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intentions pures. Ce livre est destiné à prouver qu'il était un prince à idées intelligentes, élevées, nationales, et si la crise révolutionnaire n'était point venue troubler l'histoire de la patrie, la France serait maintenant la première puissance maritime et diplomatique de l'Europe, avec d'immenses colonies; l'Espagne, Naples et la Hollande pour alliées; le respect le plus absolu des pavillons neutres, et la Belgique comme accroissement territorial; non point en vertu de ces conquêtes passagères que la révolution donna, et que les revers nous ont enlevées, mais en vertu de ces traités et de ces systèmes de réunion qui ont rendu inhérentes au sol de la France la Flandre, la FrancheComté, l'Alsace, la Lorraine et la Corse. A ce point de vue élevé, la révolution nous a reculés de plusieurs siècles.

Je pose en fait que la véritable politique d'État a fini en France à l'avénement de la révolution de 1789; et j'appelle politique d'État, ce système de traditions qui avait grandi notre territoire par des réunions durables, des conquêtes assurées à travers les siècles et créé notre puissante influence en Europe par des alliances d'intérêt, de protection ou de famille, en un mot, la vaste pensée de Riche

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lieu et de Louis XIV. Depuis il y a eu des ravages héroïques, des expéditions rapides, à la manière des Barbares des Ive et ve siècles; les Francs se sont reproduits sous d'admirables conquérants. Si le torrent a été rapide, impétueux, il est rentré, hélas! bien en-deçà de son vieux lit. Que nous reste-t-il des conquêtes de la république et de l'empire? Y avait-il alors une diplomatie, un droit public, pas même un respect du droit de propriété, lorsque à la manière des Goths et des Vandales nous revenions chargés des dépouilles d'un peuple, de ses vierges d'or, de ses reliques, de ses vases sacrés?

Il y a un second aspect sous lequel cette politique d'État s'est entièrement perdue, c'est le caractère et la force catholique, et ici je parle moins encore du catholicisme comme croyance, que comme action diplomatique; or la protection du catholicisme nous donnait des populations entières en Syrie, en Irlande, en Flandre, en Pologne; et qui ne sait qu'en définitive le monde en vient toujours à la grande lutte des croyances? l'Autriche et la Russie savent cela admirablement.

Comme j'ai toujours professé une grande netteté d'opinion historique, je dirai donc que ce livre n'a aucune des admirations vulgaires et stéréotypées

pour l'idée de 1789. Je crois dans toute la sincérité de mon âme que cette révolution n'a résolu aucune des grandes questions sociales de l'industrie, des manufactures, de la religion, de la morale, du servage, de la famille et de l'éducation; elle n'a été qu'une aveugle destruction dans laquelle on se débat aujourd'hui, comme des gens qui souffrent et qui cherchent un remède.

Pour arriver à cette conviction historique, il m'a fallu fouiller bien des pièces, rechercher les documents aux sources, sans entraînement, sans illusion. Ces pièces, je les ai divisées en plusieurs catégories : 1o L'administration; 2° la diplomatie; 3o la vie intime. Dans l'administration, j'ai compris naturellement le recueil des édits, des ordonnances, et aussi des actes du conseil qui s'élèvent à plus de trois mille, dans la belle collection des Archives du royaume (section administrative). C'est aussi dans ces archives que se trouvent les travaux des intendants et la correspondance des ministres avec ces fonctionnaires si remarquables comme économistes et comme administrateurs. En diplomatie, on verra que toute la correspondance de Louis XVI, de M. de Vergennes, de M. de Montmorin a passé sous mes yeux; je l'ai classée en sui

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vant l'histoire particulière de chaque traité et des relations générales avec les cabinets. Enfin pour la vie intime, j'ai fouillé toutes les collections particulières, et le petit carton si précieux qui existe aux Archives du royaume, où la main de Louis XVI est partout, sur le dos des cartes à jouer, sur des petits carrés de papiers; enfin le fameux Livre rouge, l'état des chasses et le petit journal du roi tout écrit de sa main, et ses comptes privés.

J'ai beaucoup analysé de documents, et ce qui est plus précieux encore que les pièces, j'ai recouru à l'esprit du temps, à la tendance des mœurs, qui sont les grands livres de l'histoire. Cette société a besoin d'être étudiée jusque dans ses fantaisies, dans ses intérêts commerciaux, dans ses modes, et c'est un travail que je n'ai jamais négligé dans les études d'une époque. Que souvent il m'a fallu parcourir Versailles et Trianon pour chercher les traces de la monarchie de Louis XVI et de Marie-Antoinette, dont les pieds foulèrent ces gazons fleuris au murmure des cascades jaillissantes; alors je me suis reproduit cette cour brillante et loyale, dernier débris de la chevalerie! La tempête a brisé tant de belles tiges de noble race qui entouraient la reine de France; les Lamballe,

les Polignac, les Vaudreuil. A Schoenbrünn, j'ai cherché-toujours Marie-Antoinette, et à Trianon je la voyais encore dans les plus délicates œuvres de l'art. Lorsque à Versailles la cohue de peuple brise aujourd'hui la solitude des parcs, que de fois j'ai maudit ce Jeu de paume où quelques parleurs de droit public vinrent insulter la bonté et la faiblesse d'un petit-fils de Louis XIV! Comment se fit-il que mille chevaliers ne jetèrent pas leurs gantelets à ces communes insensées? Hélas! c'est que parmi ces chevaliers, il y avait des félons aussi; la noblesse de France ne fit pas tout ce qu'elle dut; les blasons de bien des grandes familles furent souillés par la trahison; les pauvres merlettes s'enfuirent des pièces d'honneur, toutes honteuses de ces traîtrises, car les fils des pèlerins de la TerreSainte allaient briser le trône de saint Louis et la vieille église du manoir!

Trianon, 4 mai 1844.

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