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pas la propre sœur du roi d'Angleterre, et où chercher un appui désormais, si ce n'est dans la cour de Louis XVI? M. de Vergennes ne négligea rien pour soulever ces haines et pousser le Danemarck, en désespoir de cause, à se jeter sous le protectorat de la France, et il agit avec une égale activité à Stockholm, à Copenhague pour opérer la ligue maritime en cas de guerre contre la Grande-Bretagne. Ainsi en Suède un roi levait l'épée haute contre les états, la noblesse, secondé en cela par le cabinet de Versailles, qui ne demandait en échange que le concours de la flotte pour assurer la liberté du pavillon; et en Danemarck, toute protection est accordée au parti qui proscrit Mathilde, parce que ce parti est anglais; de là nécessité pour le nouveau gouvernement d'une alliance intime avec la France. Enfin, pour ce qui touche la Hollande, le cabinet de Versailles adopte comme système une pensée d'hostilité contre la puissance d'un stathouder, parce que le stathouder était une institution anglaise, et que les patriotes des États-Généraux avaient promis une alliance intime avec la France, en échange des secours qu'ils recevaient d'elle.

Qu'on remarque donc le concours formidable que M. de Vergennes prépare pour sa diplomatie,

au cas d'une guerre contre la Grande-Bretagne. II ne croit pas que l'isolement soit une chose possible à la face d'un cabinet aussi actif, aussi redoutable que la cour de Londres. Il veut se venger, mais il est patient. Il faut que la guerre soit heureuse, et pour cela de bonnes finances et une marine considérable sont indispensables. Avant de commencer les hostilités exclusivement maritimes, il est urgent d'avoir pour soi le concours de la flotte espagnole de plus de soixante vaisseaux, afin d'enlacer la Grande-Bretagne par des formidables escadres. Si la Hollande entrait dans notre système, nos forces en recevraient un plus grand développement. Enfin le principe de cette guerre devait être la neutralité armée soutenue par la Suède, le Danemarck, les villes anséatiques, acceptant même le protectorat de la Russie, puissance garante des neutres.

Ces précautions prises, et afin d'appliquer toutes les forces actives de la France dans une guerre maritime, on devait s'assurer qu'il n'y aurait pas de guerre continentale. L'expérience avait prouvé que la France ne pouvait pas mener de front une double lutte sur l'Océan et de grandes batailles au Rhin, aux Alpes ou aux Pyrénées. L'histoire révèle que chaque fois que l'Angleterre se trouve vi

vement pressée dans une guerre maritime avec la France, elle se hâte de soulever l'Europe contre nous, et le but de M. de Choiseul, en signant l'alliance de 1756, avait été d'empêcher ces doubles conflits, mortels pour notre avenir. Or, comme l'Autriche seule pouvait opposer des masses assez compactes, assez formidables pour absorber notre attention sur le continent, il fallait s'unir à elle '. Cette alliance conquise, il n'y avait plus à s'occuper des autres puissances: la Russie était trop loin pour se mouvoir, la Prusse trop absorbée en Allemagne, et puisque l'Espagne, le Piémont, nous étaient sincèrement alliés, nos frontières étaient pleinement couvertes. C'est ce qui donnait tant d'importance à notre union avec l'Autriche, bien plus encore que l'alliance avec la famille de Marie-Antoinette.

La situation des traités de 1756, à la mort de Louis XV, ne s'était point modifiée, et l'avénement du nouveau roi n'apportait de changement notable que dans le gouvernement intérieur. M. de Mau

1 L'ambassade du prince Louis de Rohan, à Vienne, avait été des mieux informée, et voici une de ses révélations fort curieuse (1774).

« .....De mon cabinet je lis toutes les correspondances; j'apprends les secrets que nos ministres croient devoir me taire dans les lettres qu'ils m'écrivent; c'est là que j'ai connu et révélé dans

repas différait peu du duc d'Aiguillon dans ses opinions mixtes et modérées sur l'alliance autrichienne. Si l'on avait voulu complétement plaire au cabinet de Vienne, le meilleur parti eût été d'appeler le duc de Choiseul au ministère, sous l'influence de la reine Marie-Antoinette; mais Louis XVI n'avait pas des opinions aussi favorables au système exclusivement autrichien; toutefois il ne voulait rien brusquer avec la cour de Vienne, parce que la paix continentale lui était nécessaire.

Le jeune roi avait son plan tout arrêté; comme il savait que l'Autriche désirait s'agrandir par la Bavière, afin de compléter la ligue du Danube et de l'Inn, eh bien ! dans les chances naturelles de l'avenir, si l'Autriche réalisait son idée, l'indemnité convenable, positive pour la France, devait être les

une lettre secrète remise au roi par le prince de Soubise, que le comte de Broglie avait, par l'autorisation même de S. M., continué pendant son exil sa correspondance secrète et particulière avec M. Durand, à Pétersbourg, et avec d'autres ministres. A cette lettre étaient joints les chiffres dont on se servait.... Depuis ces connaissances heureusement acquises, et communiquées avec empressement à notre ministère, je n'ai cessé d'insister sur la nécessité d'un changement de chiffres: je suis toujours sans moyens sûrs pour les avis secrets que j'ai à transmettre à Constantinople, Stockholm et Pétersbourg. Toutes les dépêches du prince de Kaunitz, toutes celles des princes étrangers interceptées, passent par ce qu'on appelle ici le cabinet des déchiffreurs. Le baron de Piehler

deux Flandres autrichiennes, possessions fort onéreuses à la cour de Vienne, et qui allaient si bien à la monarchie des Bourbons. En consultant les archives impériales, on peut voir que dès ce moment l'Autriche ne considère plus les Pays-Bas que comme une compensation pour les traités à venir : ces populations flamandes ou brabançoises, séditieuses et turbulentes, placées entre la Hollande républicaine et la France qui les convoite, ne semblent plus qu'un embarras pour la monarchie autrichienne. Tôt ou tard elle les cédera dans un remaniement de l'Eudestiné à grandir son influence sur l'Adriatique et la Turquie. Ainsi M. de Vergennes ménage l'Autriche sous un double point de vue, d'abord parce que son attitude pacifique lui permet le développe

rope,

en est le directeur; il travaille seul avec l'impératrice et ne rend compte qu'à elle. Le directeur lui remet cinq copies : une pour l'empereur, une pour le grand duc de Toscane, successeur éventuel de la monarchie autrichienne, une à Bruxelles, au prince de Staremberg, désigné pour remplacer le prince de Kaunitz, et une au comte de Rosemberg, homme de confiance. Chacun renvoie ces copies à l'impératrice avec des observations à mi-marge, et c'est de ces observations combinées et discutées que se forment les projets et les résolutions. L'impératrice fait quelquefois ajouter ou retrancher dans les dépêches interceptées, lorsqu'elle veut faire parvenir à l'empereur des conseils ou des avis dont elle ne voudrait pas paraître l'auteur. »

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