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fiancée, la plus agréable du monde, qui a été conduite ici par celui même qu'elle y vient épouser; et le hasard me fit voir ce couple d'amants' trois ou quatre jours avant leur voyage. Jamais je n'ai vu deux personnes être si contents l'un de l'autre, et faire éclater plus d'amour. La tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l'émotion; j'en fus frappé au cœur et mon amour commença par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir d'abord de les voir si bien ensemble; le dépit alarma mes desirs*, et je me figurai un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligence, et rompre cet attachement, dont la délicatesse de mon cœur se tenoit offensée; mais jusques ici tous mes efforts ont été inutiles, et j'ai recours au dernier remède. Cet époux prétendu doit aujourd'hui régaler sa maîtresse d'une promenade sur mer. Sans t'en avoir rien dit", toutes choses sont préparées pour satisfaire mon amour, et j'ai une petite barque et des gens, avec quoi fort facilement je prétends enlever la belle.

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2. Pour cet accord avec le sens, cet emploi, autrefois si fréquent, du masculin avec le mot personne, voyez les Lexiques de la Collection.· Les éditeurs de 1734 ont corrigé la phrase, et donné, d'après l'usage de leur temps: ■ être si contentes l'une de l'autre ».

3. A la première vue, dès le premier moment: voyez tome III, p. 159,

note I.

4. Donna l'alarme à mes desirs, les mit en campagne, les mit en émoi, les éveilla, les remua au fond de mon cœur. Cette expression vive et neuve a été prise pour une faute d'impression et remplacée par alluma dans les éditions suivantes, à partir des deux éditions étrangères, 1683 A, 1694 B, et de celles de 1730, 33, 34.

5. Mais jusqu'ici. (1683 A, 94 B.) — 6. Sans avoir rien dit. (Ibidem.) 7. Ah, Monsieur! (Ibidem.)

8. Telle est, au lieu de la forme ordinaire hein, l'orthographe de cette interjection dans l'édition de 1682. · Heu. (1694 B.) — Hé ? (1734.)

SGANARELLE.

C'est fort bien fait à vous, et vous le prenez comme il faut. Il n'est rien tel en ce monde que de se contenter1.

DOM JUAN.

Prépare-toi donc à venir avec moi, et prends soin toi-même d'apporter toutes mes armes, afin que.... Ah! rencontre fàcheuse. Traître, tu ne m'avois pas dit qu'elle étoit ici elle-même.

SGANARELLE.

Monsieur, vous ne me l'avez pas

DOM JUAN.

demandé'.

Est-elle folle, de n'avoir pas changé d'habit, et de venir en ce lieu-ci avec son équipage de campagne ?

SCÈNE III.

DONE ELVIRE, DOM JUAN, SGANARELLE.

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DONE ELVIRE.

Me ferez-vous la gràce, Dom Juan, de vouloir bien me reconnoître? et puis-je au moins espérer que vous daigniez tourner le visage de ce côté ?

DOM JUAN.

Madame, je vous avoue que je suis surpris, et que je ne vous attendois pas ici.

DONE ELVIRE.

Oui, je vois bien que vous ne m'y attendiez pas; et

1. Voyez la Notice, p. 28, 3° alinéa.

2. Afin que.... (Il aperçoit D. Elvire.) Ah! (Édition de 1682 cartonnés, 1734.) Apercevant D. Elvire. (1773.)

3. Vous ne me l'aviez pas demandé. (1683 A, 94 B.)

4. Dans ce lieu-ci. (Ibidem.)

5. Me feriez-vous. (Ibidem.)

6. Que vous ne m'attendiez pas. (Ibidem.)

vous êtes surpris, à la vérité, mais tout autrement que je ne l'espérois; et la manière dont vous le paroissez me persuade pleinement ce que je refusois de croire. J'admire ma simplicité et la foiblesse de mon cœur à douter d'une trahison que tant d'apparences me confirmoient. J'ai été assez bonne, je le confesse, ou plutôt assez sotte pour me vouloir tromper' moi-même, et travailler à démentir mes yeux et mon jugement. J'ai cherché des raisons pour excuser à ma tendresse le relachement d'amitié qu'elle voyoit en vous; et je me suis forgé exprès cent sujets légitimes d'un départ si précipité, pour vous justifier du crime dont ma raison. vous accusoit. Mes justes soupçons chaque jour avoient beau me parler : j'en rejetois la voix qui vous rendoit criminel à mes yeux, et j'écoutois avec plaisir mille chimères ridicules qui vous peignoient innocent à mon cœur. Mais enfin cet abord ne me permet plus de douter, et le coup d'oeil qui m'a reçue m'apprend bien plus de choses que je ne voudrois en savoir. Je serai bien aise pourtant d'ouïr de votre bouche les raisons de votre départ. Parlez, Dom Juan, je vous prie, et voyons de quel air vous saurez vous justifier 2.

DOM JUAN.

Madame, voilà Sganarelle qui sait pourquoi je suis parti.

SGANARELLE 3.

Moi, Monsieur? Je n'en sais rien, s'il vous plaît *.

DONE ELVIRE.

Hé bien! Sganarelle, parlez. Il n'importe de quelle bouche j'entende ces raisons".

1. Pour vouloir me tromper. (1683 A, 94 B.)

2. Vous savez vous justifier. (Ibidem.)

3. SGANARELLE, bas, à D. Juan. (:734.)

4. Oui, Monsieur, je ne sais rien, s'il vous plaît. (1683 A, 94 B.)

5. Ses raisons. (Édition de 1682 cartonnée, 1734.)

DOM JUAN, faisant signe d'approcher à Sganarelle'. Allons, parle donc à Madame1.

SGANARELLE 3.

Que voulez-vous que je dise?

DONE ELVIRE.

Approchez, puisqu'on le veut ainsi, et me dites un peu les causes d'un départ si prompt *.

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Je n'ai rien à répondre. Vous vous moquez de votre

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Madame, les conquérants, Alexandre et les autres mondes sont causes de notre départ '. Voilà, Monsieur, tout ce que je puis dire.

1. Faisant signe à Sganarelle d'approcher. (1734.) Cette indication et les deux suivantes de cette scène (ci-après, et p. 99) manquent dans les éditions de 1683 A et de 1694 B.

2. Voyez la Notice, p. 28, 1" alinéa.

3. SGANARELLE bas, à D. Juan. (1734.)

4. De ce départ si prompt. (1683 A, 94 B.)

5. SGANARELLE bas, à D. Juan. (1734.)

6. D. JUAN, en le menaçant. (Édition de 1682 cartonnée, 1734.)

7. Sont cause de notre départ. (Ibidem.)

DONE ELVIRE.

Vous plaît-il, Dom Juan, nous éclaircir ces beaux mystères ?

DOM JUAN.

Madame, à vous dire la vérité....

DONE ELVIRE.

Ah! que vous savez mal vous défendre pour un homme de cour, et qui doit être accoutumé à ces sortes de choses! J'ai pitié de vous voir la confusion que vous avez. Que ne vous armez-vous le front d'une noble effronterie? Que ne me jurez-vous que vous êtes toujours dans les mêmes sentiments pour moi, que vous m'aimez toujours avec une ardeur sans égale, et que rien n'est capable de vous détacher de moi que la mort? Que ne me dites-vous que des affaires de la dernière conséquence vous ont obligé à partir sans m'en donner avis; qu'il faut que, malgré vous, vous demeuriez ici quelque temps, et que je n'ai qu'à m'en retourner d'où je viens, assurée que vous suivrez 2 mes pas le plus tôt qu'il vous sera possible; qu'il est certain3 que vous brùlez de me rejoindre, et qu'éloigné de moi, vous souffrez ce que souffre un corps qui est séparé de son ame? Voilà comme il faut vous défendre, et non pas être interdit comme vous êtes.

DOM JUAN.

Je vous avoue, Madame, que je n'ai point le talent de dissimuler, et que je porte un cœur sincère. Je ne vous dirai point que je suis toujours dans les mêmes sentiments pour vous, et que je brûle de vous rejoindre, puisque enfin il est assuré que je ne suis parti que pour

1. J'ai pitié de voir. (1694 B.)

2. Assurée que vous suivez. (Ibidem.)

3. Possible, puisqu'il est très-certain. (1683 A, 94 B.

MOLIÈRE. V

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