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c'est la débauche, c'est l'ivrognerie, c'est la brutalité, c'est la haine, c'est le désespoir, ce sont toutes les maladies et les difformités de ces volontés trop âpres et trop dures, c'est la ménagerie forcenée de toutes les passions. Non qu'il les déchaîne; ce rude bourgeois dogmatique et chrétien manie plus vigoureusement qu'aucun de ses confrères le gros gourdin de la morale. C'est un policeman mangeur de bœuf qui s'est chargé d'instruire et de corriger des boxeurs ivrognes. D'un tel homme à de tels hommes, les ménagements seraient de trop. Au bas de chaque cage où il enferme un vice, il en inscrit le nom, il y ajoute la condamnation prononcée par l'Écriture; il l'étale dans sa laideur, il l'enfonce dans son ordure, il le traîne à son supplice, en sorte qu'il n'y a pas de conscience si faussée qui ne le reconnaisse, ni de conscience si endurcie qui ne le prenne en horreur.

Regardez bien, voici des leçons qui portent celle-ci est contre le gin. Sur un escalier, en pleine rue, gît une femme ivrogne, à demi nue, les seins pendants, les jambes scrofuleuses; elle sourit idiotement, et son enfant, qu'elle laisse tomber sur le pavé, se brise le crâne. Audessous un pale squelette, les yeux clos, s'affaisse tenant en main son verre. A l'entour l'orgie et le délire précipitent l'un contre l'autre des spectres déguenillés. Un misérable qui s'est pendu vacille dans une mansarde. Des fossoyeurs mettent au cercueil un cadavre de femme nue. Un affamé ronge côte à côte avec un chien un os qui n'a plus de viande. A côté de lui, des petites filles trinquent, et une jeune femme fait avaler du gin à son enfant à la mamelle. Un fou embroche son enfant, l'emporte; il danse en riant, et la mère le voit.

Encore un tableau et une leçon, cette fois contre la

cruauté. Le jeune homme barbare, devenu assassin, a été pendu, et on le dissèque. Il est là sur une table, et le président, tranquillement, indique de sa baguette les endroits où il faut travailler. Sur ce geste les opérateurs taillent et tirent. L'un est aux pieds; le second homme expert, vieux boucher sardonique, empoigne un couteau d'une main qui fera bien son office, et fourre l'autre dans les entrailles qu'on dévide plus bas pour les mettre dans un seau. Le dernier carabin extirpe l'œil, et la bouche contractée a l'air de hurler sous sa main. Cependant un chien attrape le cœur qui traîne à terre; des fémurs et des cranes bouillent en manière d'accompagnement dans une chaudière, et les docteurs tout alentour échangent de sang-froid des plaisanteries chirurgicales sur le sujet qui, morceau par morceau, va s'en aller sous leur scalpel.

Vous direz que des leçons de ce goût sont bonnes pour des barbares et que vous n'aimez qu'à demi ces prédicateurs officiels ou laïques, Defoe, Hogarth, Smollett, Richardson, Johnson et les autres; je réponds que les moralistes sont utiles, et que ceux-ci ont changé une barbarie en civilisation,

CHAPITRE VII

LES POÈTES

Comment il a son centre

I. Domination et domaine de l'esprit classique. Ses caractères, ses œuvres, sa portée et ses limites. dans Pope.

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Les

II. Pope. Son éducation. Sa précocité. Ses débuts. Pastorales. - L'Essai sur la critique.-Sa personne. Son genre de vie. Son caractère. Pauvreté de ses passions et de ses idées. Grandeur de sa vanité et de son talent. Sa fortune indépendante et son travail assidu. III. L'Epitre d'Héloïse à Abeilard. sions dans la poésie artificielle.

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Ce que deviennent les pasLa boucle de cheveux enlevée.

Le monde et le langage du monde en France et en Angleterre. En quoi le badinage de Pope est pénible et déplaisant. — La Sottisiade. Saletés et banalités. En quoi l'imagination

anglaise et l'esprit de salon sont inconciliables. IV. Son talent descriptif. Son talent oratoire. didactiques. Pourquoi ces poèmes sont

prit classique. L'Essai sur l'homme. timisme. Valeur de ces conceptions.

Ses poèmes

l'œuvre finale de l'es

Son déisme et son op

Comment elles sont

Excel

Sa

liées au style régnant. Comment elles se déforment sous les mains de Pope. Procédés et perfection de son style. lence de ses portraits. - Pourquoi ils sont supérieurs. traduction de l'Iliade. En quoi le goût a changé depuis un siècle.

V. Disproportion de l'esprit anglais et des bienséances classiques. Prior. Gay. La pastorale antique est impossible dans les climats du Nord. Le sentiment de la campagne est naturel en Angleterre. Thomson.

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VI. Discrédit de la vie de salon. - Apparition de l'homme sensible. Pourquoi le retour à la nature est plus précoce en Angleterre qu'en France. Sterne. Richardson. Mackenzie. Macpherson. Gray, Akenside, Beattie, Collins, Young, Shenstone. - Persistance de la forme classique. - Empire de la période.

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Robertson, Gibbon, Hume. Commencements de l'âge mo

Lorsqu'on embrasse d'un coup d'œil la vaste région littéraire qui s'étend en Angleterre depuis la restauration des Stuarts jusqu'à la révolution française, on s'aperçoit que toutes les productions, indépendamment du caractère anglais, y portent l'empreinte classique, et que cette empreinte, particulière à ce territoire, ne se rencontre ni dans celui qui précède ni dans celui qui suit. Cette forme régnante de pensée s'impose à tous les écrivains, depuis Waller jusqu'à Johnson, depuis Hobbes et Temple jusqu'à Robertson et Hume; il y a un art auquel ils aspirent tous; le travail de cent cinquante années, pratique et théorie, inventions et imitations, exemples et critiques, s'emploient à l'atteindre. Ils ne comprennent qu'une seule espèce de beauté; ils n'établissent de préceptes que ceux qui peuvent la produire; ils récrivent, traduisent et défigurent sur son patron les grandes œuvres des autres siècles; ils l'importent dans tous les genres littéraires, et y réussissent ou y échouent selon qu'elle s'y adapte ou qu'elle ne peut s'y accommoder. La domination de ce style est si absolue, qu'elle s'impose aux plus grands, et les condamne à l'impuissance quand ils veulent l'appliquer hors de son domaine. La possession de ce style est si universelle, qu'elle se rencontre dans les plus médiocres, et les élève jusqu'au talent

quand ils l'appliquent dans son domaine1. C'est lui qui porte à la perfection la prose, le discours, l'essai, la dissertation, la narration, et toutes les œuvres qui font partie de la conversation et de l'éloquence. C'est lui qui détruit l'ancien drame, abaisse le nouveau, appauvrit et détourne la poésie, produit l'histoire correcte, agréable, sensée, décolorée et à courtes vues. C'est cet esprit qui, commun à ce moment à l'Angleterre et à la France, imprime son image dans la diversité infinie des œuvres littéraires, en sorte que, dans son ascendant partout visible, on ne peut s'empêcher de reconnaître la présence d'une de ces forces intérieures qui ploient et règlent le cours du génie humain.

Il n'y a point de genre où il se montre plus manifestement que dans la poésie, et il n'y a point de moment où il apparaisse plus nettement que sous la reine Anne. Les poètes viennent d'atteindre l'art qu'ils avaient entrevu. Depuis soixante ans, ils s'en approchaient; à présent ils le tiennent, ils le manient, déjà ils l'usent et l'exagèrent. Le style se trouve du même coup achevé et artificiel. Ouvrez le premier venu, Parnell ou Philips, Addison ou Prior, Gay ou Tickell, vous trouvez un certain tour d'esprit, de versification, de langage. Passez au second, ce même tour reparaît; on dirait qu'ils se sont copiés l'un l'autre. Parcourez un troisième même diction, mêmes apostrophes, même façon de poser l'épithète et d'arrondir la période. Feuilletez toute la troupe; avec de

1. Une femme de chambre sous Louis XIV, dit Courier, écrivait mieux que le plus grand écrivain d'aujourd'hui.

2. Voir Table des auteurs, p. 440.

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