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chambre, une mer".

III [acte]. Un bois, un tombeau. IV [acte]. Une chambre, un festin. V [acte]. Le tombeau paroît. Il faut une trappe, de l'arcanson", deux fauteuils, un tabouret. >> Voyez ci-après, p. 256, un programme, distribué par des comédiens de campagne, que nous donnons en troisième appendice. Ce sont sans doute les décorations, machines et changements à vue du théâtre de Molière que ces comédiens promettaient de reproduire sur le leur.

a Le décorateur a certainement voulu écrire Une campagne, une mer : le théâtre ne peut changer pendant cet acte et doit représenter les alentours d'un village de la côte.

L'arcanson, ou arcachon, est une sorte de résine; on brûlait de cet arcanson pour les éclairs et les flammes du tableau final.

DOM JUAN

OU

LE FESTIN DE PIERRE.

COMÉDIE'.

ACTE I2.

SCÈNE PREMIÈRE.

SGANARELLE, GUSMAN.

SGANARELLE, tenant une tabatière 3.

Quoi que puisse dire Aristote et toute la Philosophie *,

1. Le premier titre, DOM JUAN, est omis dans les éditions de 1683 A, de 1694 B, et de 1734; la pièce y est simplement intitulée LE FEStin de Pierre. Le feuillet de titre de 1683 A et de 1694 B porte: « le Festin de Pierre, comédie. Par J. B. P. de Molière. Édition nouvelle et toute différente de celle qui a paru jusqu'à présent. Voyez ci-dessus, p. 71 et note 1.

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2. Le premier acte se passe dans une des villes maritimes de la Sicile,... et le théâtre représente un palais, qui n'est point l'habitation de Dom Juan, mais dont l'entrée paraît permise à tout le monde. Sganarelle, à la fin de la première scène, dit en parlant de son maître : « Le voilà qui vient se promener dans ce palais, séparons-nous. (Note d'Auger.) On s'imagine naturellement, ce semble, à ce passage, les jardins d'un palais.

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3. Les mots : «< tenant une tabatière », manquent dans les éditions de 1683 A et de 1694 B, qui, comme on le verra, omettent la plupart des indications de ce genre et des jeux de scène. — Il semble que, du temps de Cailhava, il était encore de tradition que Sganarelle eût, en outre, suivant l'ancienne coutume, une råpe à préparer son tabac : voyez de l'Art de la Comédie (1786), tome II, P. 175.

4. Plus loin (p. 82), Sganarelle va employer deux mots latins et faire allusion

il n'est rien d'égal au tabac : c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre1. Non-seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droit et à gauche, partout où l'on se trouve? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matière. Reprenons un peu notre discours". Si bien donc, cher Gusman, que Done Elvire, ta maîtresse, surprise de notre départ, s'est mise en campagne après nous, et son cœur, que mon maître a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis-tu, sans' le venir chercher ici. Veux-tu qu'entre nous je te dise ma pensée ? J'ai peur qu'elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là.

GUSMAN.

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Et la raison encore? Dis-moi, je te prie, Sganarelle,

à un vers d'Horace : sur cette affectation de science ou de littérature prêtée à certains valets de la comédie, voyez au vers 363 des Fácheux, tome III, p. 62, note 3.

1. Thomas Corneille a pris ce vers tout fait, mais il l'a réservé pour la fin de la tirade.

2. Et les apprend avec lui à demeurer. (1683 A, 94 B.)

3. Voyez tome III, p. 415, note 2.

4. Que l'on. (1734.)

5. Reprenons notre discours. (1683 A, 94 B.)

6. S'est mise en campagne après; et. (Ibidem.)

7. N'a pu depuis vivre sans. (Ibidem.)

8. J'ai peur qu'elle soit. (Ibidem.)

9. Ne produise peu de fruit, et que vous n'eussiez. (1734.)

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qui peut t'inspirer une peur d'un si mauvais augure? Ton maître t'a-t-il ouvert son cœur1 là-dessus, et t'a-t-il dit qu'il eût pour nous quelque froideur qui l'ait obligé à partir?

SGANARELLE.

Non pas; mais, à vue de pays, je connois à peu près le train des choses; et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerois presque que l'affaire va là. Je pourrois peutêtre me tromper; mais enfin, sur de tels sujets, l'expérience m'a pu donner quelques lumières 3.

GUSMAN.

Quoi? ce départ si peu prévu seroit une infidélité de Dom Juan? Il pourroit faire cette injure aux chastes feux de Done Elvire?

SGANARELLE.

Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage *....

GUSMAN.

Un homme de sa qualité feroit une action si làche?

SGANARELLE.

Eh oui, sa qualité! La raison en est belle, et c'est par là qu'il s'empêcheroit des choses ".

GUSMAN.

Mais les saints noeuds du mariage le tiennent engagé.

SGANARELLE.

Eh! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois-moi, quel homme est Dom Juan®.

1. Les éditions de 1683 ▲ et de 1694 B omettent les mots : une peur, et changent d'un en de.

2. T'a-t-il découvert son cœur. (1683 A, 94 B.)

3. M'a donné quelque lumière. (Ibidem.)

4. Non c'est qu'il est trop sûr encore qu'il n'a pas le courage. (Ibidem.)

5. Qu'il s'embarrasserait, ou s'abstiendrait, se ferait scrupule des choses.

L'édition de 1734 fait suivre le mot choses de points suspensifs.

6. Quel homme c'est D. Juan. (1683 A, 94 B.)

MOLIÈRE. ▼

GUSMAN.

Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie; et je ne comprends point comme après tant d'amour et tant d'impatience témoignée, tant d'hommages pressants, de vœux, de soupirs et de larmes, tant de lettres passionnées, de protestations ardentes et de serments réitérés, tant de transports enfin et tant d'emportements qu'il a fait paroître, jusqu'à forcer, dans sa passion, l'obstacle sacré d'un convent, pour mettre Done Elvire en sa puissance, je ne comprends pas, dis-je, comme, après tout cela, il auroit le cœur de pouvoir manquer à sa parole.

1

SGANARELLE.

Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi; et si tu connoissois le pèlerin*, tu trouverois la chose assez 'facile pour lui. Je ne dis pas qu'il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n'en ai point de certitude encore tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m'a point entretenu; mais, par précaution, je t'apprends, inter nos, que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d'Epicure, un vrai Sardanapale, [qui] ferme

1. Tant de transport. (1694 B.)

2. Jusques à forcer. (1683 A, 94 B.)

3. Voyez, sur cette forme et la prononciation du mot, au vers 1298 du Tartuffe.

4. « On appelle figurément pèlerin, dit l'Académie, en 1694, un homme fin, adroit, dissimulé. » C'est un substitut des mots homme, individu, avec une nuance de sens analogue à celui des termes familiers : « le gaillard, le galant, le bon apôtre. »

5.

Entre nous. » Ce latin a passé dans notre langue familière.

6. « Pourceau du troupeau d'Épicure » est, comme on sait, une ex

« ՆախորդըՇարունակել »