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chère fille, quelle a été l'occasion, le progrès et les suites de l'entretien que vous avez eu avec monsieur le docteur?

PENIT. Ce fut, mon père, jeudi dernier, qu'on apporta le chanteau au logis, pour rendre demain le pain bénit.

DIRECT. Comment cela nous menera-t-il à la propriété et à l'activité ?

mon

PÉNIT. Vous le verrez, mon père : Nous venions de dîner quand les bedeaux entrèrent. Ils furent à peine sortis, que mon beaufrère me souriant: Hé bien, ma sœur, me dit-il, vous rendrez le pain bénit dimanche prochain? Il y a apparence, lui dis-je. Si l'on en juge par les apparences, repartit-il, j'oserais bien assurer que vous ne le rendrez pas. Que voulez-vous dire, frère, lui répondis-je? dans quelle pieuse distraction êtes-vous; hé ne voyez-vous pas le chanteau que les bedeaux de notre paroisse ont laissé sur la table? Le chanteau n'est rien, continuat-il, et les bedeaux encore moins. Oh, oh, lui dis-je, à qui en avez-vous donc ? cela est fort plaisant, je vous assure: plus plaisant, reprit mon beau-frère, que vous ne pensez, et que vous ne sauriez dire; mais je persiste à vous soutenir que vous ne rendrez pas dimanche le pain bénit. Vous avez donc révélation que je mourrai avant dimanche? Vous ne mourrez point pour cela, me dit-il; mais vous serez à la vérité fort embarrassée. Hé, de quoi, lui dis-je, embarrassée? c'est vraiment un grand embarras que de rendre un pain bénit! Vous avez donc, me demanda-t-il, une grande envie de le rendre? Fort grande, lui dis-je. Vous songerez à l'ordonner dès aujourd'hui? Moi, ou mes gens, ajoutaije: Et s'ils y manquaient vous en seriez fâchée? Oui en vérité. Et dimanche, poursuivit-il, vous vous préparerez à aller à l'église, vous choisirez votre offrande selon votre dévotion, et vous rendrez votre pain bénit? Qui en doute? Moi, me dit-il, en riant; et ma raison est que je ne saurais me persuader que ma belle-sœur s'expose à faire un péché, plutôt que de manquer à une pure cérémonie, et où il n'y a au plus qu'une obligation de bienséance. Comment, mon frère, un péché? je suis bien simple, et je m'aperçois bien tard que vous plaisantez, sans voir néanmoins, je vous l'avoue, sur quoi peut rouler la plaisanterie. Je parle, dit-il, fort sérieusement, ma sœur, et je vous soutiens, que songer à faire un pain bénit, songer à l'aller présenter à l'autel avec une pièce d'or, telle que vous la jugez convenable, se soumettre soi et son offrande à la bénédiction du prêtre, que tout cela est une action qui part de notre volonté pure; que l'on n'en userait pas ainsi, si l'on ne s'y était absolument déterminé soi-même; qu'il n'y a donc point là d'évacuation de notre propre action que l'esprit d'Adam se retrouve là tout entier et que

si vous en étiez tout-à-fait dépouillée, vous demeureriez sur cela dans une parfaite indifférence, et ne feriez jamais la démarche de rendre le pain bénit.

DIRECT. Ne trouvâtes-vous pas, ma fille, aisément ce qu'il fallait lui répondre?

PÉNIT. Je vous avoue, mon père, que je ne m'attendais pas å cette subtilité de mon beau-frère; je demeurai assez interdite, mais ayant un peu repris mes esprits, je crus que je pouvais luí répondre : Et afin que je connaisse si j'ai parlé juste, dites-moi, mon père, ce que vous lui auriez répondu vous-même.

DIRECT. Que la coutume, la qualité de paroissienne, l'usage, votre tour qui revenait, le chanteau, étaient des raisons plus que suffisantes pour s'acquitter de ce devoir envers votre curé et votre paroisse, qu'il ne vous fallait point d'autre indice de la volonté de Dieu, que celui-là; qu'ainsi ce genre de détermination, surtout pour une action de petite importance, ne pouvait que très-injustement, et même très-ignoramment (vous pouviez aller jusque-là), être qualifié de péché.

PÉNIT. Jeneluiai presque pas, mon père, répondu autre chose. DIRECT. Cela lui devait fermer la bouche.

PÉNIT. Au contraire, il prit occasion de ce que j'avais dit : que rendre le pain bénit, était une action presque indifférente, et qui ne méritait point, pour s'y résoudre, de mouvement extraordinaire; de me dire que je reconnaissais donc dans les hommes plusieurs genres d'actions; et il m'expliqua sa pensée, en me demandant si je ne savais pas bien distinguer les actions nécessaires et naturelles, comme manger, dormir, tousser, faire digestion, d'avec les actions libres mais indifférentes, comme parler de nouvelles, de la pluie et du beau temps, se promener dans une allée plutôt que dans une autre, et celles-ci d'avec les actions libres et mauvaises, comme parler mal de quelqu'un, voler, tuer, s'enivrer; et ces dernières encore d'avec les actions vertueuses, comme prier Dieu, donner l'aumône, empêcher la médisance, s'humilier, entendre la messe, communier. Je lui dis que je connaissais ces différences. Il me demanda si je croyais que les actions vertueuses se pouvaient faire sans la grâce de Dieu. Je n'avais garde, mon père, de parler contre nos principes, en lui répondant que la grâce n'y était pas nécessaire. Je m'avançai de lui dire que j'ignorais quelle grâce restait encore à un pécheur qui commet une action mauvaise, mais qu'il me semblait qu'il ne fallait nulle grâce particulière pour les actions purement indifférentes, encore moins pour les naturelles; pour manger, par exemple, si ce n'est, lui dis-je en riant, la grâce du bon appétit, pour dormir, celle du louable exercice. Il parut content de

et

me

mes réponses, et me pria de m'en souvenir dans l'occasion. Il revint après cela comme sur ses pas. Trouvez-vous, dit-il, votre propriété et activité dans les actions nécessaires et naturelles? Je lui répondis par un sourire.

Est-elle dans les actions indifférentes? Non, lui dis-je, car eile les rendrait mauvaises, et vous parlez des indifférentes. DIRECT. Ce que vous dites, ma fille, est très-vrai par la seule énonciation des termes.

PENIT. Il continua de m'interroger sur les mauvaises; savoir, si elles n'étaient pas telles parce qu'elles partaient d'un principe corrompu, qu'elles se faisaient sans droites intentions, et que le fond même souvent n'en valait rien, ou pour n'être pas selon l'esprit de Dieu, ou pour être formellement contraires à sa loi et à ses préceptes. Je convins de tout cela. Reconnaissez-vous, me dit-il, de la propriété et de l'activité dans ces actions mauvaises? Et où seraient-elles donc, lui repartis-je? n'est-ce pas ce principe de corruption, qui attire sur toutes les actions des hommes le propre esprit dont il faut se vider, cette propre action, ce vieil Adam qu'il faut évacuer (1)? Fort bien, dit-il; mais s'il se trouvait des actions qui partissent d'un bon principe, qui se fissent avec des intentions droites, qui fussent contraires à la loi de Dieu et à l'esprit de l'Evangile, seraient-elles selon vous des actions mauvaises? Je lui dis que non. Ni indifférentes? J'y consentis. Il conclut de là qu'elles étaient bonnes. Je croyais qu'il me demanderait si j'admettais aussi dans ces actions vertueuses de la propriété, et je songeais à lui répondre; mais voulant me donner des exemples, il parla ainsi. Un prédicateur annonce la parole de Dieu, pour avoir occasion d'y mêler la sienne; ou bien il prêche pieusement et apostoliquement, afin que tous lui rendent ce témoignage, qu'il est un homme apostolique; il fait des conversions, afin de passer pour convertisseur, pèche-t-il? ne pèche-t-il point? agit-il ou non par propriété ou activité? Je lui dis que ce prédicateur péchait, qu'il était rempli de propriété; que c'était un homme vain et hypocrite. Et celui, poursuivit-il, qui prêche uniquement pour exciter les grands et le peuple à la componction et à la pénitence, sans autre soin que de rendre nuement les paroles et la doctrine de l'Evangile? Il ne pèche pas, lui dis-je. Comment

(1) Rien n'est opposé à Dieu que la propriété, et toute la malignité de l'homme est dans cette propriété, comme dans la source de sa malice...... Cette impureté si opposée à l'union, est la propriété et l'activité : la propriété, parce qu'elle est la source de la réelle impureté, qui ne peut être alliée avec la pureté essentielle; l'activité, parce que Dieu étant dans un repos infini, il fait que l'âme pour être unie à lui, participe à son repos; sans quoi il ne peut y avoir d'union, à cause de la dissemblance. Moyen court, pag. 122.

;

aurais-je pu lui répondre autrement? Un directeur, continuat-il, dirige des femmes, et ne dirige qu'elles; il n'a d'attraits que pour ces sortes de directions; il aime ce sexe; il est touché du son de leur voix, et des sottes confidences qu'elles lui font elles l'amusent, elles remplissent sa curiosité; il ne conduit pas néanmoins ses pénitentes au déréglement. Il ne laisse pas de pécher, m'écriai-je; il est tout plein de propriété. Et le directeur; me dit-il, qui touché de l'horreur, du péril où s'exposent ces âmes chrétiennes par leurs crimes, reçoit indifféremment et sans acception de sexe, tous ceux qui se confient à sa charité, conduite et éclairée par la science, quel péché ma sœur commet-il? et de quelle propriété l'accusez-vous? Je ne sus en vérité lui répondre. Ne vous lassez pas, ajouta-t-il. Un homme qui s'étant éprouvé, selon la règle de saint Paul, communie pour communier, pour cueillir et goûter le fruit de ce sacrement, pèche-t-il? Je n'hésitai point: Il fait, mon frère, la plus grande chose qu'il y ait dans la religion, après l'oraison de simple regard. Vous êtes folle, me dit mon mari, qui était présent à toute cette conversation. Je ne lui répondis pas un mot, de peur de lui en trop dire; car il est vrai que j'ai une antipathie pour cet homme-là, qui ne me permet pas de me modérer sur chapitre.

son

personne, pas même

DIRECT. Mais, ma fille, il ne faut haïr son mari, quelque déraisonnable qu'il soit. PÉNIT. Je le hais, mon père, en Jésus-Christ, et je ne voudrais pour rien au monde lui nuire; je ne lui veux aucun mal. DIRECT. Continuez, ma fille.

PÉNIT. Un chrétien, poursuivit-il, qui communie au contraire pour communier, et aussi afin que quelqu'un, dont il ne peut autrement se concilier l'estime et la bienveillance, le voie communier? Il pèche, il pèche, lui dis-je; c'est ce qu'on appelle présentement à la cour un dévot, c'est-à-dire, un faux dévot; et c'est pour ces sortes de gens que les mots de propriété et d'activité ont été faits. Fort bien, dit-il; mais aussi convenez-vous par vos réponses qu'il y a des gens, ou plutôt qu'il y a de telles actions si épurées, si louables par les principes, , par l'intention, et encore par leur nature, qu'on peut assurer que la propriété et l'activité n'y ont nulle part, celles du moins que vous qualifiez de principe corrompu, de vieil Adam, qui n'est autre chose apparemment que ce que nous autres docteurs nous appelons une pente, une faiblesse pour le péché, un vieux levain, en un mot, la concupiscence. Si je tombe donc d'accord avec vous qu'elle est très-vive, et très-forte dans les grands pécheurs, qu'elle subsiste encore dans les per

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sonnes fragiles et qui commettent les moindres péchés; qu'elle se fait même un peu sentir dans les personnes pieuses, et qui évitent de déplaire à Dieu : avouez aussi de bonne foi, qu'elle est presque éteinte dans les âmes saintes, qui l'ont combattue et comme atterrée pendant leur vie, par les œuvres de charité et de pénitence. Quoi, mon frère, lui dis-je, voudriez-vous prétendre qu'il y a des gens impeccables? Le juste ne pèche-t-il pas sept fois le jour? Je suis bercé de cela; mais ma chère sœur s'écria-t-il, entendez ce qu'on vous dit, et qu'une concupiscence presque éteinte et comme atterrée, n'emporte point pour les saints qui sont encore en vie, ou sur la terre, une impeccabilité parfaite, semblable à celle des saints qui sont dans le terme, et qui jouissent de Dieu : j'ai pensé dire, ajouta-t-il, semblable à celle qu'on acquiert, selon vos docteurs, par l'union essentielle. Quoi donc, ma sœur, continua-t-il (car il en faut une fois revenir à ce point), n'admettez-vous pas de bonnes actions, des actions vertueuses? Sans doute, lui dis-je, et je vous l'ai déjà passé. Des actions saintes? Et ceux qui les font, ne les appelez-vous pas des saints? Je veux bien l'avouer, lui dis-je. Dites, reprit-il, que vous ne pouvez le nier; car je vous combattrais par les livres de vos docteurs; je n'en ai pas perdu la mémoire : les actions faites par un principe divin, sont des actions divines; au lieu que les actions de la créature, quelque bonnes qu'elles paraissent, sont des actions humaines, ou tout au plus vertueuses, lorsqu'elles sont faites avec la grâce. Que dites-vous de cela? Je lui répondis tranquillement que ce qui était de nos livres, appuyait mon sentiment que j'entendais par les actions vertueuses celles qui ne laissaient pas d'être des actions humaines, quelque bonnes qu'elles parussent, parce qu'elles étaient toujours des actions de la créature, sujettes par conséquent à la propriété et à l'activité. Comment, reprit-il un peu en colère, des actions vertueuses, et faites avec la grâce de Jésus-Christ, remplies de propriété et d'activité? Il en est ainsi, mon frère, lui dis-je. Donc remplies de péché; car propriété chez vous, est un péché qu'on doit expier ou en cette vie ou en l'autre. Voilà donc, mais ma pauvre sœur, vous n'y songez pas; voilà, entendez-vous bien ce que vous dites, voilà selon vous des actions vertueuses, qui ne sont pas vertueuses, de bonnes œuvres qui sont œuvres de Satan, incapables, indignes des récompenses que JésusChrist a promises, et aux mérites et aux bonnes œuvres : En vérité, ma sœur, tandis qu'on a du bon sens et qu'il nous reste une étincelle de raison, il faut dire des choses qui ne soient pas du moins entièrement contradictoires, et par là dignes de la. risée publique; et comme c'est une matière de religion, digne

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