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dans tout son jour, j'ai aprofondi autant qu'il m'étoit possible la conduite de tous les Legislateurs & les sentimens de tous les Philosophes; discutions qui ouvrent d'elles-mêmes un beau champ à la literature.

MAIS, M. j'ose dire que ce n'est point assez que de s'oposer aux excès de l'irreligion, si l'on ne s'opose en même tems aux abus de la Religion même. L'histoire de presque toutes les nations modernes de l'Europe offre des tableaux bien touchans des maux qu'a produit l'abus de la Religion: Et pour ne se point faire d'illusion, que ne doit-on point craindre du feu que couvrent les dissensions qui divisent encore aujourd'hui les esprits, & dont l'eclat n'est retenu que par la sagesse & la moderation de votre Eminence? J'ai toujours été extrémement frapé d'un passage de St. Chrysostome, je que vous demande la permission de raporter ici. HÆC EST CHRISTIANISMI REGULA,

HÆC ILLIUS EXACTA DEFINITIO, HIC VERTEX SUPRA OMNIA EMINENS, PUBLICE UTILITATI CONSU

LERE. C'est le caractere essentiel de la Religion que de s'allier avec l'utilité de l'Etat. Et cependant de combien de calamitez la religion n'a-t-elle pas été la source, elle que n'est destinée qu'à produire des fruits salutaires? On abuse des meilleures choses, & c'est l'abus, que l'on fait de la RELIGION, contre lequel je me suis proposé d'elever une barriere qui marque tout l'usage que l'on en peut, & que l'on en doit faire, & qui fixe le point où l'on doit s'arrêter. Je n'ai travaillé sur les principes d'aucun parti: je n'ai absolument songé qu'à trouver le point critique de reunion où se concentrent LA VERITE & L'UTILITE; Quoique je me suis aidé du secours de quelques uns de nos Theologiens les plus respectables, j'ai moins songé puiser dans leurs ouvrages, que dans les sources

primitives

primitives d'un raisonnement fondé sur la nature & l'essence même des choses. Un long sejour dans des pays où la diversité des religions ne produit aucun desordre a contribué à me mettre sur la voye du vrai, & m'y a ensuite affermi: j'ai marché avec d'autant plus de sureté que je me suis trouvé guidé par l'experience des autres nations: j'ai même trouvé ces matieres savament & profondement discutées par des Theolo- giens de l'Eglise Anglicane: un nombre infini d'ecrits ont paru sur ce sujet: la liberté de tout dire a fait, qu'aucune dificulté n'a été supprimée, & aucune n'a été proposée qu'elle n'ait été clairement & solidement expliquée.

Je laisserois à la lecture de CES DISSERTATIONS à devoiler ce seul remede qu'il convienne, & que l'on puisse appliquer eficacement & salutairement aux desordres de religion, si les ocupations importantes & multipliées de votre Eminence pouvoient lui permettre une lecture aussi longue. Ce remede, c'est l'établissement d'un Acte par lequel l'Etat s'assure que tous ceux qui remplissent des postes publics, soit civils ou religieux, se conforment à la Religion dominante: c'est, en d'autres mots, la requisition ou d'un Serment, ou de la signature d'un Formulaire. J'espere en avoir demontré la justice & la necessité, sans insister sur d'autres principes que sur ceux de l'Equité naturelle & de la prudence universelle de tous les Etats polices: genre de demonstration que je ne sache pas que personne eut encore entrepris, & qui cependant est essentiel..

Je sais que je dois m'attendre à essuyer un orage violent de la part d'un Parti* qui ne s'est rendu que

*Les Jansenistes.

trop

trop populaire, & dont tout le credit est fondé sur l'illusion & le cagotisme. Mais j'ai tout lieu d'esperer que cet orage se dessipera de lui-même, lorsque l'on verra que la requisition de la signature d'un formulaire, bornée, comme je le propose, aux personnes qui veulent occuper des emplois publics, n'attaque en rien la liberté des consciences, & qu'elle se trouve entierement exemte de tous les reproches de persecution. C'est là je crois le seul moyen de rendre inutiles toutes les ruses d'un parti extrémement habile à s'emprevaloir; car pour peu que l'on examine avec attention, il n'est pas difficile de decouvrir ce qui lui attire un si grand nombre de proselytes. La plupart des particuliers ne sont pas capables de juger des matieres theologiques qui separent les deux partis. Le François a naturellement l'ame noble & genereuse, en sorte que le parti qui peut faire accroire qu'il est persecuté, ce parti, soit bon ou mauvais, ne peut manquer d'avoir un grand nombre de partisans. Rien ne le prouve mieux qu'un trait fort remarquable raporté par Brant, dans son Histoire de la Reformation des Pays Bas, Livre, qui fait l'admiration de tous les Hollandois compatriotes de l'Auteur; estimé par tous les Etrangers qui le connoissent, & qui, quoique l'ouvrage d'un Protestant, renferme bien des connoissances utiles & instructives pour un Lecteur Catholique. Cet Historien raporte qu'avant la revocation de l'Edit de Nantes, quelques Religionaires du Poitou passerent en Angleterre, où interrogez sur leur foi, & en particulier sur le nombre des sacramens, ces bonnes gens, souverainement ignorans, repondirent qu'il y en avoit trois, le Pere, le Fils, & le St. Esprit. Comment se peut-il que des gens eussent tant de zele que d'abandonner leur patrie, et tout ce qui leur étoit cher, pour une Religion qu'ils ne connois VOL. VII. soient

C

soient certainement pas ? Rien de plus naturel: ils croyoient que l'on vouloit contraindre leurs Opinions; & ils ne s'imaginoient pas que la Force & la Verité pussent aller de concert. Avec combien d'art les Jansenistes ne cherchent-ils pas à persuader qu'ils sont persecutez? Ils savent bien que cette opinion, bien loin de decourager leur secte, est tout ce qu'il y a de plus capable de l'augmenter. Je suis persuadé que l'on trouvera que c'est là le cas de la plupart de leurs partisans.

C'est dans cette vue qu'en m'atachant à prouver la justice & la necessité d'un formulaire dont la profession seroit requise de toutes les personnes qui voudroient des emplois publics, je n'ai pas insisté avec moins de force sur la Tolerance des Opinions, à l'egard de ceux qui ne sont dans aucun emploi. C'est même en vain qu'on voudroit les contraindre : les Opinions sont libres, & le pouvoir des hommes n'a aucune prise sur elles. Il n'a d'autre moyen d'introduire l'uniformité que l'expulsion, expedient qu'il faudroit renouveller sans cesse, parce qu'il renait sans cesse des Opinions nouvelles; expedient par consequent trop dangereux; & qui ne s'acorde pas avec la maxime de St. Chrysostome sur l'utilité de la Religion pour l'Etat. J'ose d'autant plus volontiers avancer, que la Violence & la Religion sont incompatibles; que rien n'est plus opposé que la violence. au caractere & aux sentimens que toute l'Europe reconnoit dans votre Eminence.

Toute secte privée des dignitez de l'Etat fut-elle appuyée sur la verité, ne peut faire de grands progrès dans ce siècle corrompu. On en a un exemple sensible dans les Catholiques de Hollande & d'Angle

terre,

terre, & surtout dans ceux de cet dernier pays, où leur nombre diminue tous les jours, uniquement parce qu'il y a un plus grand nombre de dignitez à distribuer, & qu'elles y sont plus faciles à obtenir, qu'en Hollande, où elles sont presque entierement confinées aux familles des Magistrats des Villes. Les progrès seroient encore bien moindres à l'egard des sectes qui auroient le malheur d'être dans l'erreur. Les Catholiques de Hollande n'y causent aucun trouble, non plus que les Presbyteriens en Angleterre. Exclus de tous les emplois, ils n'ont point assez de pouvoir pour introduire aucune division dans le Gouvernement; & jouissant en même tems de la liberté de professer tranquilement leur religion, rien ne les excite à se soulever contre un Gouvernement juste & équitable. Les Catholiques d'Angleterre sont, à la verité, moins bons sujets; mais d'où provient cette difference d'avec ceux de Hollande, si non que les Loix penales, qui en Angleterre ont lieux contre eux, leur donnent toujours lieu d'apprehender la violence, & les reduisent, en quelque maniere, dans un état de persecution.

Me permettrez-vous, M., de dire avec ingenuité, que je fus convaincu tant par l'étude que je puis avoir faite de la nature humaine, que par le témoignage unanime qu'en rend l'Histoire de toutes les nations florissantes, que l'Union de la PROFESSION D'UN FORMULAIRE d'une part, avec la TOLERANCE de l'autre, est le seul moyen de prevenir les maux que l'on a lieu d'apprehender d'une SECTE qui s'accroit plus qu'elle ne diminue; & qui jette de jour en jour des racines plus profondes; qui ne peut être detruite par tout autre moyen, qu'en même tems l'on n'affoiblisse infiniment l'Etat, & qui, en

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