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PÉNIT. Ah! mon père, que dites-vous là ? Quoi, sachant quelles ont été les vues de Dieu sur moi par la mission de son fils, je ne ferai pas tout ce qui est en moi pendant tout le cours de ma vie, pour y correspondre et pour achever par mes actions l'ouvrage de ma rédemption?

DIRECT. Non, ma fille, et cela mérite explication en un certain sens.

PÉNIT. Je ne m'exciterai pas à augmenter ma foi de jour en jour, à m'embraser d'une plus grande charité pour Dieu, á fortifier et renouveler mon espérance?

DIRECT. Point du tout, madame.

PÉNIT. Je ne m'étudierai pas dans toute ma conduite à discerner la volonté de Dieu, afin de l'accomplir le plus exactement qu'il me sera possible?

DIRECT. Vous n'y êtes point encore.

PÉNIT. Je ne vivrai pas dans la crainte de Dieu et dans le tremblement, incertaine comme je suis, si j'ai la grâce de Dieu ou si je ne l'ai pas ?

DIRECT. Encore moins.

PÉNIT. Mon beau-frère en effet m'aurait-il trompée? Je ne puis me le persuader.

DIRECT. Rien n'est plus certain, ma chère fille, que qui sait bien s'abandonner, sera bientôt parfait (1) sans toutes ces attentions. Voilà tout le secret : il faut se perdre et s'abîmer entièrement dans la volonté de Dieu, sans se soucier le moins du monde de savoir quelle est actuellement cette volonté. Il ne faut point s'embarrasser non plus si l'on a en soi la grâce de JésusChrist, ou si elle nous manque: qu'importe? et que quelqu'un la possède en un degré plus éminent que nous ? il faut aller jusqu'à être ravi qu'il donne aux autres toutes ses grâces, que nous en soyons entièrement dépouillés, et que nous ne faisions que de l'horreur. Vous parlez, ma fille, de foi, d'espérance et de charité; vous êtes à cent lieues de ce qu'il faut être vous parlez de vertus et de bonnes œuvres, tout de même. L'indifférence

(1) Qui sait bien s'abandonner, sera bientôt parfait. Moyen court.

Le fidèle abandon dans tout, ne voulant rien que ce que Dieu veut, et ne pouvant douter que ce qui arrive de moment en moment, ne soit l'ordre visible de Dieu, qui dispose tout cela, soit pour sa justice, soit pour sa miséricorde; qui pourrait dire jusqu'où se doit porter cet abandon? jusqu'à agir sans connaissance, ainsi qu'une personne qui n'est plus...... Ce qui est le plus nécessaire est également le plus aisé; savoir, de connaître la volonté de Dieu et c'est sans nécessité que l'on se met si fort en peine de la découvrir. La volonté de Dieu n'est autre chose, que ce qu'il permet nous arriver à chaque moment, Règle des Associés à l'enfance de Jésus.

au plus ou au moins de toutes ces choses; voilà en quoi consiste la perfection (1).

PÉNIT. Quoi, mon père, la perfection pourrait consister à n'aimer Dieu que médiocrement, et à ne presque plus espérer en lui?

DIRECT. Je ne dis pas cela: mais à ne se plus inquiéter de l'aimer peu ou beaucoup, comme d'espérer en lui, ou fermement ou faiblement. Voilà ce que je dis.

. PÉNIT. Mais, mon père, si je ne sentais plus de charité, ni aucun amour pour Dieu ?

DIRECT. Il faudrait, ma fille, s'y résoudre et prendre patience.

PÉNIT. Si je n'espérais plus en lui, et que je tombasse dans le désespoir? Cela est horrible, ce que je vous dis.

DIRECT. Il faudrait, madame, non-seulement supporter cet état horrible, mais l'aimer (2).

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(1) Vous ressentirez au dedans une sécheresse passive, des ténèbres, des angoisses, des contradictions, une répugnance continuelle, des abandonnemens intérieurs, des désolations horribles, des suggestions importunes et perpétuelles, des tentations véhémentes de l'ennemi. Enfin vous trouverez votre cœur si resserré et si plein d'amertume, que vous ne pourrez l'élever vers Dieu, ni faire un seul acte de foi, d'espérance ou d'amour. Dans cet abandonnement, vous voyant en proie à l'impatience, à la colère, à la rage aux blasphemes, aux appétits désordonnés, vous vous croirez la plus misérable, la plus criminelle et la plus détestable de toutes les créatures, dénuée de toutes les vertus, éloignée de Dieu, et condamnée à des tourmens presque égaux aux peines infernales. Mais quoique dans cette oppression il vous semble d'être orgueilleuse, impatiente et colère; ces tentations néanmoins ne remportent aucun ayantage sur vous, la vertu cachée et le don efficace de la force intérieure qui règnent en vous, étant capables de surmonter les assauts les plus vigoureux et les plus terribles. Molinos, Guid. Spirit. liv. 3, ch. 4, n. 28, 29 et 30.

Ame bienheureuse, si vous saviez combien le Seigneur vous aime et vous protège au milieu de ces tourmens..... Quelque affreuse que vous paraissiez à vos yeux, l'Auteur de tout bien vous aimera. Idem, ibid. chap. 5, n. 38.

L'abandon d'une âme spirituelle à Dieu, est un dépouillement de tout soin de nous-même pour nous laisser entièrement à sa conduite..... Pour l'abandon que l'âme spirituelle fait à Dieu tant de son intérieur que de son extérieur, son coeur demeure libre, content et dégagé. Pour la pratique, elle consiste à perdre sans cesse toute sa volonté propre dans la volonté de Dieu, à renoncer à toutes les inclinations particulières quelque bonnes qu'elles paraissent, sitôt qu'on les sent naître, afin de se mettre dans l'indifférence, et ne vouloir que ce que Dieu a voulu dans son éternité. Moyen court.

Il n'y a plus d'amour, de lumières, ni de connaissances. Livre des Torrens. (2) Vouloir bien n'être rien aux yeux de Dieu, demeurer dans un entier abandon, dans le désespoir même, se donner à lui, lorsqu'on est le plus rebuté, s'y laisser et ne se pas regarder soi-même, lorsqu'on est sur le bord de l'abyme, c'est ce qui est très-rare, et qui fait l'abandon parfait..... Cette pauvre âme est obligée, après avoir tout perdu, de se perdre elle-même par un entier désespoir. Livre des Torrens.

PÉNIT. L'aimer? aimer le désespoir ?

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DIRECT. L'aimer ma chère enfant, si du moins vous vouliez être une parfaite abandonnée.

PÉNIT. Mais, mon père, je pourrais donc par la même raison consentir à l'extinction entière de ma foi ?

DIRECT. Vous y êtes, ma fille, et vous commencez à voir les conséquences dans leurs principes.

PÉNIT. Je les vois si bien, que je conclus qu'on peut se résigner à la perte de toute la perfection, et de toute la sainteté où l'on peut parvenir en cette vie.

DIRECT. Comment l'entendez-vous?

PÉNIT. Ne m'avez-vous pas parlé ainsi de l'état sublime où une âme se trouve élevée par l'oraison du simple regard?

DIRECT. Oh sans doute!

PÉNIT. Ne l'appelez-vous pas oraison de foi, nudité de foi, un acte de foi pure?

DIRECT. Jamais autrement, ma fille.

PÉNIT. N'est-ce pas, mon père, dans ce premier et seul acte que l'on ne réitère plus, et dont les autres actes qui pourraient échapper à l'âme, ne sont que la continuation, que consiste le parfait abandonnement, et l'entière résignation à la volonté de Dieu ?

DIRECT. Cela est ainsi.

PÉNIT. Concluez donc vous-même que c'est uue conséquence de ce premier acte d'un parfait abandonnement qui n'est autre chose que l'oraison de foi pure et de nudité de foi, que l'âme peut non-seulement consentir à l'extinction de sa charité et de son espérance, mais même de sa propre foi, et qu'il arrive en elle que c'est par la foi du simple regard; je veux dire, que c'est à force de foi qu'elle est même contente de n'en avoir plus, qu'elle est indifférente à en avoir, ou à n'en avoir pas.

DIRECT. Hé bien, ma fille, quelle merveille y a-t-il à cela? PÉNIT. La merveille, mon père, est que par nos propres principes, cette sublimité de notre éțat, sans laquelle nous sommes réduits à rien, nous la perdons gaîment et avec la dernière indifférence, et qu'à force d'abandonnement, nous pourrions déchoir aux complaisances de l'abandonnement même, et tomber dans le vice opposé. Ce qui me paraît obscur et impliqué, je vous l'avoue.

DIRECT. Est-ce là, madame, tout ce que monsieur le docteur vous a appris sur ce sujet ? Je vais le mener plus loin, et s'il était ici, je lui ferais bien voir du pays.

PÉNIT. Je vous l'amènerai, mon père, je vous l'ai promis.

DIRECT. Qui lui dirait, madame, qu'il faut que l'âme qui tend

'à la plus haute perfection (1), se resolve de perdre absolument toute volonté propre, qu'elle renonce à toutes inclinations particulières quelque bonnes qu'elles soient, sitôt qu'elle les sent naître, pour se mettre dans l'indifférence : qu'elle ne doit pas affecter la pratique d'aucune vertu choisie entre plusieurs qu'elle

(1) Pour la pratique, elle doit être de perdre sans cesse sa volonté propre, de renoncer à toutes les inclinations particulières, quelques bonnes qu'elles paraissent, sitôt qu'elle les sent naître pour se mettre dans l'indifférence. Moyen court.

Il n'y a point pour cette âme abandonnée, de malignité en quoi que ce soit : Elle est tellement anéantie, que cet abandonnement ne lui laisse aucune propriété, et que la seule propriété peut causer le péché ; car quiconque n'est plus, ne peut plus pécher. Livre des Torrens.

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Notre Seigneur commence à dépouiller l'âme peu à peu, à lui ôter ses ornemens tous ses dons, grâces et faveurs : Ensuite il lui ôte toute facilité au bien. Après quoi il lui ôte la beauté de son visage, qui sont comme les divines vertus qu'elle ne saurait plus pratiquer...... Tout pouvoir lui est ôté..... C'est une chose horrible qu'une âme ainsi nue des dons de Dieu. Mais c'est encore peu, si elle conservait sa beauté ; mais il la fait devenir laide et la fait perdre, Jusques ici l'âme s'est bien laissée dépouiller des dons, grâces, faveurs, facilité au bien, elle a perdu toutes les bonnes choses, comme les austérités, le soin des pauvres, la facilité à aider le prochain, mais elle n'a pas perdu les divines vertus. Cependant ici il les faut perdre quant à l'usage. Explication du Cantique des Cantiques.

L'âme bien loin d'être oisive, fait un acte universel et très-excellent, et suspend ses actes particuliers pour s'absorber en Dieu seul. Si Dieu par un secours surnaturel, la met dans l'état passif au regard de lui-même, elle se trouve encore plus élevée. Malaval, Pratique facile.

Il faut vous détacher de quatre choses pour parvenir à une cinquième, qui est la fin de la science Mystique. 1. Des Créatures. 2. Des choses temporelles. 3. Des dons du Saint-Esprit. 4. De vous-même. 5. Et vous perdre enfin en Dieu. Molinos. Guid. Spirit. liv. 3, chap. 18, n. 183.

Elle ne saurait lui rien demander ni rien désirer de lui, à moins que ce ne fût lui-même, qui lui en donnât le mouvement; non qu'elle méprise et rejette les consolations divines, mais c'est que ces sortes de grâces ne sont plus guères de saison pour une âme aussi anéantie qu'elle l'est, et qui est établie dans la jouissance du Centre, et qui ayant perdu toute volonté dans la volonté de Dieu, ne peut plus rien vouloir. Explication du Cantique des Cantiques.

Une âme spirituelle doit être indifférente à toutes choses, soit pour le corps, soit pour l'âme ou pour les biens temporels et éternels; laisser le passé dans l'oubli, et l'avenir à la providence de Dieu, et lui dénier le présent. Moyen

court.

Une âme spirituelle ne doit point s'amuser à réfléchir sur ce qu'elle opère ni à penser si elle met en pratique, ou non, les vertus, Falconi, Lett. à une Fille spirit.

Dans le vide volontaire de la contemplation, il y a un détachement de tout ce qui n'est pas Dieu, et même de ses grâces et de ses faveurs, pour s'attacher inviolablement à lui seul, Malaval, Pratique facile.

Si l'on lit à ces âmes abandonnées de se confesser, elles le font, car elles sont très-soumises : mais elles disent de bouche ce qu'on leur fait dire, comme un petit enfant à qui l'on dirait: Il faut vous confesser de cela, il le dit sans connaître ce qu'il dit, sans savoir si cela est, ou non, sans reproches, sans remords ; car ici l'âme ne peut trouver de conscience, et tout est tellement per

doit être indifférente à toutes vertus, flotter entre la vertu et le vice, et attendre le bon plaisir de Dieu, à qui seul il appartient d'en ordonner : qu'elle doit porter cette indifférence jusques aux choses qui concernent son âme, aux biens spirituels, à sa prédestination, à son éternité : qu'elle ne doit point demander à Dieu d'être délivrée des tentations, d'éviter le mal, et de persévérer dans le bien qu'elle doit être franche de tout remords d'avoir péché, sans être le moins du monde alarmée de ses chutes, ni inquiète des scandales qu'elle a pu donner, parce qu'elle a oublié le passé, qu'elle remet l'avenir à la Providence, contente de l'état bon ou mauvais où elle se trouve actuellement, et à chaque moment de sa vie par la volonté infaillible de Dieu, à laquelle elle est parfaitement résignée. O mystère ineffable de cette résignation totale aux décrets divins et irrévocables! Serez-vous toujours si peu connu des hommes? Ne concevront-ils jamais que le rien est disposé à tout ce que Dieu voudra? Que qui ne désire rien, ne fait élection de rien, ne refuse rien; que le rien est rien, encore rien et toujours rien?

Voilà l'état de l'âme dans le parfait anéantissement, où elle est entrée depuis qu'elle a abandonné à Dieu son libre arbitre : elle ne doit plus, elle ne peut plus rien penser, rien vouloir et rien faire; elle laisse tout faire à Dieu. Plus de retour sur ellemême, plus d'attention à la récompense ou à la punition. C'est à elle une grâce singulière de ne plus penser à ses défauts. Elle agit alors sans connaissance, elle oublie Dieu et soi-même. Que dirait à tout cela monsieur le docteur?

PÉNIT. Hélas! mon père, je ne sais pas précisément ce qu'il pourrait dire; mais je suis assurée que s'il était en ma place, il serait bien moins embarrassé que je ne le suis car après vous avoir entendu parler tous deux, je conclurais presque qu'il faut qu'il y ait deux religions chrétiennes, que Jésus-Chrit ait laisdu en elle, qu'il n'y a plus chez elle d'accusateur; elle demeure contente sans en chercher. Livre des Torrens.

L'âme qui est arrivée à ce degré, entre dans les intérêts de la divine Justice, et à son égard et à celui des autres d'une telle sorte, qu'elle ne pourrait vouloir d'autre sort pour elle, ni pour autre quelconque que celui que cette divine Justice lui voudrait donner pour le temps et pour l'éternité. Explication du Cantique des Cantiques.

Qui pourrait dire jusqu'où se doit porter cet abandon? Jusqu'à agir sans connaissance, ainsi qu'une personne qui n'est plus. Règle des Associés à l'Enfance de Jésus.

Elle ne leur laisse pas l'ombre d'une chose qui se puisse nommer en Dien ni hors de Dieu. Livre des Torrens.

L'âme ne se sent plus, ne se voit plus, ne se connaît plus; elle ne voit rien de Dieu, n'en comprend rien, n'en distingue rien; il n'y a plus d'amour, de lumières, ni de connaissance. Ibidem.

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