Page images
PDF
EPUB

pouvoir suprême à Christian de Danemarck. Dès ce moment la politique de Versailles vis-à-vis la cour de Copenhague fut d'obtenir une alliance de principe maritime pour le respect du pavillon.

A Constantinople, la vieille alliée de la France, un nouveau sultan venait d'être proclamé au milieu de la guerre des Russes contre la Porte-Ottomane; Abdul-Hamid, tiré d'une prison fatale, était proclamé, dans la mosquée d'Ayoub, le successeur de Mustapha. On ne saurait dire à cette époque tout le soin que mettait la cour de France à garder sa prépondérance à Constantinople; elle y avait à la fois un intérêt de commerce et d'influence politique: nous étions les maîtres des transactions dans les échelles, sans concurrence, même avec l'Angleterre; le nom de France était partout respecté ; et en outre, comme influence politique, était-il quelque chose de comparable à la puissance de nos capitulations avec la Porte, qui nous laissaient l'exclusive surveillance de la mer Noire? La Turquie écoutait nos conseils et suivait notre impulsion; chaque fois que la Porte avait des pensées de paix ou de guerre, elle les communiquait au cabinet de Versailles, son ami et son allié naturel; et à cette occasion il est essentiel de parler de l'ambassade de M. de Vergennes à Constan

tinople: M. de Vergennes fut l'homme peut-être qui connut le mieux l'esprit de nos relations avec la Porte-Ottomane. Ces relations n'étaient pas sans difficultés parce qu'il y avait sous plus d'un point de vue, des précautions à prendre, des ménagements à garder: deux puissances, la Russie et l'Autriche, convoitaient également la Turquie d'Europe. La politique de la France eût été sans doute de revenir, comme François Ier, à une lutte instinctive et continue contre la maison d'Autriche. Mais depuis le XVIe siècle les intérêts étaient bien autrement compliqués, et la question était devenue plus difficile, car nous avions besoin également de ménager la Russie et l'Autriche dans nos intérêts continentaux. M. de Vergennes avait donc pensé que le véritable rôle de la France était désormais celui d'une médiation pour garantir la paix, d'autant plus que le cabinet n'était pas complétement libre sous le coup de cette opinion des encyclopédistes, si dessinée pour les Russes contre les Turcs, afin de préparer l'émancipation de la Grèce classique.

Dans la pensée de la maison de Bourbon, l'Italie ne s'offrait plus comme une espérance de conquête ou un but d'ambition souveraine. Toute l'habileté des grands ministres, depuis Henri IV, s'était résu

mée dans un système d'alliances qui ne permettrait en aucun cas à la maison d'Autriche d'accomplir son projet de domination sur la Méditerranée et l'Adriatique. La France avait ainsi renoncé à l'esprit d'invasion au-delà des Alpes, qui avait absorbé l'époque chevaleresque de François Ier; l'Italie était devenue surtout un but de négociations, un territoire tout à fait neutre où l'habileté du corps diplomatique s'exerçait.

La cour de Versailles avait toujours mis de l'importance à s'assurer une prépondérance absolue sur le cabinet de Turin; et cela s'explique aussi bien par la grandeur de la maison de Savoie que par sa position de gardienne des Alpes, que Louis XIV lui avait reconnue. A cet effet, les Bourbons d'Espagne et de France, s'étaient unis à Turin par des mariages, comme une garantie que jamais l'Autriche ne dépasserait ses limites du Milanais. Dans ce même but, la France s'était intimement unie avec la république de Gênes, le grand port maritime de la Méditerranée. Si les fiefs d'Italie, tels que la Toscane, Modène, Mantoue, étaient un objet d'incessantes négociations et de difficultés toujours renouvelées entre l'Autriche et la maison de Bourbon, ils n'avaient point assez d'importance comme gouvernements, pour agir

sur la marche générale de la politique en Italie. Quant aux projets des empereurs sur les terres fermes de Venise, le Frioul et même la Dalmatie, la maison de France cherchait à donner de la force et de la vie à la république de Venise, à son sénat, de manière à pouvoir, dans une guerre générale, retrouver encore cette alliance qui au xvi° siècle avait plus d'une fois uni sur le même champ de bataille les Esclavons de la république et la noble chevalerie de François Ier 1.

Dans les agitations des guerres de Pologne, Catherine II avait imposé pour roi à ce peuple ardent et généreux le comte de Poniatowski, salué sous le titre de Stanislas-Auguste. La Russie a pour principe de n'avancer que sûrement et de préparer les voies de conquêtes par un système de vasselage confié à des princes, ses agents: ainsi était un peu le rôle de

1 On trouve toujours dans les papiers du dauphin, père de Louis XVI, de grandes préventions contre l'ambition de l'Autriche:

« L'impératrice traite avec nous, parce qu'elle nous craint et qu'elle craint le roi de Prusse, notre allié. Nous traitons avec elle, parce que nous la craiguons, et que nous sommes attaqués par le roi d'Angleterre, son allié. Cette alliance a donc été contractée en haine de l'Angleterre de la part de la France, et en haine du roi de Prusse de la part de l'impératrice. »

(Extrait d'un Mémoire composé par ordre de M. le dauphin, père de Louis XVI, en 1756, sur l'alliance autrichienne.)

» Les alliés naturels et utiles de la France ont été jusqu'à pré

Poniatowski en Pologne, assistant comme roi au dernier partage de sa malheureuse patrie; les orages grondaient encore aux diètes turbulentes. Dans la vie des États, c'est toujours l'élection du prince et les délibérations d'assemblées qui préparent leur décadence et leur ruine. Les trois puissances copartageantes, la Russie, la Prusse et l'Autriche, s'étaient bien gardées d'assurer à la royauté de Poniatowski un caractère de dictature et d'autorité qui seul aurait pu calmer la guerre civile en Pologne. Sous prétexte d'assurer les libertés de la patrie, elles lui avaient imposé une constitution, et en se montrant généreuses, libérales, les trois puissances avaient jeté au sein du peuple polonais des semences de troubles et de faiblesse. Chez une nation qui n'est pas accoutumée aux mouvements orageux de la liberté, une constitution est une cause d'abais

sent: 1° le Grand-Seigneur ; 2o le roi de Prusse ; 3o ceux des princes d'Allemagne qui avaient à cœur la conservation des libertés germaniques; 4o la Suède; 5o les rois d'Espagne et des Deux-Siciles ; 6o la république de Gênes. Le roi de Danemarck est aussi allié de la France, mais cette alliance n'est point un rapport direct à la maison d'Autriche. La nécessité de contrebalancer la puissance de la czarine, et de maintenir l'équilibre entre elle et la Suède, a été le principe de cette alliance que l'intérêt maritime fortifie actuellement. » (Idem.)

« ՆախորդըՇարունակել »