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Ces motifs déterminèrent le roi à donner des ordres à M. de Maurepas pour qu'il eût à demander le portefeuille à M. Turgot, contrôleurgénéral. Louis XVI s'était d'abord contenté de résister à ses mesures; et, comme il arrive toujours, ceci avait blessé profondément le ministre systématique; devenu plus aigre, plus impérieux, il parla de démission on le laissa dire jusqu'à ce que tout fût prêt; et quand le temps arriva, M. Bertin, l'exécuteur des ordres du roi, les porta aux économistes. M. Turgot ne s'y attendait pas : qui ne se croit ministre indispensable d'un règne? Lorsque M. Bertin parut, il travaillait paisiblement à son bureau; son dépit se révèle dans la lettre qu'il adressa au comte de Maurepas et, rappelant les services qu'il avait rendus à son maître : « Jamais il ne lui avait caché les vérités utiles; comme il n'avait à se reprocher ni faiblesse ni fausseté, il se retirait sans crainte, sans honte et sans remords.

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Lettre de M. de Maurepas à M. Turgot.

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« Je m'empresse, Monsieur, à vous témoigner la part que madame de Maurepas et moi avons pris à l'événement qui vous est arrivé.

« J'ai l'honneur d'être, etc.>>

Réponse de M. Turgot.

« Je ne doute pas, Monsieur, de la part que madame de Maurepas

M. Turgot et M. de Malesherbes avec lui sortaient des affaires sans popularité et sans renommée. Pour ressaisir un peu d'ascendant sur l'opinion publique, tous deux publièrent des mémoires justificatifs et presque historiques sur l'ensemble et les détails de leur administration, qui furent placés sous les yeux du roi. Ces mémoires ne donnèrent pas un partisan de plus aux ministres disgraciés; car si chacun se plaisait à rendre justice à M. Turgot, à sa science d'administration et à sa probité, tous reconnaissaient aussi qu'il avait blessé l'esprit et les besoins de la nationalité française. En politique, il ne suffit pas d'être un homme probe et un théoricien distingué; souvent même ces deux conditions dans un ministre influent sont la cause première de la décadence d'un Etat : quand on est à la tête d'un vaste empire, il faut savoir subir les abus nécessaires, les choses qui paraissent surannées, car tout se lie dans la marche des âges; les siècles n'ont rien d'absurde, tout effet a sa cause: ce que les générations

et vous, avez prise à l'événement qui vient de m'arriver; mais quand on a servi son maître avec fidélité, qu'on a fait profession de ne lui taire aucune vérité utile, et qu'on n'a à se reprocher ni faiblesse, ni fausseté, ni dissimulation, on se retire sans honte, sans crainte et sans remords.

« J'ai l'honneur d'être avec les sentiments que je vous dois, etc.»>

forment et façonnent lentement est souvent le résultat d'une nécessité invisible, et touchez une pièce de l'édifice, il s'écroule. Sans doute M. Turgot avait raison lorsqu'il proclamait que tous les propriétaires devaient l'impôt; mais en blessant l'esprit gentilhomme et ses inégalités, on tuait la monarchie; on préparait une situation sociale, au milieu de laquelle le trône ne serait plus qu'un horsd'œuvre était-ce là le but d'un homme d'Etat?

Le comte de Saint-Germain lui-même n'était pas un esprit sans mérite avec son imagination si vive, sa facilité extrême à tout voir, à tout apprécier. Sous le point de vue économique, il y avait avantage à retrancher quelques-unes des brillantes compagnies qui entouraient la personne royale, chevau-légers et mousquetaires; mais à un trône il fallait de l'éclat, à une couronne d'or des rubis, et la maison du roi n'avait-elle pas gagné son uniforme au prix du sang, témoin à Fontenoy, où elle avait sauvé la France de l'invasion anglaise? Le jour où il n'y aurait plus de garde privilégiée, chevau-légers, grenadiers à cheval, mousquetaires, la royauté serait-elle également respectée et défendue? et c'est ainsi que le comte de Saint-Germain et M. Turgot avançaient le temps d'une révolution. Toute conscience élevée rendait

également justice au caractère antique de M. de Malesherbes; une vertu aussi pure n'appartenait pas à son temps, et pourtant c'était le ministre le plus dangereux pour la couronne'; car rien n'est plus fatal pour le pouvoir que de placer le décousu et la faiblesse sous la protection de la vertu ; le désordre devient alors presque une qualité, et le peuple s'habitue à confondre l'anarchie des idées avec les plus nobles conditions de l'esprit.

Les ministres véritablement hommes d'État qui se dévouérent à la cause du pays contre l'Angleterre, sans système puéril de réforme et de philosophie, le comte de Vergennes et M. de Sartines, appartenaient tous deux au parti du duc d'Aiguillon, si ferme, parce qu'il portait en lui la pensée du cardinal de Richelieu. M. de Vergennes avait vu la conséquence invariable de la reconnaissance des États-Unis comme puissance libre. En vain on don

1 Extrait d'un mémoire remis à Louis XVI par M. de Malesherbes, peu de temps après sa retraite.

« J'ose assurer le roi, qu'à l'exception des seules personnes qui composent sa cour, nul ne lui sait gré de ce pompeux appareil qui l'environne, et que l'extérieur le plus simple, le retranchement de tout faste et de toute superfluité, ne fera qu'augmenter la vénération qu'il inspirera à ses sujets et aux étrangers. La réformation des dépenses dans cette partie est donc la plus généralement dé

MM. DE VERGENNES et de Sartines (1776-1777). 119 nait des explications à la Grande-Bretagne sur cet acte, il portait avec lui-même la nécessité inflexible d'une guerre; et c'est à cette pensée que toutes les démarches de M. de Vergennes se rattachaient; sa correspondance en fait foi. Partout il réveille le zèle des ambassadeurs : à Madrid, à Stockholm, à Copenhague, à Constantinople, «afin qu'ils prennent toutes les précautions nécessaires, car la lutte est imminente et sérieuse ». M. de Sartines à son tour n'a qu'un but, qu'une pensée, c'est de grandir la marine, de multiplier les escadres, et en cela il suit, il exécute les volontés de Louis XVI. Il existe de cette époque une série d'ordonnances sur la défense des ports, la confection des rôles d'équipage, l'armement des navires, toutes marquées d'un caractère de prévoyance qui fait grand honneur à ce département. M. de Sartines, ministre d'application intelligente et active, sait que le roi s'absorbe dans

sirée, c'est celle qui fera le plus d'honneur au roi, et dont les peuples auront le plus de reconnaissance, parce qu'elle lui est personnelle. En effet, elle ne peut être l'ouvrage d'un ministre ; car il faut que le roi lui-même consente, avec connaissance de cause, à chacun des sacrifices qu'il faudra faire, c'est celle qui donnera l'exemple de l'économie qu'il est si nécessaire d'apporter dans les autres parties de l'administration. C'est celle aussi qui établira sur une base solide, le crédit si nécessaire aux finances. »

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