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douloureuse à imaginer: Il n'y a personne au monde si bien tié avec nous de société et de bienveillance, qui nous aime, qui nous goûte, qui nous fait mille offres de services, et qui nous sert quelquefois, qui n'ait en soi, par l'attachement à son intérêt, des dispositions très-proches à rompre avec nous, et à devenir notre ennemi.

* Pendant qu'Oronte augmente avec ses années son fonds et ses revenus, une fille naît dans quelque famille, s'élève, croît, s'embellit, et entre dans sa seizième année; il se fait prier à cinquante ans pour l'épouser, jeune, belle, spirituelle : cet homme sans naissance, sans esprit et sans le moindre mérite, est préféré à tous ses rivaux.

* Le mariage, qui devrait être à l'homme une source de tous les biens, lui est souvent, par la disposition de sa fortune, un lourd fardeau sous lequel il succombe : c'est alors qu'une femme et des enfants sont une violente tentation à la fraude, au mensonge, et aux gains illicites; il se trouve entre la friponnerie et l'indigence: étrange situation 2!

Épouser une veuve, en bon français, signifie faire sa fortune : il n'opère pas toujours ce qu'il signifie.

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* Celui qui n'a de partage avec ses frères que pour vivre à "'aise bon praticien *, veut être officier ; le simple officier * se fait magistrat, et le magistrat veut présider et ainsi de toutes les conditions, où les hommes languissent serrés et indigents, après avoir tenté au delà de leur fortune, et forcé, pour ainsi dire, leur destinée ; incapables tout à la fois de ne pas vouloir être riches, et de demeurer riches.

* Dîne bien, Cléarque, soupe le soir, mets du bois au feu,

4.

Lié de société.» Lié est suivi de la préposition de, comme le verbe aimer dans ce vers de La Fontaine :

Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre.

2. Étrange situation. Le mot si connu du sergent des Plaideurs : «Frappez: j'ai quatre enfants à nourrir, est aussi triste qu'il est comique.

3. Celui qui n'a de partage. Celui qui n'a dans sa part de patrimoine.

4. Praticien. Avocat ou procureur.

5. Officier. Celui qui a acheté une charge ou office dans une cour inférieure, le magistrat au parlement était grand officier.

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6. « Serrés. Enfermes dans une condition dont ils voudraient et ne peuvent sortir. Forcer leur destinée. » L'expression est de Bossuet: « Conde semb aitne pour entrainer la fortune dans ses desseins, et forcer les destinées.» Oraison funèbre dis prince de Condé, p. 333 de l'edition annotée de M. A. Didier.

achète un manteau, tapisse ta chambre : tu n'aimes point ton hértier, tu ne le connais point, tu n'en as point'.

* Jeune, on conserve pour sa vieillesse; vieux, on épargne pour la mort. L'héritier prodigue paye de superbes funérailles, et dé vore le reste.

* L'avare dépense plus mort 2, en un seul jour, qu'il ne faisait vivant en dix années; et son héritier plus en dix mois, qu'il n'a su faire lui-même en toute sa vie.

Ce que l'on prodigue, on l'ôte à son héritier; ce que l'on épargne sordidement, on sé l'ôte à soi-même. Le milieu est justice pour soi et pour les autres.

* Les enfants peut-être seraient plus chers à leurs pères, et réciproquement les pères à leurs enfants, sans le titre d'héritiers.

* Triste condition de l'homme, et qui dégoûte de la vie ! il faut suer, veiller, fléchir, dépendre 3, pour avoir un peu de fortune, ou la devoir à l'agonie de nos proches : celui qui s'empêche de souhaiter que son père y passe bientôt, est homme de bien.

* Le caractère de celui qui veut hériter de quelqu'un, rentre dans celui du complaisant : nous ne sommes point mieux flattés, mieux obéis, plus suivis, plus entourés, plus cultivés, plus ménagés, plus caressés de personne pendant notre vie, que de celui qui croit gagner à notre mort*, et qui désire qu'elle arrive.

* Tous les hommes, par les postes différents, par les titres et par les successions, se regardent comme héritiers les uns des autres, et cultivent par cet intérêt, pendant tout le cours de leur

1. Tu n'en as point.« Allons, cuisinier, mets dorénavant plus d'huile dans mes choux. Faut-il que je me nourrisse d'herbes les jours de fêtes, ou d'une tranche de hure enfumée et percée aux oreilles, pour qu'un jour mon petit-fils se rassasie de foies d'oie! que je devienne étique, conservant à peine figure d'homme, pour que son ventre énorme tremble sous le poids de la graisse.» PERSE, Sat. 6.

2. « Dépense plus mort. Fait plus dépenser pour ses funérailles. L'expression est un peu forcee, mais vive et originale.

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3. Dépendre. S'emploie rarement sans régime.

4. Qui croit gagner à notre mort. Les heritiers complaisants abondèrent tellement à Rome au commencement de l'empire, et ils entendaient si bien leur métier, que les gens de fortune ne voulaient plus se marier, de peur d'avoir des heritiers directs qui mettraient les autres en fuite. Auguste fit en vain plusieurs lois contre les celibataires. Le désir d'être obéi et flatté fit plus que la nature et la politique. Or spéculait même sur cette servilité. De riches célibataires mettaient le feu à leurs vieilles maisons, et tous leurs amis s'empressaient de les faire reconstruire à leurs frais, dans l'espérance de retrouver avec usure dans un bon testament les dons qu'ils avaient faits avec une apparence de générosité. Voyez dans Rome au siècle d'Auguste, par M. Ch. Dezobry, un chapitre fort curieux sur les Captateurs de testaments, t. il page 241.

ve, ur. désir secret et enveloppé de la mort d'autrui : le plus heureux dans chaque condition est celui qui a plus de choses à perdre par sa mort, et à laisser à son successeur.

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* L'on dit du jeu qu'il égale les conditions'; mais elles se trouvent quelquefois si étrangement disproportionnées, et il y a entre telle et telle condition un abîme d'intervalle si immense et si profond, que les yeux souffrent de voir de telles extrémités se rapprocher c'est comme une musique qui détonne, ce sont comme des couleurs mal assorties, comme des paroles qui jurent ét qui offensent l'oreille, comme de ces bruits ou de ces sons qui font frémir: c'est, en un mot, un renversement de toutes les bienséances. Si l'on m'oppose que c'est la pratique de tout l'Occident, je réponds que c'est peut-être aussi l'une de ces choses qui nous rendent barbares à l'autre partie du monde, et que les Orientaux qui viennent jusqu'à nous remportent sur leurs tablettes je ne doute pas même que cet excès de familiarité ne les rebute davantage que nous ne sommes blessés de leur zombaye3 et de leurs autres prosternations.

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* Une tenue d'états, ou les chambres assemblées pour une affaire très-capitale, n'offrent point aux yeux rien de si grave et de si sérieux qu'une table de gens qui jouent un grand jeu ; une triste sévérité règne sur leurs visages; implacables l'un pour

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4. Qu'il égale les conditions.» « Langlée, dit Mme de Sévigné, est fier et familier au possible: il jouait l'autre jour au brelan avec le comte de Grammont, qui lui dit sur quelques manières un peu libres: Monsieur de Langlée, gardez ces familiaritéspour quand vous jouerez avec le roi. A Madame de Grignan, janvier 1672. 2.Qui jurent. » Qui ne peuvent s'accorder entre elles.

3. Zombaye.» Voyez les relations du royaume de Siam. (Note de La Bruyère., - En 1684, un ambassadeur vint complimenter Louis XIV au nom du roi de Siani. Louis fut très-sensible à ce témoignage de l'étendue de sa renommée.

4. Une tenue d'états. » Etats se dit des assemblées qui se font en quelques proinces, qui se sont conservées en la possession de ce droit, afin d'erdonner elles-mèmes des contributions qu'elles doivent faire pour soutenir les charges de l'Etat, et les régler et faire payer; comme sont les provinces de Bretagne, de Languedoc, de Bourgogne et de la Franche-Comté. » FURETIÈRE.

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5. Les chambres. Dn parlement.

6. Rien. Vient du latin res et signifie quelque chose. Molière a dit : « Je me suis plu à la peinture, et, parfois, je manie le pinceau, contre la coutume de France qui ne veut pas qu'un gentilhomme sache rien faire. Le Sicilien, 10. — Voyez aussi dans les Femmes savantes (11, 6) comment Bélise explique à Martine que la négation pas doit être supprimée devant rien :

Ne servent pas de rien!

De pas mis avec rien tu fais la récidive;

Et c'est, comme on t'a dit, trop d'une negative.

La Bruyère aurait dù se souvenir de cette comique leçon de grammaire.

l'autre, et irréconciliables ennemis pendant que la séance dure, ils ne reconnaissent plus ni liaisons, ni alliance, ni naissance, ni distinctions: le hasard seul, aveugle et farouche divinité, préside au cercle, et y décide souverainement : ils l'honorent tous par un silence profond, et par une attention dont ils sont partout ailleurs brt incapables; toutes les passions, comme suspendues, cèdent à une seule le courtisan alors n'est ni doux, ni flatteur, ni complaisant, ni même dévot.

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* L'on ne reconnaît plus en ceux que le jeu et le gain ont illustrés1, la moindre trace de leur première condition: ils perdent de vue leurs égaux, et atteignent les plus grands seigneurs. Il est vrai que la fortune du dé ou du lansquenet les remet souvent où elle les a pris.

* Je ne m'étonne pas qu'il y ait des brelans publics, comme autant de piéges tendus à l'avarice des hommes, comme des gouffres où l'argent des particuliers tombe et se précipite sans retour, comme d'affreux écueils où les joueurs viennent se briser et se perdre qu'il parte de ces lieux des émissaires pour savoir à heure marquée qui a descendu à terre avec un argent frais d'une nouvelle prise 2, qui a gagné un procès d'où on lui a compté une grosse somme, qui a reçu un don, qui a fait au jeu un gain considérable; quel fils de famille vient de recueillir une riche succession, ou quel commis imprudent veut hasarder sur une carte les deniers de sa caisse. C'est un sale et indigne métier, il est vrai, que de tromper; mais c'est un métier qui est ancien, connu, pratiqué de tout temps par ce genre d'hommes que j'appelle des brelandiers; l'enseigne est à leur porte, on y lirait presque : Ici l'on trompe de bonne foi; car se voudraient-ils donner pour irréprochables? Qui ne sait pas qu'entrer et perdre dans ces maisons

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4. Illustrés. La clef dit : « Morin qui avait fait en Angleterre une grande fortune au jeu, d'où il est revenu avec plus de douze cent mille livres qu'il a perdues depuis. Il est à présent fort petit compagnon, au lieu que dans sa fortune il fréquentai tous les plus grands seigneurs. »

2. Prise. Sur les vaisseaux ennemis.

3. C'est un métier. »

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est une même chose ? Qu'ils trouvent donc sur leur main autant de dupes qu'il en faut pour leur subsistance, c'est ce qui me passe.

* Mille gens se ruinent au jeu1, et vous disent froidement qu'ils ne sauraient se passer de jouer : quelle excuse! Y a-t-il une passion. quelque violente ou honteuse qu'elle soit, qui ne pût teni ce même langage? Serait-on reçu à dire qu'on ne peut se passer de voler, d'assassiner, de se précipiter 2? Un jeu effroyable, continuel, sans retenue, sans bornes, où l'on n'a en vue que la ruine totale de son adversaire, où l'on est transporté du désir du gain, désespéré sur la perte, consumé par l'avarice, où l'on expose sur une carte ou à la fortune du dé la sienne propre, celle de sa femme et de ses enfants, est-ce une chose qui soit permise, ou dont l'on doive se passer? Ne faut-il pas quelquefois se faire une plus grande violence, lorsque, poussé par le jeu jusques à une déroute universelle, il faut même que l'on se passe d'habits et de nourriture, et de les fournir à sa famille?

Je ne permets à personne d'être fripon3, mais je permets à un fripon de jouer un grand jeu : je le défends à un honnête homme, c'est une trop grande puérilité que de s'exposer à une grande perte.

Il n'y a qu'une affliction qui dure, qui est celle qui vient de la perte de biens le temps, qui adoucit toutes les autres, aigrit celle-ci; nous sentons à tous moments, pendant le cours de notre vie, où le bien que nous avons perdu nous manque.

4. Se ruinent au jeu. L'exemple au roi et de la cour avait mis le jeu à la mode. On jouait partout avec une fureur qui justifie ia véhémence de ce passage. Les lettres de Mme de Sévigné sont pleines de conseils et de plaintes à l'adresse de sa fille, qui au milieu d'embarras et de dépenses de toutes espèces, se ruinait au jeu pour bien tenir son rang en province.

2.

De se precipiter.» Dans tous les excès des vices. Ce verbe ainsi employé sans complement n'est pas suffisamment clair.

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3. D'ètre fripon. Si l'on jouait beaucoup à la cour, on ne s'y piquait pas d'une probité scrupuleuse : « Personne, dit Saint-Simon, n'était plus au goût du roi que le duc de C. et n'avait usurpé plus d'autorité dans le monde. Il était splendide en tout, grand joueur et ne s'y piquait pas d'une fidélité bien exacte. Plusieurs grands seigneurs en usaient de même et on en riait. Les femmes surtout étaient d'une insigna mauvaise foi. Les joueuses en se quittant prononçaient une formule par laquelle on se faisait un don reciproque de ce qui aurait pu dans la partie ne pas être légitimement gagne. Hamilton, qui à raconté d'une maniere si piquante les faits et gestes de sor beau-frère, vante comme des prouesses des friponneries dont la moindre serait de ses jours un deshonneur ineffaçable.

Où. En quoi.

Vous devez n'avoir soin que de me contenter.
MOLIÈRE, Tartu

- C'est où je mets aussi ma gloire la plus haute.

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