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reux, à la différence des banquiers, juifs et gagneurs d'argent, comme M. Necker, les Genévois et les Hollandais, faiseurs d'affaires pour leur compte.

Si les financiers se rattachaient à la noblesse par la fortune, les avocats, procureurs, gens de basoche, se liaient au parlement par état; et tous faisaient partie de l'honorable corps de bourgeoisie. Le petit marchand de la rue Saint-Denis, passementier ou tapissier, fripier aux piliers des halles, était fort empressé d'acheter pour son fils charge d'huissier au Châtelet, de sergent à verge ou d'huissier à cheval; et le gros commerçant dont la fortune s'était accrue promptement de bonnes maisons au Marais, rues Quincampoix ou Aubry-le-Boucher, voulait avoir pour son aîné place aux Cours des comptes, des aides ou de finances, peuplées de toute la bourgeoisie de Paris. Le parlement, un peu trop haut pour elle, se renfermait, comme la haute administration, dans certaines familles héréditaires, et les noms des d'Ormesson, Amelot, Trudaine, d'Aguesseau, de Machault, Voisin, Molé, de Barențin, d'Aligre, Pasquier, Portail, étaient pour la magistrature aussi célèbres que ceux des Rohan, des Béthune, des d'Uzès dans la grande noblesse. La bonne bourgeoisie s'en tenait donc à la Cour des

comptes, aux Châtelets, petit ou grand; toujours un peu processive, cette bourgeoisie n'était pas fâchée d'avoir en sa famille avocat ou procureur pour défendre ses droits.

Combien n'était-elle pas nombreuse cette clientèle du palais, cette basoche, depuis le clerc d'étude jusqu'au procureur, avocat célèbre et plaidant les grandes causes; depuis le petit saute-ruisseau, gai, spirituel, portant requête au contrôle, sautillant et musard, jusqu'au maître clerc, souvent élu roi de la basoche, dans les fêtes qui suivaient le feu de la Saint-Jean. Le clerc mutin, tapageur, méprisant le guet, toujours prêt à l'émeute pour demander le retour de MM. du parlement, était lié, mais en sous œuvre seulement, à l'étudiant d'université, fier de ses priviléges dans les rues de la Harpe, Saint-Jacques, logé comme un Bohémien et hautain néanmoins comme un marquis.

A l'Université, sur la montagne Sainte-Geneviève, vous trouviez d'abord les quatre facultés qui forment l'arbre de la science: dame théologie, la sacrée; la faculté de droit, dame prudente; la médecine, dame physique; la faculté des arts, dame illustre. Elle était vieille, la Sorbonne, et fille du grand cardinal de Richelieu : qui oserait lui jeter ri

dicule ou mépris? Une thèse en Sorbonne était un événement dans une famille, et tout, jusqu'au vêtement de l'écolier, était un symbole, un souvenir du temps de la double chevalerie de la science et des armes : la robe qu'il porte, c'est le bouclier de la sagesse et de la sapience; ce livre fermé, c'est la doctrine; ce bonnet qui surmonte sa tête, le désigne au respect de l'élève; l'anneau placé à son doigt, c'est le mariage mystique avec l'étude.

Toute thèse était en latin, la langue scientifique; l'Université faisait les avocats, les médecins, les savants et les artistes, leur imprimant à tous son esprit, généralement un peu étroit. La Sorbonne voulait tenir le milieu entre ce qu'on appelait l'Eglise gallicane et l'autorité du pape; empreinte de l'opinion des sulpiciens, elle lançait ses censures avec une certaine énergie contre les productions mauvaises de la philosophie, et le plus souvent ces censures donnaient aux œuvres de l'esprit une plus grande publicité. Pour qu'un corps ait de l'importance il lui faut de la popularité; s'il est sans crédit sur l'opinion, en vain il veut lutter contre ce que cette opinion protége, il succombera et ne fera que grandir son adversaire. La Sorbonne, sous l'invincible action de l'esprit du siècle, avait assisté à

d'étranges spectacles; elle, si empressée de censurer les œuvres philosophiques, avait vu soutenir dans son sein des thèses monstrueuses d'infidélité et presque d'athéisme, et le monde savant s'était fort occupé des propositions de l'abbé de Pradt qui proclamait le matérialisme en pleine Sorbonne.

Le plus grand obstacle au développement de l'Université, c'était le souvenir des jésuites qui avaient laissé un si grand vide dans l'enseignement public; les parlementaires eux-mêmes qui avaient expulsé les enfants de saint Ignace, avouaient que les oratoriens étaient impuissants pour les remplacer. Telle était au reste l'organisation de l'Université qu'elle embrassait avec elle-même, un grand nombre de professions, jouissant de nombreux priviléges, parce que ces états formaient alors ce qu'on appelait les suppôts. Quand on parcourt les vieux quartiers de Paris, autour de la montagne Sainte-Geneviève, on trouve partout des souvenirs, dans les rues étroites et tortueuses, de tous les états qui se liaient à l'Université : parcheminerie, enluminure, tous ces ouvriers hissaient bannière de la mélifiante Université; les uns en étaient les bedeaux, les autres les porte-enseignes. Si messieurs du Palais avaient la basoche, l'Université avait ses suppôts, les étudiants leur roi

comme les métiers; tout cela formait la vie active de la bourgeoisie.

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C'était au milieu de ces classes si diverses, en présence de priviléges et d'intérêts si opposés, que l'unité royale, telle que Louis XIV l'avait établie, devait agir, et l'on sent bien les difficultés d'une action si compliquée. Nul ne disputait au roi la suprême puissance : << si veut le roi si veut la loi », tel était le vieil axiome; mais à cette condition essentielle que la royauté respecterait elle-même certaines coutumes vieilles comme son propre droit. Ces coutumes se révélaient partout comme des obstacles : les priviléges de marchands ou de corporations, les droits d'états particuliers ou les actes de réunion, pour chaque province: Alsace, Bretagne, Dauphiné, Flandre, ne s'étaient pas donnés sans condition: qui pouvait dès lors méconnaître ce pacte?

La première liberté du roi, c'était le droit de choisir ses ministres ; il le faisait avec un sans-façon qui constatait son autorité absolue; le roi envoyait un huissier de son cabinet prévenir tel personnage de la cour, du parlement ou des finances, qu'il l'avait appelé à son conseil, et le mandait vers lui. La révocation avait lieu avec la même liberté : il suffisait d'une lettre de cachet portée par le comte de Saint-Florentin

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