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anthropie, cynique par bravade, c'est toujours l'humeur triste et militante qui le déchaîne; la volupté méridionale ne l'a point conquis; il n'est épicurien que par contradiction et par instants. « Donnez-nous du vin, des femmes, de la gaieté, des éclats de rire, demain des sermons et de l'eau de Seltz. L'homme étant un être raisonnable, doit se griser. Le meilleur de notre vie n'est qu'ivresse1. Je voudrais être argile autant que je

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suis sang, moelle, passion et sensation, - parce qu'alors le passé serait passé. Mais hier je me suis grisé à force,

et il me semble que je marche sur le plafond. » Vous voyez bien qu'il est toujours le même, excessif et malheureux, occupé à se détruire. Son Don Juan aussi est une débauche; il s'y amuse outrageusement aux dépens de toutes les choses respectées, comme un taureau dans une boutique de glaces. Il y est toujours violent, et maintes fois il est féroce; la noire imagination amène, entre ses récits d'amour, les horreurs lentement savourées, le désespoir et la famine des naufragés, et le desséchement de ces squelettes enragés qui se mangent les uns les autres. y rit horriblement, comme Swift; bien mieux, il y bouffonne, comme Voltaire. « On voulut manger le second comme plus gras; mais il avait beaucoup de répugnance pour cette sorte de fin. Pourtant ce qui le

1.

....

The odds are that he finds a handsome urn
To his memory and two or three young misses
Born to some friend, who holds his wife and riches
And that his Argus bites him by the breeches.

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Let us have wine and women, mirth and laughter.
Sermons and soda-wather the day after.

Man, being reasonable, must get drunk:
The best of life his but intoxication....

sauva, ce fut un petit présent qui lui avait été fait à Cadix -par une souscription générale des dames'. » Pièces en main2, il y suit avec une exactitude de chirurgien tous les pas de la mort, l'assouvissement, la rage, le délire, les hurlements, l'épuisement, la stupeur; il veut toucher et montrer la vérité extrème et prouvée, le dernier fonds grotesque et hideux de l'homme. Voyez encore l'assaut d'Ismaïl, la mitraille et la baïonnette, les massacres dans les rues, les cadavres employés comme fascines, et les trente-huit mille Turcs égorgés. Il y a du sang assez pour rassasier un tigre, et ce sang coule parmi les calembours; c'est pour railler la guerre et les boucheries décorées du nom d'exploits. Dans cet impitoyable et universel écrasement de toutes les vanités humaines, qui est-ce qui subsiste? De quoi sommes-nous avertis, sinon « que la vie est un néant et que les hommes ne valent pas des chiens»? Qu'est-ce qu'il découvre dans la science, sinon ses lacunes, et dans la religion, sinon ses momeries? Garde-t-il au

1.

And next they thought upon the master's mate,

As fattest; but he saved himself, because,
Besides being much averse from such a fate,
There were some other reasons: the first was

He had been rather indisposed of late;

And that which chiefly proved his saving clause,
Was a small present made to him at Cadiz,

By general subscription of the ladies.

2. Il avait sous les yeux une douzaine de descriptions authentiques.

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Ye may

Read, or read not, what I am now essaying

To show ye what ye are in every way.

4. Voyez Vision of Judgment.

moins la poésie? De la draperie divine, dernier vètement qu'un poète respecte, il fait un chiffon qu'il foule et tord et troue de gaieté de cœur. Au moment le plus touchant des amours d'Haydée, il lâche une pantalonnade. Il achève une ode par des caricatures. Il est Faust dans le premier vers et Méphistophélès dans le second. Il arrive au milieu des tendresses ou des meurtres avec des drôleries de petit journal, avec des trivialités, des cancans, avec des injures de pamphlétaire et des bigarrures d'Arlequin. Il met à nu les procédés poétiques, se demande où il en est, compte les stances déjà faites, gouaille la Muse, Pégase et toute l'écurie épique, comme s'il n'en donnait pas deux sous. Encore une fois, que reste-t-il? Lui-même, et lui seul, debout sur tous ces débris. C'est lui qui parle ici; ses personnages ne sont que des paravents: même, la moitié du temps, il les écarte pour occuper la scène. Ce sont ses opinions, ses souvenirs, ses colères, ses goùts qu'il nous étale; son poème est une conversation, une confidence, avec les hauts, les bas, les brusqueries et l'abandon d'une conversation et d'une confidence, presque semblable aux mémoires dans lesquels le soir, à sa table, il se livrait et s'épanchait. Jamais on n'a vu dans un si clair miroir la naissance d'une vive pensée, le tumulte d'un grand génie, le dedans d'un vrai poète, toujours passionné, inépuisablement fécond et créateur, en qui éclosent subitement coup sur coup, achevées et parées, toutes les émotions et toutes les idées humaines, les tristes, les gaies, les hautes, les basses, se froissant, s'encombrant comme des essaims d'insectes qui s'en vont bourdonner et pâturer dans la fange et dans les fleurs. Il peut dire tout ce qu'il veut; bon gré, mal gré, on l'écoute; il a beau sauter du sublime au burlesque, on y saute avec

lui. Il a tant d'esprit, de l'esprit si neuf, si imprévu, si poignant, une si étonnante prodigalité de science, d'idées, d'images ramassées des quatre coins de l'horizon, en tas et par masses, qu'on est pris, emporté par delà toutes bornes, et qu'on ne peut pas songer à résister. Trop fort et partant effréné, voilà le mot qui à son endroit revient toujours trop fort contre autrui et contre lui-même, et tellement effréné qu'après avoir employé sa vie à braver le monde et sa poésie à peindre la révolte, il ne trouve l'achèvement de son talent et le contentement de son cœur que dans un poème armé contre toutes les conventions humaines et contre toutes les conventions poétiques. A vivre ainsi, on est grand, mais on devient malade. Il y a une maladie de cœur et d'esprit dans le style de Don Juan, comme dans celui de Swift. Quand un homme bouffonne au milieu de ses larmes, c'est qu'il a l'imagination empoisonnée. Cette sorte de rire est un spasme, et vous voyez venir chez l'un l'endurcissement ou la folie, chez l'autre l'excitation ou le dégoût. Byron s'épuisait, du moins le poète s'épuisait en lui. Les derniers chants du Don Juan trainaient; la gaieté devenait forcée, les escapades se tournaient en divagations; le lecteur sentait approcher l'ennui. Un nouveau genre qu'il avait essayé avait fléchi sous sa main; il n'avait atteint dans le drame qu'à la déclamation puissante, ses personnages ne vivaient pas; quand il quitta la poésie, la poésie le quittait; il alla chercher l'action en Grèce et n'y trouva que la mort.

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VI

Ainsi vécut et finit ce malheureux grand homme; la maladie du siècle n'a pas eu de plus illustre proie. Autour de lui, comme une hécatombe, gisent les autres, blessés aussi par la grandeur de leurs facultés et l'intempérance de leurs désirs, les uns éteints dans la stupeur ou l'ivresse, les autres usés par le plaisir ou le travail, ceux-ci précipités dans la folie ou le suicide, ceux-là rabattus dans l'impuissance ou couchés dans la maladie, tous secoués dans leurs nerfs exaspérés ou endoloris, les plus forts portant leur plaie saignante jusqu'à la vieillesse, les plus heureux ayant souffert autant que les autres, et gardant leurs cicatrices, quoique guéris. Le concert de leurs lamentations a rempli tout le siècle, et nous nous sommes tenus autour d'eux, écoutant notre cœur qui répétait leurs cris tout bas. Nous étions tristes comme eux, et enclins comme eux à la révolte. La démocratie instituée excitait nos ambitions sans les satisfaire; la philosophie proclamée allumait nos curiosités sans les contenter. Dans cette large carrière ouverte, le plébéien souffrait de sa médiocrité et le sceptique de son doute; le plébéien, comme le sceptique, atteint d'une mélancolie précoce et flétri par une expérience prématurée, livrait ses sympathies et sa conduite aux poètes, qui disaient le bonheur impossible, la vérité inaccessible, la société mal faite, et l'homme avorté ou gâté. De ce concert, une idée sortit, centre de la littérature, des arts et de la religion. du siècle c'est qu'il y a quelque disproportion mons

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