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d'un aveugle, s'embarrasser dans ses jambes, et tomber avec lui chacun de son côté à la renverse. Il lui est arrivé plusieurs fois de se trouver tête pour tête à la rencontre d'un prince et sur son passage, se reconnaître à peine, et n'avoir que le loisir de se coller à un mur pour lui faire place. Il cherche, il brouille, il crie, il s'échauffe, il appelle ses valets l'un après l'autre ; on lui perd tout, on lui égare tout: il demande ses gants qu'il a dans ses mains, semblable à cette femme qui prenait le temps de demander son masque, lorsqu'elle l'avait sur son visage. Il entre à l'appar tement, et passe sous un lustre où sa perruque s'accroche et demeure suspendue; tous les courtisans regardent,et rient: Ménalque regarde aussi, et rit plus haut que les autres; il cherche des yeux dans toute l'assembée où est celui qui montre ses oreilles, et à qui il manque une perruque. S'il va par la ville, après avoir fait quelque chemin il se croit égaré; il s'émeut, et demande où il est à des passants, qui lui disent précisément le nom de sa rue: il entre ensuite dans sa maison, d'où il sort précipitamment, croyant qu'il s'est trompé. Il descend du palais, et'trouvant au bas du grand degré un carrosse qu'il prend pour le sien, il se met dedans: le cocher touche, et croit remener son maître dans sa maison. Ménalque 'se jette hors de la portière, traverse la cour, monte l'es

calier, parcourt l'antichambre, la chambre, le cabinet; tout lui est familier, rien ne lui est nouv.eau; il s'assied, il se repose, il est chez soi. Le maître arrive, celui-ci se lève pour le recevoir, il le traite fort civilement, le prie de s'asseoir, et croit faire les honneurs de sa chambre: il parle, il rêve, il reprend la parole: le maître de la maison s'ennuie, et demeure étonné: Ménalque ne l'est pas moins, et ne dit pas ce qu'il en pense; il a affaire à un fâcheux, à un homme oisif, qui se retirera à la fin, il l'espère; et il prend patience: la nuit arrive qu'il est à peine détrompé. Une autre fois il rend visite à une femme, et, se persuadant bientôt que c'est lui qui la reçoit, il s'établit dans son fauteuil, et ne songe nullement à l'abandonner; il trouve ensuite que cette dame fait ses visites longues; il attend à tous moments qu'elle se lève et le laisse en liberté : mais comme cela tire en longueur, qu'il a faim, et que la nuit est déja avancée, il la prie à souper; elle rit, et si haut qu'elle le réveille. Lui-même se marie le matin, l'oublie le soir, et découche la nuit de ses noces; et quelques années après, il perd sa femme, elle meurt entre ses bras, il assiste à ses obsèques; et le lendemain, quand on lui vient dire qu'on a servi, il demande si sa femme est prête, et si elle est avertie. C'est lui encore qui entre dans une église, et prenant l'aveugle qui est collé à la porte

pour un pilier, et sa tasse pour le bénitier, y plonge la main, la porte à son front, lorsqu'il entend tout d'un coup le pilier qui parle et qui lui offre des oraisons. Il s'avance dans la nef, il croit voir un prie-dieu, il se jette lourdement dessus; la machine plie, s'enfonce, et fait des efforts pour crier: Ménalque est surpris de se voir à genoux sur les jambes d'un fort petit homme, appuyé sur son dos, les deux bras passés sur ses épaules, et ses deux mains jointes et étendues qui lui prennent le nez et lui ferment la bouche; il se retire confus, et va s’agenouiller ailleurs: il tire un livre pour faire sa prière, et c'est sa pantoufle qu'il a prise pour ses heures, et qu'il a mise dans sa poche avant que de sortir. Il n'est pas hors de l'église qu'un homme de livrée court après lui, le joint, lui demande en riant s'il n'a point la pantoufle de monseigneur. Ménalque lui montre la sienne, et lui dit, « Voilà toutes les

pantoufles que j'ai sur mo!. » Il se fouille néanmoins, et tire celle de l'évêque de ** qu'il vient de quitter, qu'il a trouvé malade auprès de son feu, et dont, avant de prendre congé de lui, il a ramassé la pantoufle, comme l'un de ses gants qui était à terre: ainsi Ménalque s'en retourné chez soi avec une pantoufle de moins. Il a une fois perdu au jeu tout l'argent qui est dans sa bourse, et voulant continuer de jouer, il ́entre'

dans son cabinet, ouvre une armoire, y prend sa cassette, en tire ce qui lui plaît, croit la remettre où il l'a prise: il l'entend aboyer dans son armoire qu'il vient de fermer ; étonné de ce prodige, il l'ouvre une seconde fois, et il éclate de rire d'y voir son chien qu'il a serré pour sa cassette. Il joue au trictrac, il demande à boire, on lui en apporte ; c'est à lui à jouer, il tient le cornet d'une main et un verre de l'autre ; et comme il a une grande soif, il avale les dés et presque le cornet, jette le verre d'eau dans le trictrac, et inonde celui contre qui il joue: et dans une chambre où il est familier, il crache sur le lit, et jette son chapeau à terre, en croyant faire tout le contraire. Il se promène sur l'eau, et il demande quelle heure il est : on lui présente une montre; à peine l'a-t-il reçue, que, ne songeant plus ni à l'heure ni à la montre, il la jette dans la rivière, comme une chose qui l'embarrasse. Lui-même écrit une longue lettre, met de la poudre dessus à plusieurs reprises, et jette toujours la poudre dans l'encrier: ce n'est pas tout, il écrit une seconde lettre; etaprès les avoir cachetées toutes deux, il se trompe à l'adresse; un duc et pair reçoit l'une de ces deux lettres, et en l'ouvrant y lit ces mots : « Maître Olivier, ne ⚫ manquez, sitôt la présente reçue, de m'envoyer ma provision de foin... Son fermier reçoit l'au

pas

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tre; il l'ouvre, et se la fait lire; on y trouve: Monseigneur, j'ai reçu avec une soumission aveugle les ordres qu'il a plu à votre grandeur... » Lui-même encore écrit une lettre pendant la nuit, et après l'avoir cachetée, il éteint sa bougie; il ne laisse pas d'être surpris de ne voir goutte, et il sait à peine comment cela est arrivé. Ménalque descend l'escalier du Louvre, un autre le monte, à qui il dit : « C'est vous que « je cherche. » Il le prend par la main, le fait descendre avec lui, traverse plusieurs cours, entre dans les salles, en sort ; il va, il revient sur ses il regarde enfin celui qu'il traîne après soi depuis un quart d'heure, il est étonné que ce soit lui; il n'a rien à lui dire, il lui quitte la main, et tourne d'un autre côté. Souvent il vous interroge, et il est déja bien loin de vous quand vous songez à lui répondre: ou bien il vous demande en courant comment se porte votre père; et comme vous lui dites. qu'il est fort mal, il vous crie qu'il en est bien aise. Il vous trouve quelque autre fois sur son chemin, « Il est ravi de vous « rencontrer ; il sort de chez vous pour vous en« tretenir d'une certaine chose. » Il contemple votre main : vous avez là, dit-il, un beau rubis ; est-il balais? il vous quitte et continue sa route ; voilà l'affaire importante dont il avait à vous ker. Se trouve-t-il en campagne, il dit à quelqu'un

par

« ՆախորդըՇարունակել »