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mendiante. Il n'y avait donc plus que deux espèces de nobles riches à pelletées de louis d'or : c'étaient ceux qui, d'origine financière, avaient acheté marquisats, fiefs de haute lignée; puis la noblesse de robe, et celle-là avait contracté des habitudes d'indépendance et d'opposition qui embarrassaient les ressorts du gouvernement.

Jamais au reste classe privilégiée ne tomba avec plus de gaieté; l'esprit était encore dans les gentilshommes, les cavaliers les plus aimables, les plus polis du monde, et partout en Europe cette renommée leur était acquise; familiers avec les gens de lettres, ce n'était pas les gens de lettres qui avaient le plus d'esprit et de bon goût. Dans ce règne de la littérature, des vers, des poëmes épiques et de la scène, un opéra, une tragédie, c'était la fortune, on s'en disputait les auteurs, en général fort mal appris et qui faisaient tache au milieu de cette société. Une comédie, une pièce de vers mettaient en émoi tous les salons: elle devenait la causerie du jour, l'occupation du moment dans la société agitée. Cette variété incessante de costumes, depuis le moine prémontré jusqu'à l'élégante marquise, ce roulis perpétuel de chaises à porteur, d'énormes carrosses, de coureurs emplumachés, de grands laquais, don

naient à la cour et à la ville un aspect d'étrangeté, qui laissait peu de place à la monotonie et à l'ennui.

Les cités existaient encore dans leur nature première, malgré les grandes voies que Louis XIV avait ouvertes autour des monuments publics. Les rues étroites offraient l'immense avantage de ne point recevoir l'été les flots de soleil, et l'hiver d'arrêter les grands vents. La plus petite maison avait son jardin; dans les hôtels c'était presque un parc à belle chasse; un figuier et un amandier formaient le jardinet du peuple, de manière que si la rue était resserrée l'appartement était aéré. Au lieu de ces villes symétriques où tout respire l'uniformité, on voyait cà et là mille maisons sous des formes différentes : à Paris, par exemple, la Bastille de Charles VII, tout à côté de la place Royale des Florentins; et la rue Saint-Louis, grave comme les parlementaires qui l'habitaient, avoisinait les beaux hôtels tout garnis de sculpture et de peinture qui se trouvent encore à l'ile SaintLouis. Traversez le pont: voici la Notre-Dame du XII° siècle, le Châtelet du xiv, au pied de la montagne Sainte-Geneviève si renommée aux temps des Mérovingiens et des pèlerinages. A l'extrémité,

le Luxembourg, à l'architecture italienne, SaintSulpice de Soufflot, le faubourg Saint-Germain de Louis XIV, et chacun de ces monuments avait son caractère particulier et sa variété mobile. Le bourgeois de Paris, fin et rusé, ardent pour ses priviléges, savait bien qu'avec les rues larges il n'y a plus de liberté quand l'artillerie pourrait tonner sur ces larges voies, lorsque la cavalerie pourrait se masser par forts escadrons, alors les droits communaux seraient perdus. Pour la fronde et les émeutes de Paris, il fallait des rues étroites, des halles avec de forts piliers, pour s'abriter contre la troupe du roi; des montagnes comme Sainte-Geneviève, de manière à préparer la résistance de rue en rue, de porte en porte, ainsi que cela s'était vu de toute antiquité chaînes et barricades veulent rues étroites.

Cette société, avec ses éléments si divers, ses opinions avancées, son esprit séditieux, Louis XVI était appelé à la gouverner : qu'allait donc faire ce jeune roi à peine âgé de vingt ans au milieu des jalousies de rangs, des opinions philosophiques, et des expériences économistes? Dans quelles mains placerait-il son gouvernement? Trouverait-il dans ce pays de France, si fidèle aux fleurs de lis, les vieux

dévouements à sa race? Pour un prince candide et juste, ce dut être une nuit de tourmente et d'effroi que celle qui le vit proclamer roi de France et de Navarre, avec la terrible responsabilité attachée à la

couronne!

CHAPITRE VI.

ACTES DE L'AVÉNEMENT DE LOUIS XVI.

CHANGEMENT

DU MINISTÈRE.

Actes personnels du jeune roi à la Muette.-Lettres pour confirmer les charges. Notification aux puissances étrangères. — Ménagements

Dons de joyeux avénement.

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Im

envers madame du Barry. possibilité pour le duc d'Aiguillon de rester aux affaires. — Noms indiqués. M. de Choiseul et M. de Machault. - M. de Maurepas nommé ministre.-M. Du Muy, ministre de la guerre. - M. de Vergennes aux affaires étrangères. - Choix personnel du roi. Mauvaise tendance de M. de Maurepas. Retraite du chancelier

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M. de Sartines à la marine.

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Maupeou et de l'abbé Terray.— Belle résistance de M. de Maupeou. Lutte au sein du ministère. Travail des encyclopédistes et des économistes. - M. Turgot, ministre-secrétaire d'État de la marine, puis contrôleur-général. M. de Malesherbes au département de Paris.-M. de Miromesnil aux sceaux. Tendance et esprit du nouveau ministère.- Résumé des ordonnances royales.

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Pour la première fois peut-être dans l'histoire de France, un roi orphelin, sans guide, majeur de dix-neuf ans, prenait le gouvernement de l'État au milieu de la vive action des partis ou des ardentes

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