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Il est doux de voir ses amis par goût et par estime; il est pénible de les cultiver par intérêt: c'est solliciter.

* Il faut briguer la faveur de ceux à qui l'on veut du bien, plutôt que de ceux de qui l'on espère du bien.

* On ne vole point des mêmes ailes pour sa fortune que l'on fait pour des choses frivoles et de fantaisie. Il y a un sentiment de liberté à suivre ses caprices, et, tout au contraire, de servitude à courir pour son établissement : il est naturel de le souhaiter beaucoup et d'y travailler peu; de se croire digne de le trouver sans l'avoir cherché.

* Celui qui sait attendre le bien qu'il souhaite, ne prend pas le chemin de se désespérer s'il ne lui arrive pas; et celui au contraire qui désire une chose avec une grande impatience, y met trop du sien pour en être assez récompensé par le succès.

* Il y a de certaines gens qui veulent si ardemment et si déterminément une certaine chose, que, de peur de la manquer, ils n'oublient rien de ce qu'il faut faire pour la manquer.

* Les choses les plus souhaitées n'arrivent point, ou si elles arrivent, ce n'est ni dans le temps, ni dans les circonstances où elles auraient fait un extrême plaisir.

* Il faut rire avant que d'être heureux, de peur de mourir sans avoir ri.

* La vie est courte, si elle ne mérite ce nom que lorsqu'elle est agréable; puisque, si l'on cousait ensemble toutes les heures que l'on passe avec ce qui plaît, l'on ferait à peine d'un grand nombre d'années une vie de quelques mois.

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6

* On ne pourrait se défendre de quelque joie à voir o périr un

4. « Il faut. » L'auteur a voulu dire Il faut se donner plus de soin pour se faire pardonner le bien qu'on fait, que pour obtenir celui qu'on espère. Mais le dit-il assez clairement?

2.

On ne vole point des mêmes ailes. On n'est point si empressé. La métaphore est brillante et ne manque pas de recherche.

3. Ne prend pas le chemin. Tour long et vulgaire.

4. Déterminément, Ce long adverbe est presque tout à fait hors d'usage.

5. « Qu'il est difficile. C'est bien là le cri dù moraliste mécontent de la sottise des bemmes et se méliant cependant de sa trop.grande sévérité.

6. « Quelque joie à voir.» En voyant. Cette tournure correspond au gérondif en do des Latins, qui est lui-même un véritable datif. Molière a dit de même : « On ne devient guère sì riche à être bonnêtes gens. Le Bourgeois Gentilhomme, 11, 42.

L'allégresse du cœur s'augmente à la répandre.

ID., l'Ecole des Femmes, IV, 6.

méchant homme1; l'on jouirait alors du fruit de sa haine, et l'on tirerait de lui tont, ce qu'on en peut espérer, qui est le plaisir de sa perte sa mort enfin arrive, mais dans une conjoncture où nos intérêts ne nous permettent pas de nous en réjouir; il meurt trop tôt ou trop tard 2.

* Il est pénible à un homme fier de pardonner à celui qui I surprend en faute, et qui se plaint de lui avec raison : sa fierté ne s'adoucit que lorsqu'il reprend ses avantages, et qu'il met l'autre dans son tort.

* Comme nous nous affectionnons de plus en plus aux personnes à qui nous faisons du bien, de même nous haïssons violemment ceux que nous avons beaucoup offensés.

* Il est également difficile d'étouffer dans les commencements le sentiment des injures, et de le conserver après un certain nombre d'années.

* C'est par faiblesse que l'on hait un ennemi et que l'on songe à s'en venger; et c'est par paresse que l'on s'apaise et qu'on ne se venge point3.

* Il y a bien autant de paresse que de faiblesse à se laisser gouverner.

Il ne faut pas penser à gouverner un homme tout d'un coup, et sans autre préparation, dans une affaire importante, et qui serait capitale à lui ou aux siens ; il sentirait d'abord l'empire et l'ascendant qu'on veut prendre sur son esprit, et il secouerait le joug par honte ou par caprice : il faut tenter auprès de lui les petites choses, et de là le progrès jusqu'aux plus grandes est immanquable. Tel ne pouvait au plus, dans les commencements, qu'entreprendre de le faire partir pour la campagne ou retourner à la ville

1. « Périr un méchant homme.» Sentiment peu honorable. Ce caractère se trouv pour la première fois dans la cinquième édition; elle fut publiée en 1690, l'année même où courut à Paris le bruit de la mort de Guillaume III, qui donna lieu à tant de démonstrations ridicules. Peut-être faut-il voir dans ce passage une allusion à cette joie indécente dont La Bruyère prit sa part avec toute la cour.

2. « Ou trop tard. » La Bruyère ne vit pas la mort du roi d'Angleterre, qui mourut en 1701, la mème année que son beau-père qu'il avait détrôné.

3. Ne se venge point. Cette pensée et celle qui précède sont dans la manière de La Rochefoucauld, qui s'est ingenie à trouver le defaut de toutes nos vertus, et à exagérer la part que l'amour-propre et l'interêt prennent aux plus belles actions. La Bruyère n'a pris de cette philosophie morose que ce qu'elle a de vrai, et s'est bien gardé de faire un système. L'homme ne peut se juger d'un seul point de vue. C'est un des grands mérites du livre de La Brère que d'avoir été composé à des époques, et avec des impressions differentes; reproduit ainsi la variété de la vie humaine e des jugements qu'on peut en prononcer

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lui dicter un testament, où il réduit son fils à la légi

Pour gouverner quelqu'un longtemps et absolument, il faut avoir la main légère, et ne lui faire sentir que le moins qu'il se peut sa dépendance.

Tels se laissent gouverner jusqu'à un certain point, qui au delà sont intraitables et ne se gouvernent plus; on perd tout à coup la route de leur cœur et de leur esprit; ni hauteur ni souplesse, ni force ni industrie, ne les peuvent dompter; avec cette différence que quelques-uns sont ainsi faits par raison et avec fondement, et quelques autres par tempérament et par humeur.

Il se trouve des hommes qui n'écoutent ni la raison ni les bons conseils, et qui s'égarent volontairement par la crainte qu'ils ont d'être gouvernés.

D'autres consentent d'être gouvernés par leurs amis en des choses presque indifférentes, et s'en font un droit de les gouverner à leur tour en des choses graves et de conséquence.

Drance2 veut passer pour gouverner son maître, qui n'en croit rien, non plus que le public: parler sans cesse à un grand que l'on sert3, en des lieux et en des temps où il convient le moins; lui parler à l'oreille ou en des termes mystérieux, rire jusqu'à éclater en sa présence, lui couper la parole, se mettre entre lui et ceux qui lui parlent, dédaigner ceux qui viennent faire leur cour, ou attendre impatiemment qu'ils se retirent; se mettre proche de ui en une posture trop libre, figurer avec lui le dos appuyé à une cheminée, le tirer par son habit, lui marcher sur les talons, faire le familier, prendre des libertés, marquent mieux un fat qu'un favori.

Un homme sage ni ne se laisse gouverner, ni ne cherche à gouverner les autres: il veut que la raison gouverne seule, et tou

ovrs.

Je ne haïrais pas d'être livré par la confiance à une personne

a

4. « La légitime. » « Droit que la loi donne aux enfants sur les biens de leurs père et n.ère, et qui leur est acquis en sorte qu'on ne les en peut priver par une disposition contraire. La legitime des enfants selon la coutume de Paris est là moitié de ce que chacun aurait eu ab intestat. » FURETIÈRE.

2. Drance. Le comte de Tonnerre, premier gentilhomme de Monsieur qui le détestait. Saint-Simon nous le represente comme un malhonnête homme à la fois trèssatirique et très-poltron.

3. Que l'on sert, A la maison duquel on est attaché.

raisonnable', et d'en être gouverné en toutes choses, et absolu ment, et toujours; je serais sûr de bien faire sans avoir le soin de délibérer; je jouirais de la tranquillité de celui qui est gouverné par la raison.

*Toutes les passions sont menteuses; elles se déguisent autant qu'elles le peuvent aux yeux des autres; elles se cachent à ellesmêmes: il n'y a point de vice qui n'ait une fausse ressemblance avec quelque vertu, et qui ne s'en aide.

* On trouve un livre de dévotion, et il touche: on en ouvre un autre qui est galant, et il fait son impression. Oserai-je dire que le cœur seul concilie les choses contraires, et admet les incompatibles?

* Les hommes rougissent moins de leurs crimes que de leurs faiblesses et de leur vanité : tel est ouvertement injuste, violent, perfide, calomniateur, qui cache son amour ou son ambition, sans autre vue que de la cacher.

4

* Le cas n'arrive guère où l'on puisse dire, J'étais ambitieux; ou on ne l'est point, ou on l'est toujours mais le temps vient cù l'on avoue que l'on a aimé.

* Les hommes commencent par l'amour, finissent par l'ambition, et ne se trouvent souvent dans une assiette plus tranquille que lorsqu'ils meurent.

* Rien ne coûte moins à la passion que de se mettre au-dessus de la raison; son grand triomphe est de l'emporter sur l'intérêt. *L'on est plus sociable et d'un meilleur commerce par le cœur que par l'esprit.

* Il y a de certains grands sentiments, de certaines actions nobles et élevées, que nous devons moins à la force de notre esprit, qu'à la bonté de notre naturel.

1. Raisonnable» paraît signifier ici: doué d'une grande raison.

2. «Qui ne s'en aide.» « Les passions les plus à craindre ne sont pas celles qui, en nous faisant une guerre ouverte, nous avertissent de nous niettre en défense; qui nous laissent, quoi qu'elles fassent, la conscience de toutes nos fautes, et auxquelles on ne cède jamais, qu'autant qu'on leur veut céder. Il faut plutôt redouter celles dont l'illusion trompe au lieu de contraindre, et nous fait faire, sans le savoir, autre chose que ce que nous voulons.» J.-J. ROUSSEAU.

3. Rougissent moins de leurs crimes. » C'est ainsi que le cardinal de Retz a mis son orgueil à se représenter dans ses mémoires beaucoup plus criminel qu'il n'a jamais pu l'être, quelque bonne envie qu'il en eut. Rousseau, qui ne s'est pas épargné dans ses Confessions, avoue que ce n'est pas ce qui est criminel qui coûte le plus à dire, c'est ce qui est ridicule et honteux. »

4. Sans autre vue. Sans autre dessein

Il n'y a guère au monde un plus bel excès que celui de la reconnaissance.

* Il faut bien être dénué d'esprit, si l'amour, la malignité, la nécessité n'en font pas trouver.

* Il y a des lieux que l'on admire; il y en a d'autres qui touchent', et où l'on aimerait à vivre.

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Il me semble que l'on dépend des lieux pour l'esprit, l'humeur, a passion, le goût et les sentiments.

* Ceux qui font bien mériteraient seuls d'être enviés, s'il n'y avait encore un meilleur parti à prendre, qui est de faire mieux, c'est une douce vengeance contre ceux qui nous donnent cette jalousie.

* Quelques-uns se défendent d'aimer et de faire des vers, comme de deux faibles qu'ils n'osent avouer, l'un du cœur, l'autrə de l'esprit.

* Il y a quelquefois dans le cours de la vie de si chers plaisirs et de si tendres engagements que l'on nous défend, qu'il est naturel de désirer du moins qu'ils fussent permis de si grands charmes ne peuvent être surpassés que par celui de savoir y re noncer par vertu.

[Chapitre V. ]

DE LA SOCIÉTE ET DE LA CONVERSATION.

* Un caractère bien fade est celui de n'en avoir aucun.

3

* C'est le rôle d'un sot d'être importun: un homme habile sent s'il convient, ou s'il ennuie: il sait disparaître le moment qui précède celui où il serait de trop quelque part.

* L'on marche sur les mauvais plaisants, et il pleut par tout pays de cette sorte d'insectes: un bon plaisant est une pièce

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Objets inanimés, avez-vous donc une ame

Qui s'attache à notre amie et la force d'aimer?
LAMARTINE.

2. L'on dépend des lieux. J.-J. Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre ont développé ces sentiments avec un vif amour des beautés de la nature. On sait quelle place Montesquieu a donnée dans l'Esprit des lois à l'influence des climats.

3. Un homme habile. Un homme qui a du tact. Habile signifie plus ordinairement, dans La Bruyère, docte, versé dans sa profession.

4. Le moment qui précède. Cela est dit d'une manière fine et recherchée. 3. Insectes. Métaphore spirituelle et originale. Voltaire a dit en parlaut de la

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