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ment de son système maritime contre l'Angleterre, si important alors, et qu'ensuite on pourra s'accorder sur un traité qui remaniant la Bavière, la Pologne, et même la Turquie, nous donnera la ligne du Rhin et des Pays-Bas.

Si l'Autriche aurait salué avec joie l'avénement de M. de Choiseul au ministère, sous le nouveau règne, la cour de Berlin, au contraire, le repoussait de toutes ses forces. Aux derniers temps de Louis XV, pour balancer l'action de la cour de Vienne, le duc d'Aiguillon, soutenu en cela par la correspondance secrète du roi, avait cherché à renouveler les rapports avec la Prusse, brisés par le traité de 1756; on peut voir dans la correspondance de Frédéric II les espérances qu'il fonde sur l'avénement de Louis XVI, dont il avait profondément étudié le caractère. Les sarcasmes et les lazzis de Frédéric II contre madame de Pompadour tenaient bien moins à un rigorisme moral sur les devoirs de la royauté (car Frédéric Il était peu scrupuleux), qu'à ce ressentiment qu'inspiraient au roi de Prusse les récents traités de M. de Choiseul avec l'Autriche. Il flattait le jeune roi Louis XVI, il le prenait par les sentiments de probité, d'honneur, afin de le séparer du système autrichien. En toute hypothèse la Prusse n'aurait

jamais fait une guerre seule contre la France, alors même que l'Angleterre eût fourni les subsides. Frédéric avait une haute estime pour le caractère belliqueux de notre nation, pour les ressources infinies de ce merveilleux pays. Jamais il n'aurait osé provoquer les hasards des batailles sur la frontière du Rhin; il savait toute l'influence du cabinet de Versailles en Allemagne, ses rapports intimes et assidus avec la Bavière, la Saxe s'aliéner la France, c'était donc se créer de nouveaux obstacles en Allemagne.

L'ambassade trop active du marquis de la Chetardie à Pétersbourg, en donnant à la politique française le caractère d'une intrigue, avait rabaissé le crédit de la maison de Bourbon en Russie. Le souvenir en restait à la mémoire de Catherine II; de là ses liaisons avec le parti philosophique, dont les efforts tendaient à démolir l'autorité royale en France. Ensuite dans la situation où M. de Vergennes s'était placé à l'égard du Danemarck et de la Suède, par les traités intimes conclus avec ces deux puissances, il était presque impossible de conserver de bons rapports avec la Russie, hostile alors à ces deux cabinets. La France n'avait-elle pas prêté secours dans la guerre du Danemarck contre Pierre III, et le bizarre comte de Saint-Germain, alors ministre de

Louis XVI, n'avait-il pas lui-même porté les armes contre la Russie? Il en était résulté une certaine froideur entre les cabinets de Versailles et de Pétersbourg, sans entraîner néanmoins des hostilités entre deux puissances qui ne se touchaient par aucun point. La Russie pouvait-elle lutter maritimement contre la France, si forte de ses escadres? et puisque la Prusse et l'Autriche étaient en paix, quel moyen restait-il à la Russie pour menacer nos frontières? La marche du temps qui efface les préventions devait rapprocher la Russie de la France, et M. de Vergennes préparait déjà le protectorat des neutres, qu'il devait offrir à l'orgueil de Catherine II pour l'éloigner de toute alliance avec l'Angleterre.

La France, d'ailleurs, par ses relations militaires et diplomatiques avec la Turquie, devait être singulièrement ménagée par la Russie. Nul cabinet n'avait avec le divan d'aussi bons rapports; ils remontaient à François Ier; le commerce français s'étendait sur toutes les Échelles ; et c'était par une intervention continue que M. de Vergennes, longtemps lui-même ambassadeur auprès de la Porte, maintenait les intimités. Malheureusement l'esprit philosophique entraînait l'opinion vers de nouveaux intérêts, et les encyclopédistes, tout pénétrés des idées classiques sur la Grèce

et son antique liberté, avaient considérablement favorisé l'ambition de Catherine II, contre l'empire ottoman. Il suffit de lire la correspondance de Voltaire avec la czarine pour s'en convaincre '. Le vieillard de Ferney, dans son zèle pour la belle littérature, semble la supplier de conquérir Constantinople. Comme il a fait des tragédies, et qu'Eschyle en a composé avant lui, comme il y a eu des théâtres célèbres dans la vieille Athènes, où des milliers de spectateurs s'asseyaient en face des mimes, Voltaire, qui a une grande et juste passion pour le théâtre, voudrait livrer la Grèce aux armées russes, pourvu qu'on y jouât la tragédie. Il se félicite comme d'un succès personnel de toutes les batailles que les Moscovites gagnent contre les Tures.

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1 Voici quelques extraits de la correspondance de Voltaire: « A Ferney, 14 septembre 1770. Si vous étiez souveraine de Constantinople, Votre Majesté établirait bien vite une belle académie grecque. On vous ferait une caterinade: les Zeuxis et les Phidias couvriraient la terre de vos images; la chute de l'empire ottoman serait célébrée en grec; Athènes serait une de vos capitales, la langue grecque deviendrait la langue universelle : tous les négociants de la mer Egée demanderaient des passeports grecs à V. M.... »

«12 octobre. .... Pour peu que vous tardiez à vous asseoir sur le trône de Stamboul, il n'y aura pas moyen que je sois témoin de ce petit triomphe.... »

« 23 octobre. Plus vos succès sont grands, plus mon étonne

....

Catherine II, dans le but de populariser ses conquêtes, envoie avec assiduité ses bulletins à Voltaire, qui s'en enthousiasme, et les communique par sa correspondance si active, si populaire, à toute la coterie philosophique, et avec elle au monde. Et qu'importe que, par cette politique, la France perde son influence à Constantinople et voie tomber ses intérêts commerciaux dans les Échelles? ceci préoccupe très peu les encyclopédistes: sous prétexte de favoriser le genre humain, ceux-ci oublient la patrie et ses intérêts. Naguère ils ont favorisé les conquêtes de Frédéric II en Allemagne, en Pologne, et traité les soldats français en adversaires à Rosbach; aujourd'hui c'est le tour de Catherine, la Sémiramis du Nord, la femme forte et philosophe. Habile po

ment redouble qu'on ne les ait pas secondés, et que la race des Turcs ne soit pas déjà chassée de l'Europe.... »

« 20 novembre. .... Je suis un peu affligé, en qualité de Français, d'entendre dire que c'est un chevalier de Tott qui fortifie les Dardanelles. Quoi! c'est ainsi que finissent ces Français qui ont commencé autrefois la première croisade.......... »

« 6 juillet 1771. ..... Si je questionnais le chevalier de Boufflers, je lui demanderais comment il a été assez follet pour aller chez ces malheureux confédérés (les Polonais), qui manquent de tout, et surtout de raison, plutôt que d'aller faire sa cour à celle qui va les mettre à la raison. Je supplie Votre Majesté de le prendre prisonnier de guerre............»

« 20 avril 1773. ..... Je rends grâce à la nature qui a peut-être

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