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réhabilité le charlatan; le bienfaiteur avait racheté l'aventurier. Le peuple commençait à le regarder comme un être surnaturel, et les hautes classes, forcées de l'admirer, lui rendirent toute leur estime.

« Or, la belle Lorenza ne contribuait pas peu au succès de son mari. Aux elixirs, aux spécifiques que distribuait le comte Fénix, elle ajoutait l'aimant de son regard et l'enchantement de ses paroles.

« 11 faut convenir qu'à cette époque la conduite de Cagliostro était d'une habileté merveilleuse; il avait trouvé le secret infaillible pour réussir. On était à la veille de le prendre au sérieux, lui, sa morale et sa science, et pour peu qu'il eût joué son jeu avec prudence, pour peu surtout que Lorenza eût voulu y aider, Pétersbourg, la cour, les boyards, l'impératrice même accepteraient ce personnage étrange comme un esprit supérieur, un inspiré d'en haut, un ange incarné qui pouvait accomplir des miracles. On était bien près alors de croire à sa longévité de vingt siècles, à sa divination, à ses secrets surnaturels, à son élixir de vie, à ses fourneaux redoutables, à son or et à ses diamants. Qui sait? on eût peut-être accepté la franc-maçonnerie égyptienne, et le grand cophte serait parvenu probablement à fonder une loge mère à Saint-Pétersbourg '. »

C'eût été le triomphe suprême de Cagliostro. Lorenza aida de son mieux à le préparer; elle y aida même trop bien, car si l'élève et l'épouse du comte de Fénix commençait à comprendre la vie, elle manquait aux principes les plus sacrés de la politique en osant toucher aux inclinations de la czarine, autocrate de toutes les Russies, une femme qui n'entendait pas plus le partage dans l'amour que dans l'autorité. Revenons à l'enfant qu'on avait confié à Cagliostro.

Il venait de le rendre à ses parents dans le meilleur état de santé, frais, plein d'animation et attaquant avec vivacité le sein de sa nourrice. Cette noble famille était

1. Aventures de Cagliostro, in-18. Paris, 1855, pages 68-71.

ivre de joie et de bonheur; elle voulut être magnifique dans sa reconnaissance. Le père offrit cinq mille louis, que Cagliostro refusa d'abord avec une crânerie magnifique. On insista, et il devint moins féroce dans son refus; on le pressa encore, et il souffrit que la somme fût apportée chez lui. Elle y resta.

Mais, quelques jours s'étant écoulés, un horrible soupçon entra, comme un stylet, dans le cœur de la mère. Il lui sembla qu'au lieu de son propre enfant, on lui avait rendu un enfant étranger. Ce ne fut qu'un doute; mais, en pareille matière, un doute n'est-il pas le plus affreux des tourments? La mère ne sut pas si bien le renfermer dans son âme qu'il ne s'ensuivît une sourde rumeur dans le grand monde de Saint-Pétersbourg. La czarine, à qui sa fierté ne permettait pas de s'avouer jalouse, s'arma de ce bruit pour expédier le couple Cagliostro.

Elle avait mandé Lorenza à Czarskœcelo. Après l'avoir dûment interrogée, retournée, confessée, et ayant tiré d'elle tous les aveux nécessaires sur le chapitre de Potemkin, elle se leva, et d'une voix qui dissimulait mal son dépit: Partez, dit-elle, je le veux. On vous comptera vingt mille roubles pour votre voyage. Mais si demain vous n'êtes pas sur la route de France, vous et votre mari, je vous préviens que l'ordre de vous arrêter sera donné. On parle d'un enfant substitué à un autre qui aurait disparu.... Je n'ai pas encore prêté l'oreille à ces rumeurs; prenez garde, madame, et partez, je vous le conseille... je vous l'ordonne. »

Si Catherine avait eu besoin d'autres raisons pour motiver cet ordre, ces raisons ne lui auraient pas manqué. Voulant utiliser à Saint-Pétersbourg les faux brevets qu'il tenait de son ancien ami, le marquis d'Agliata, Cagliostro s'était annoncé sous le titre de colonel au ser

vice de l'Espagne. Mais le chargé d'affaires de la cour de Madrid avait réclamé ministériellement contre ce mensonge, et cela quelques jours avant la fuite des deux époux.

Cette fuite, sauf les roubles et l'opulent bagage qu'ils emportaient, fut donc une véritable déroute. Ils passèrent par Varsovie, où, d'après certaines relations, Cagliostro se serait adonné à la transmutation des métaux. Mais, d'après la procédure de l'Inquisition, sa principale industrie, dans cette capitale, aurait consisté à tromper un prince polonais fort riche. Séduit par les opérations de Cagliostro, le prince Adam Poninski voulut se faire initier par lui aux secrets de la magie, et donna plusieurs milliers d'écus pour obtenir de Cagliostro un diable qui obéirait à son commandement. Cagliostro n'ayant pu remplir sa promesse, Poninski, frustré de la possession de son diable, exigea, en compensation, celle de la belle Képinska, la dame de ses pensées. Tout ce que put faire le magicien, ce fut de lui en procurer l'image dans son miroir magique. Le prince n'entendait pas se contenter d'une apparition. Il força, par ses menaces, Cagliostro et sa femme à lui rendre ses présents et à quitter précipitamment Varsovie.

Ils se dirigèrent sur Francfort, et, après s'être arrêtés quelques jours dans cette ville, ils partirent pour Strasbourg, où ils firent cette pompeuse entrée que nous avons essayé de décrire. Parmi tous les titres que se donnait alors Cagliostro, nous avons omis de faire figurer celui de colonel au service du roi de Prusse. Cagliostro avait la manie de ce grade; il en portait souvent l'uniforme et en montrait le brevet. Nous devons même ajouter que ce brevet était en bonne forme, et présentait

des marques d'authenticité d'autant plus évidentes qu'il était encore sorti des habiles mains du marquis d'Agliata.

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Le 30 août 1786, le parlement de Paris se réunit en séance solennelle. Dès les premières heures du matin, les Condé, les Rohan, les Soubise, les Guéménée, en habits de deuil, attendaient dans le vestibule, et saluèrent à leur passage les membres de la cour, pour les émouvoir par leur contenance. Quarante-neuf membres siégeaient en robes rouges. Les accusés ayant été introduits, on chercha vainement des yeux le Prince cardinal. Par égard pour son nom et ses dignités, les juges avaient voulu l'exempter de paraître sur la sellette; il restait, pendant l'audience, sous la garde du lieutenant de la Bastille, dans le cabinet du greffier en chef.

Les interrogatoires commencèrent par les autres accusés. On a dit que Cagliostro, dans sa prison de la Bastille, avait, en prodiguant l'argent à ses gardes, obtenu la faculté de concerter ses réponses avec celles de Mme de La Motte. C'est une hypothèse peu problable. Cagliostro devait, au contraire, avoir d'excellentes raisons pour séparer sa cause de celle de cette femme, puisque ses adversaires n'allèrent pas jusqu'à l'accuser d'avoir voulu s'approprier une partie quelconque du prix des diamants volés. On prétendait seulement qu'il

avait dû deviner le but financier de l'intrigue amoureuse qui s'était nouée en partie autour de lui, et pour laquelle il avait même donné une consultation ou rendu un oracle. Il y avait certainement dans cette affaire beaucoup de circonstances fort compromettantes pour lui. Il nia tout ce qu'il était possible de nier, en dépit des avocats de Mme de La Motte, qui, croyant utile à leur cliente d'agrandir le rôle que Cagliostro avait joué dans cette intrigue, l'attaquèrent avec beaucoup d'acharnement. Mme de La Motte elle-même, confrontée avec lui, ne l'épargna guère, mais sans pouvoir l'ébranler. A le voir toujours si calme et si intrépide dans ses dénégations, elle ne se posséda plus, et, dans un accès de fureur, elle lui jeta un chandelier à la tête, en présence de ses juges.

L'attitude de Cagliostro égaya la séance. Vêtu d'un habit de soie verte brodé d'or, avec ses longs cheveux tressés depuis le haut de la tête, et qui tombaient en petites queues sur les épaules, à la manière des cadenettes qu'on porta plus tard, il avait l'air d'un riche charlatan. Sa première réponse à l'interrogatoire dérida tout de suite les visages: « Qui êtes-vous? » lui demanda le président. « Un noble voyageur, » répondit-il. Alors Cagliostro entama une longue harangue, entremêlée d'italien, d'arabe, de grec, de latin, et de français, le tout accompagné d'une pantomime frénétique.

La séance avait commencé à sept heures du matin, et la nuit était venue pendant la longue séance des interrogatoires. Les débats furent clos en ce qui concernait les quatre accusés présents. Ils n'avaient établi aucune charge positive contre Cagliostro, qui n'avait pas cessé de porter haut la tête, et de se poser comme

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