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Wharton.

Argument contre l'abolition du christianisme.

L'invective politique. La diffamation personnelle. Le bon sens incisif. L'ironie grave.

IV. Le poète.

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Comparaison de Swift et de Voltaire. Sérieux et

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Bickerstaff.

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Rudesse de sa galan

Sa poésie prosaïque et réaliste.

La grande question débattue. Énergie et tristesse de ses petits poèmes. Vers sur sa propre mort.

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A quels excès il

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gement sur la religion, la science, la philosophie et la raison. Comment il diffame l'intelligence humaine.

Gulliver.

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Son jugement sur la société, le gouvernement, les
Comment il diffame la nature hu-
Construction de son caractère

conditions et les professions.
maine. Derniers pamphlets.
et de son génie.

En 1685, dans la grande salle de l'université de Dublin, les professeurs occupés à conférer les grades de bachelier eurent un singulier spectacle: un pauvre écolier, bizarre, gauche, aux yeux bleus et durs, orphelin, sans amis, misérablement entretenu par la charité d'un oncle, déjà refusé pour son ignorance en logique, se présentait une seconde fois sans avoir daigné lire la logique. En vain son tutor lui apportait les in-folio les plus respectables Smeglesius, Keckermannus, Burgersdicius. Il en feuilletait trois pages, et les refermait au plus vite. Quand vint l'argumentation, le proctor fut obligé de lui mettre ses arguments en forme. On lui demandait comment il pourrait bien raisonner sans les règles; il répondit qu'il raisonnait fort bien sans les règles. Cet excès de sottise fit scandale; on le reçut pourtant, mais à grand'peine, speciali gratia, dit le registre, et les professeurs s'en allèrent, sans doute avec des risées de pitié, plaignant le cerveau débile de Jonathan Swift 1.

1. Voir Table des auteurs, p. 437.

Ce furent là sa première humiliation et sa première révolte. Toute sa vie fut semblable à ce moment, comblée et ravagée de douleurs et de haines. A quel excès elles montèrent, son portrait et son histoire peuvent seuls l'indiquer. Il eut l'orgueil outré et terrible, et fit plier sous son arrogance la superbe des tout-puissants ministres et des premiers seigneurs. Simple journaliste, ayant pour tout bien un petit bénéfice d'Irlande, il traita avec eux d'égal à égal. M. Harley, le premier ministre, lui ayant envoyé un billet de banque pour ses premiers articles, il se trouva offensé d'être pris pour un homme payé, renvoya l'argent, exigea des excuses; il les eut, et écrivit sur son journal « J'ai rendu mes bonnes grâces à M. Harley 1. » Un autre jour, ayant trouvé que Saint-John, le secrétaire d'État, lui faisait froide mine, il l'en tança rudement : « Je l'avertis que je ne voulais pas être traité comme un écolier, que tous les grands ministres qui m'honoraient de leur familiarité devaient, s'ils entendaient ou voyaient quelque chose à mon désavantage, me le faire savoir en termes clairs, et ne point me donner la peine de le deviner par le changement ou la froideur de leur contenance. ou de leurs manières; que c'était là une chose que je supporterais à peine d'une tête couronnée, mais que je ne trouvais pas que la faveur d'un sujet valut ce prix; que j'avais l'intention de faire la mème déclaration à milord.

1. I have taken M. Harley into favour again

garde des sceaux et à M. Harley, pour qu'ils me traitassent en conséquence1. » Saint-John l'approuva, se justifia, dit qu'il avait passé plusieurs nuits à travailler, une nuit à boire, et que sa fatigue avait pu paraître de la mauvaise humeur. Dans le salon de réception, Swift allait causer avec quelque homme obscur et forçait les lords à venir le saluer et lui parler. « M. le secrétaire d'État me dit que le duc de Buckingham désirait faire ma connaissance; je répondis que cela ne se pouvait, qu'il n'avait pas fait assez d'avances. Le duc de Shrewsbury dit alors qu'il croyait que le duc n'avait pas l'habitude de faire des avances. Je dis que je n'y pouvais rien, car j'attendais toujours des avances en proportion de la qualité des gens, et plus de la part d'un duc que de la part d'un autre homme2. » Il triomphait dans son arrogance, et

1. I will not see him (M. Harley) till he makes amends.... I was deaf to all entreaties, and have desired Lewis to go to him, and let him know that I expected further satisfaction. If we let these great ministers pretend too much, there will be no governing them....

One thing I warned him of, never to appear cold to me, for I would not be treated like a school-boy; that I expected every great minister who honoured me with his acquaintance, if he heard or saw anything to my disadvantage, would let me know in plain words, and not put me in pain to guess by the change or coldness of his countenance or behaviour; for it was what I would hardly bear from a crowned head; and I thought no subject's favour was worth it; and that I designed to let my lord Keeper and M. Harley know the same thing, that they might use me accordingly.

2. Mr secretary told me the duke of Buckingham had been talking much to him about me, and desired my acquaintance. I answered it could not be, for he had not made sufficient advances. Then the duke of Shrewsbury said he thought the duke was not used to make advances. I said I could not help that. For I always expected advances in proportion to men's quality, and more from a duke than from any other man.

I saw lord Halifax at court, and we joined and talked, and the duchess of Shrewsbury came up and reproached me for not dining

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disait avec une joie contenue et pleine de vengeance : « On passe là une demi-heure assez agréable1». Il allait jusqu'à la brutalité et la tyrannie; il écrivait à la duchesse de Queensbury : « Je suis bien aise que vous sachiez votre devoir; car c'est une règle connue et établie depuis plus de vingt ans en Angleterre, que les premières avances m'ont constamment été faites par toutes les dames qui aspiraient à me connaître, et plus grande était leur qualité, plus grandes étaient leurs avances. » Le glorieux général Webb, avec sa béquille et sa canne, montait en boitant ses deux étages pour le féliciter et l'inviter; Swift acceptait, puis, une heure après, se désengageait, aimant mieux diner ailleurs. Il semblait se regarder comme un être d'espèce supérieure, dispensé des égards, ayant droit aux hommages, ne tenant compte ni du sexe, ni du rang, ni de la gloire, occupé à protéger et à détruire, distribuant les faveurs, les blessures et les pardons. Addison, puis lady Giffard, une amie de vingt ans, lui ayant manqué, il refusa de les reprendre en grâce, s'ils ne lui demandaient pardon. Lord Lansdowne, ministre de la guerre, s'étant trouvé blessé d'un mot dans l'Examiner, « je fus hautement irrité, dit Swift,

with her. I said that was not so soon done, for I expected more advances from ladies, especially duchesses. She promised to comply.... Lady Oglethorp brought me and the duchess of Hamilton together to day in the drawing-room, and I have given her some encouragement, but not much. (Journal, 19 mai et 7 octobre.)

1. I generally am acquainted with about thirty in the drawingroom, and am so proud that I make all the lords come up to me. One passes half an hour pleasant enough.

2. I am glad you know your duty; for it has been a known and established rule above twenty years, that the first advances have been constantly made me by ladies who aspired to my acquaintance, and the greater their quality, the greater were their advances.

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qu'il se fût plaint de moi avant de m'avoir parlé. Je ne lui dirai plus une parole avant qu'il ne m'ait demandé pardon1. » Il traita l'art comme les hommes, écrivant d'un trait, dédaignant « la dégoûtante besogne de se relire», ne signant aucun de ses livres, laissant chaque écrit faire son chemin seul, sans le secours des autres, sans le patronage de son nom, sans la recommandation de personne. Il avait l'âme d'un dictateur, altérée de pouvoir et, ouvertement, disant « que tous ses efforts pour se distinguer venaient du désir d'être traité comme un lord 2. >> «Que j'aie tort ou raison, ce n'est pas l'affaire. La renommée d'esprit ou de grand savoir tient lieu d'un ruban bleu ou d'un carrosse à six bêtes. » Mais ce pouvoir et ce rang, il se les croyait dus; il ne demandait pas, il attendait. « Je ne solliciterai jamais pour moimême, quoique je le fasse souvent pour les autres. » Il voulait l'empire, et agissait comme s'il l'avait eu. La haine et le malheur trouvent leur sol natal dans ces esprits despotiques. Ils vivent en rois tombés, toujours insultants et blessés, ayant toutes les misères de l'orgueil, n'ayant aucune des consolations de l'orgueil, incapables de goûter ni la société ni la solitude, trop ambitieux pour se contenter du silence, trop hautains pour se servir du monde, nés pour la rébellion et la défaite, destinés par leur passion et leur impuissance au désespoir et au talent.

La sensibilité ici exaspérait les plaies de l'orgueil.

1. This I resented highly that he should complain of me before he spoke to me. I sent him a peppering letter, and would not summon him by a note as I did the rest. Nor ever will have any thing to say to him till he begs my pardon.

2. Lettre à Bolingbroke.

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