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GARDE, ALCESTE, CÉLIMÈNE, ÉLIANTE, ACASTE,

PHILINTE, CLITANDRE

GARDE

Monsieur, j'ai deux mots à vous dire.

ALCESTE

Vous pouvez parler haut, Monsieur, pour m'en instruire. 750

GARDE

Messieurs les Maréchaux, dont j'ai commandement,

que gros, gros Monsieur; car il a du dor à son habit tout depis le haut jusqu'en bas. » (Scène I de l'acte II.) Quant à la jaquette, c'était le hoque'on des exempts de la maréchaussée, vêtement assez ample et tombant jusqu'aux genoux.

1. Voyez la note au vers 133.

2. On a sans doute envoyé à Alceste un officier; il lui parle avec égards: « Le corps de garde établi chez monsieur le Maréchal doyen est toujours composé d'un lieutenant, d'un exempt, de six gardes, d'un brigadier et d'un sous-brigadier, tous en uniforme complet. » (De Beaufort, Recueil d'édits.)

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Oronte et lui se sont tantôt bravés 2 Sur certains petits vers, qu'il n'a pas approuvés; Et l'on veut assoupir la chose en sa naissance.

ALCESTE

Moi, je n'aurai jamais de lâche complaisance.

755

1. Pour prévenir les duels, rigoureusement défendus par l'édit de septembre 1651, on avait institué un tribunal d'honneur, composé des maréchaux de France et présidé par leur doyen. Celui-ci, qui avait gardé quelques-unes des prérogatives de nos anciens connétables, avait à ses ordres une compagnie dite de la connétablie, qui envoyait tous les jours en son hôtel un poste formé comme nous l'avons dit dans la note précédente. Dès que les maréchaux apprenaient qu'une querelle avait eu lieu, ils mandaient à leur tribunal les deux adversaires et s'efforçaient de les amener à un accommodement.

-

2. Bravés, provoqués.

Le but des maréchaux était précisément d'empêcher que ces sortes de provocations ne fussent suivies de rencontres.

PHILINTE

Mais il faut suivre l'ordre: allons, disposez-vous....

ALCESTE

Quel accommodement veut-on faire entre nous ?
La voix de ces Messieurs me condamnera-t-elle
A trouver bons les vers qui font notre querelle?
Je ne me dédis point de ce que j'en ai dit,
Je les trouve méchants.

760

PHILINTE

Mais d'un plus doux esprit....

ALCESTE

Je n'en démordrai point les vers sont exécrables 1. 765

PHILINTE

Vous devez faire voir des sentiments traitables.

Allons, venez.

ALCESTE

J'irai; mais rien n'aura pouvoir

De me faire dédire.

PHILINTE

Allons vous faire voir.

ALCESTE

Hors qu'un commandement exprès du Roi me vienne
De trouver bons les vers dont on se met en peine,

770

En vérité, Al

1. Toujours de l'humeur! Les vers d'Oronte étaient méchants; les voilà devenus exécrables parce que Philinte intervient. ceste n'est pas traitable.

Je soutiendrai toujours, morbleu ! qu'ils sont mauvais,
Et qu'un homme est pendable après les avoir faits1.
(A Clitandre et Acaste, qui rient.)

Par la sangbleu2! Messieurs, je ne croyais pas être
Si plaisant que je suis 3.

CÉLIMÈNE

Allez vite paroître

Où vous devez.

ALCESTE

J'y vais, Madame, et sur mes pas Je reviens en ce lieu, pour vuider nos débats.

775

1. C'est Boileau qui a fourni à Molière cette plaisante boutade; Despréaux avoue lui-même qu'il fut dans ce cas le modèle d'Alceste (Lettre écrite en 1706 au marquis de Mimeure), et voici, selon Brossette, dans quelle circonstance : « Molière engageait un jour Boileau à épargner Chapelain dans ses satires, sous prétexte que ce poète était fort aimé de Colbert et du Roi lui-même : « Oh! le Roi et M. Colbert feront ce qui leur plaira, << dit Boileau brusquement; mais à moins que le Roi ne m'ordonne expres<< sément de trouver bons les vers de Chapelain, je soutiendrai toujours << qu'un homme après avoir fait la Pucelle mérite d'être pendu. » 2. VAR. Par le sangbleu (1674, 1682).

3. C'est précisément pour cette raison qu'il l'est. << M. Despréaux, dit Brossette, a encore récité cet endroit du Misanthrope de Molière, où il dit, quand on rit de sa fermeté outrée :

«Par le sangbleu! Messieurs, je ne croyais pas être si plaisant que je

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» Molière, en récitant cela, l'accompagnait d'un ris amer si piquant, que M. Despréaux, en le faisant de même, nous a fort réjouis. Il a dit, en même temps, que le théâtre demandait de ces grands traits outrés, aussi bien dans la voix, dans la déclamation, que dans le geste. >>

4. Telle était l'orthographe usitée alors; voyez dans le Tartuffe vuider d'affaire (vers 1053), et un ordre de vuider d'ici (vers 1749).

FIN DU SECOND ACTE.

ACTE III

PREMIÈRE SCÈNE

CLITANDRE, ACASTE

CLITANDRE

Cher Marquis, je te vois l'âme bien satisfaite :
Toute chose t'égaye, et rien ne t'inquiète.
En bonne foi, crois-tu, sans t'éblouir les yeux,
Avoir de grands sujets de paroître joyeux ?

ACASTE

Parbleu! je ne vois pas, lorsque je m'examine 1,
Où prendre aucun sujet d'avoir l'âme chagrine.
J'ai du bien, je suis jeune, et sors d'une maison
Qui se peut dire noble avec quelque raison;
Et je crois, par le rang que me donne ma race,

780

785

1. Il s'examine avec complaisance. Molière n'a jamais négligé l'occasion de dauber sur les marquis, et il l'a fait avec une audace qui n'était pas sans danger on sait avec quelle brutalité le traita le duc de La Feuillade après la Critique de l'École des femmes. (Voyez Taschereau, Hist. de la vie de Molière, liv. II, pages 78 et 79.)

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