ALCESTE J'en pourrois, par malheur, faire d'aussi méchants; ORONTE Vous me parlez bien ferme, et cette suffisance.... 1. ALCESTE Autre part que chez moi cherchez qui vous encense. ORONTE 430 Mais, mon petit Monsieur, prenez-le un 2 peu moins haut. ALCESTE Ma foi! mon grand Monsieur, je le prends comme il faut. PHILINTE, se mettant entre-deux. Eh! Messieurs, c'en est trop laissez cela, de grâce. 435 1. A bout de raisons, blessé à chaque instant par les vives ripostes d'Alceste, Oronte a recours à la violence: c'est la marche ordinaire que suivent les discussions auxquelles se mêle un intérêt personnel. Si Alceste était un sage, il l'aurait compris et se serait arrêté à temps; mais Alceste n'est pas un sage et voilà pourquoi nous rions de lui sans rire de la vertu. 2. Ainsi dans le Tartuffe, vers 1115: Ingrat! Laissez-le en paix. S'il faut à deux genoux.... et dans les Plaideurs de Racine, vers 614: Condamnez-le à l'amende; ou s'il le casse au fouet. Cette licence n'est guère admissible que dans la comédie. cependant élidé le même dans un vers tragique : Attendez-le plutôt et voyez-le en ces lieux. Racine a (Thébaïde, vers 180, édition de 1664.) Voyez plus bas le vers 748. ORONTE Ah! j'ai tort, je l'avoue, et je quitte la place. ALCESTE Et moi, je suis, Monsieur, votre humble serviteur. SCÈNE III PHILINTE, ALCESTE PHILINTE Hé bien! vous le voyez pour être trop sincère, 1. Expression ironique ou plutôt, ici, sorte d'antiphrase. 440 Ah, parbleu! c'en est trop; ne suivez point mes pas. PHILINTE Vous vous moquez de moi, je ne vous quitte pas 2. 1. C'est-à-dire, je ne veux point de langage, d'explication. 445 2. Nous avons reconnu dans le cours de cet acte les défauts de Philinte. Reconnaissons aussi ses qualités; c'est un homme doux et prudent; il a l'esprit bien fait, ne se blesse jamais des rebuffades d'Alceste, et reste pour lui un ami dévoué; même repoussé brutalement par le misanthrope, il le suit et se garde bien de l'abandonner à sa mauvaise humeur. FIN DU PREMIER ACTE ACTE II SCÈNE PREMIÈRE ALCESTE, CÉLIMÈNE ALCESTE Madame, voulez-vous que je vous parle net1? Contre elles dans mon cœur trop de bile s'assemble 2, CÉLIMÈNE C'est pour me quereller donc, à ce que je voi 3, 450 455 1. Voyez plus haut, vers 431, un tour analogue. « Vous me parlez bien ferme..... Remarquez aussi que l'auteur manque ici, après la suspension de l'entr'acte, à la règle de l'alternance des rimes (l'acte Ier se termine sur deux rimes masculines). 2. On dit plutôt dans ce sens s'amasse. 3. Voyez la note au vers 264. ALCESTE Je ne querelle point; mais votre humeur, Madame, CÉLIMÈNE Des amants que je fais me rendez-vous coupable? ALCESTE 460 Non, ce n'est pas, Madame, un bâton qu'il faut prendre, 465 Mais un cœur 2 à leurs vœux moins facile et moins tendre. Je sais que vos appas vous suivent en tous lieux; Mais votre accueil retient ceux qu'attirent vos yeux; 3 Et sa douceur offerte à qui 3 vous rend les armes 470 1. Amants, prétendants; maîtresse, femme que l'on aime et que l'on recherche en mariage; - ces mots se prennent constamment ainsi en bonne part chez tous les auteurs du dix-septième siècle. Alceste est donc d'une sévère franchise avec Célimène, mais il ne va pas jusqu'à l'insulte, comme on le lui a reproché. 2. On ne dit pas sans doute prendre un cœur; mais Alceste relève la plaisanterie de Célimène et saisit naturellement au passage le terme même qu'elle emploie. Nous l'avons déjà dit (note au vers 335), la colère n'a pas les scrupules du bon goût; elle se sert du premier mot venu, comme, pour frapper, de la première arme qu'elle rencontre. 3. L'ellipse de l'antécédent donne beaucoup de vivacité à l'expression : A qui venge son père il n'est rien d'impossible. (Corneille, le Cid.) Ce tour est très fréquent chez nos meilleurs auteurs. |