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mais des princes et des souverains. Ils viennent trouver cet homme dés qu'il a sifflé, ils se découvrent dés son anti-chambre, et ils ne parlent que quand on les interroge sont-ce là ces mêmes princes si pointilleux, si formalistes sur leurs rangs et sur leurs préséances, et qui consument pour les regler les mois entiers dans une diette? Que fera ce nouvel Arconte pour payer une si aveugle soûmission et pour répondre à une si haute idee qu'on a de luy? S'il se livre une bataille, il doit la gagner, et en personne; si l'ennemi fait un siege, il doit le luy faire lever, et avec honte, à moins que tout l'Océan ne soit entre luy et l'ennemi; il ne sçauroit moins faire en faveur de ses courtisans : Cesar luy-même ne doit-il pas venir en grossir le nombre? il en attend du moins d'importans services: car ou l'Arconte échouëra avec ses alliez, ce qui est plus difficile qu'impossible à concevoir, ou, s'il réussit et que rien ne luy resiste, le voilà tout porté avec ses alliez, jaloux de la religion et de la puissance de Cesar, pour fondre sur luy, pour luy enlever l'aigle et le reduire luy et son heritier à la fasce d'argent et aux païs hereditaires. Enfin c'en est fait, ils se sont tous livrez à luy volontairement, à celuy peut-être de qui ils devoient se défier davantage. Esope ne leur diroit-il pas La gent volatile d'une certaine contrée prend l'allarme et s'effraye du voisinage du lyon, dont le seul rugisLa Bruyère. II.

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sement luy fait peur; elle se refugie auprés de la bête, qui luy fait parler d'accommodement et le prend sous sa protection, qui se termine enfin à les croquer tous l'un aprés l'autre.

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M

DE LA MODE

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NE chose folle et qui découvre bien nôtre petitesse, c'est l'assujettissement aux modes quand on l'étend à ce qui con

cerne le goût, le vivre, la santé et la conscience. La viande noire est hors de mode, et, par cette raison, insipide; ce seroit pécher contre la mode que de guérir de la fiévre par la saignée ; de même l'on ne mouroit plus depuis longtemps par Theotime; ses tendres exhortations ne sauvoient plus que le peuple, et Theotime a vû

son successeur.

La curiosité n'est pas un goût pour ce qui est bon ou ce qui est beau, mais pour ce qui est rare, unique, pour ce qu'on a et ce que les autres n'ont point. Ce n'est pas un attachement à ce qui est parfait, mais à ce qui est couru, à ce qui est à la mode. Ce n'est pas un amusement, mais une passion, et souvent si violente qu'elle ne cede à l'amour et à l'ambition que par la petitesse de son objet. Ce n'est pas une passion qu'on a generale

ment pour les choses rares et qui ont cours, mais qu'on a seulement pour une certaine chose qui est rare et pourtant à la mode.

Le fleuriste a un jardin dans un faubourg, il y court au lever du soleil et il en revient à son coucher; vous le voyez planté, et qui a pris racine au milieu de ses tulippes et devant la solitaire; il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus prés, il ne l'a jamais vûë si belle, il a le cœur épanoui de joye; il la quitte pour l'orientale, de là il va à la veuve, il passe au drap d'or, de celle-ci à l'agathe, d'où il revient enfin à la solitaire, où il se fixe, où il se lasse, où il s'assoit, où il oublie de dîner; aussi est-elle nuancée, bordée, huilée, à pieces emportées; elle a un beau vase ou un beau calice; il la contemple, il l'admire; Dieu et la nature sont en tout cela ce qu'il n'admire point, il ne va pas plus loin que l'oignon de sa tulippe, qu'il ne livreroit pas pour mille écus, et qu'il donnera pour rien quand les tulippes seront negligées et que les oeillets auront prévalu. Cet homme raisonnable, qui a une ame, qui a un culte et une religion, revient chez soy fatigué, affamé, mais fort content de sa journée : il a vû des tulippes.

Parlez à cet autre de la richesse des moissons, d'une ample recolte, d'une bonne vendange, il est curieux de fruits, vous n'articulez pas, vous ne

vous faites pas entendre; parlez-luy de figues et de melons, dites que les poiriers rompent de fruit cette année, que les pesches ont donné avec abondance, c'est pour luy un idiome inconnu, il s'attache aux seuls pruniers, il ne vous répond pas; ne l'entretenez pas même de vos pruniers, il n'a de l'amour que pour une certaine espece, toute autre que vous luy nommez le fait sourire et se mocquer; il vous mene à l'arbre, cüeille artistement cette prune exquise, il l'ouvre, vous en donne une moitié et prend l'autre : « Quelle chair! dit-il, goûtez-vous cela? cela est-il divin? voilà ce que vous ne trouverez pas ailleurs. » Et là-dessus ses narines s'enflent, il cache avec peine sa joye et sa vanité par quelques dehors de modestie. O l'homme divin, en effet! homme qu'on ne peut jamais assez loüer et admirer! homme dont il sera parlé dans plusieurs siecles! que je voye sa taille et son visage pendant qu'il vit, que j'observe les traits et la contenance d'un homme qui seul entre les mortels possede une telle prune!

Un troisiéme que vous allez voir vous parle des curieux ses confreres, et sur tout de Diognete. « Je l'admire, dit-il, et je le comprends moins que jamais. Pensez-vous qu'il cherche à s'instruire par les medailles et qu'il les regarde comme des preuves parlantes de certains faits et des monumens fixes et indubitables de l'ancienne histoire? rien

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