit qu'il adressoit sa première lettre à notre nouvel associé; et je pense que vous trouverez que cela est dans les règles. Je vois que notre académie se change en société de francs - maçons, excepté qu'on n'y boit ni qu'on n'y chante mais on y bâtit; et M. de Tourni est notre roi Hiram, qui nous fournira les ouvriers; mais je doute qu'il nous fournisse les cèdres.

Je crois que le prince de Craon est actuellement à Vienne : mais il va arriver en Lorraine; et si vous m'envoyez votre lettre, je la lui ferai tenir. Il faut bien que je vous donne des nouvelles d'Italie sur l'Esprit des lois. M. le duc de Nivernais en écrivit, il y a trois semaines, à M. de Forcalquier, d'une manière que je ne saurois vous répéter sans rougir. Il y a deux jours qu'il en reçut une autre, dans laquelle il mande que, dès qu'il parut, à Turin, le roi de Sardaigne le lut. Il ne m'est pas non plus permis de répéter ce qu'il en dit je vous dirai seulement le fait; c'est qu'il

a Plaisanterie qui fait allusion à l'étude particulière qu'un gentilhomme de Languedoc a faité de la généalogie de toutes les familles, et qui fait le sujet ordinaire des entretiens qu'il a avec les gens de lettres. L'abbé Bonardi, dans sa tournée, avoit été visiter ce gentilhomme dans son château, et s'étoit fort enrichi d'érudition généalogique, dont il ne manquoit pas de faire étalage à son retour à Paris : il alloit quelquefois en favoriser Montesquieu; ce qui l'ennuyoit beaucoup, et lui faisoit perdre des heures précieuses.

le donna pour le lire à son fils le duc de Savoie, qui l'a lu deux fois le marquis de Breil me mande qu'il lui a dit qu'il vouloit le lire toute sa vie. Il y a bien de la fatuité à moi de vous mander ceci: mais comme c'est un fait public, il vaut autant que je le dise qu'un autre; et vous concevez bien que je dois aveuglément approuver le jugement des princes d'Italie. Le marquis de Breil me mande que son altesse royale le duc de Savoie a un génie prodigieux, une conception et un bon sens admirable.

Huart, libraire, voudroit fort avoir la traduction en vers latins du docteur Clansy a du commencement du Temple de Gnide, pour en faire un corps avec la traduction italienne et l'original: voyez lequel des deux vous pourriez faire, ou de me faire copier ces vers, ou d'obtenir de l'académie de m'envoyer l'imprimé, què je vous renverrois ensuite.

C

A propos, le portrait de madame de Mirepoix a fait à Paris et à Versailles une très-grande

a Savant Anglais, entièrement aveugle; excellent poète latin qui, pendant le séjour qu'il fit à Paris, entreprit la traduction du Temple de Gnide en vers latins, mais dont il ne donna que le premier chant.

b Ouvrage de l'abbé Venuti. Il a été fait une autre traduction en italien du Temple de Guide par M. Vespasiano; celle-ci a été imprimée à Paris en 1766, in-12, chez Prault.

Ce portrait en vers, fait par Montesquieu, se trouve au septième volume de cette édition.

« ՆախորդըՇարունակել »