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fonda une loge du rite égyptien. Il n'y eut que trois réceptions de faites, et parmi ces trois adeptes il se trouva un faux frère.

Dénoncé par cet espion, Cagliostro fut arrêté, dans la soirée du 27 septembre 1789, par ordre du saint-office, et décrété d'accusation. Ses papiers, y compris le manuscrit intitulé Maçonnerie égyptienne, furent saisis et mis sous les scellés, et l'on procéda à l'instruction de son procès; la procédure dura dix-huit mois.

Cagliostro était un homme pendable à beaucoup de titres, si l'on veut avoir égard à tous les bons et à tous les mauvais tours qu'il a joués dans la première moitié de sa carrière. Mais il ne pouvait être poursuivi à Rome pour aucun de ces délits ou de ces crimes, car la plupart avaient été commis dans des États étrangers, et les autres étaient couverts par la prescription. Si la procédure de l'inquisition romaine les ramassa et les amplifia, ce fut évidemment pour affaiblir l'intérêt qui, dans le siècle de l'Encyclopédie, devait se porter de toutes parts sur un homme qu'on allait frapper comme franc-maçon et comme magicien. Ce n'est, en effet, qu'en ces qualités seules que Cagliostro fut condamné. A la vérité, la législation papale était positive et formelle sur ces deux chefs, mais elle n'en était pas moins absurde et barbare '.

1. C'est le pape Clément XII qui avait rendu, le 14 janvier 1739, la bulle qui « défend sous peine de mort, sans aucune espérance de pardon, de se faire affilier ou d'assister aux assemblées des francs-maçons, assemblées pernicieuses et très-suspectes d'hérésies ou de séditions. » Cette bulle condamne à la même peine « tous ceux qui engageraient ou solliciteraient quelqu'un à entrer dans la même société, ou qui lui prêteraient aide, secours, conseil ou retraite. » Enfin, elle impose << l'obligation de révéler » les noms des membres de cette société, et elle menace de peines corporelles et pécuniaires, à la discrétion des juges, les transgresseurs de cette dernière ordonnance.

Benoît XIV confirma cette bulle de Clément XII, la publia de nou

Le 21 mars 1791, la cause, si longuement instruite, fut enfin portée à l'assemblée générale du saint-office, et, conformément à l'usage, devant le pape le 7 avril suivant. Le jugement dit consultatif fut rendu; il portait la peine de mort. Le pape, à qui était réservé le jugement définitif, le prononça en ces termes :

« Joseph Balsamo, atteint et convaincu de plusieurs délits, et d'avoir encouru les censures et peines prononcées contre les hérétiques formels, les dogmatisants, les hérésiarques, les maîtres et disciples de la magie superstitieuse, tant par les lois apostoliques de Clément XII et de Benoît XIV contre ceux qui, de quelque manière que ce soit, favorisent et forment des sociétés et conventicules de francs-maçons, que par l'édit du conseil d'État porté contre ceux qui se rendent coupables de ce crime à Rome ou dans aucun autre lieu de la domination pontificale. Cependant, à titre de grâce spéciale, la peine qui livre le coupable au bras séculier est commuée en prison perpétuelle dans une forteresse, où il sera étroitement gardé, sans espoir de grâce; et, après qu'il aura fait l'abjuration comme hérétique formel dans le lieu actuel de sa détention, il sera absous des censures, et on lui prescrira les pénitences salutaires auxquelles il devra se soumettre. »

Ces pénitences, ou ces tortures, durent être cruelles dans le château Saint-Ange, où Cagliostro fut renfermé, De peur que le peuple, au milieu duquel il avait des partisans secrets, ne se prît de pitié pour lui, on faisait courir le bruit qu'il avait voulu brûler Rome, comme Néron. Quelquefois on le représentait comme un fou furieux dont l'état commandait les précautions et les mesures les plus sévères. Voici, à ce propos, une anecdote que nous trouvons citée sans autorité dans une compilation récente1:

veau, et lui donna plus d'extension encore dans sa Constitution datée du 18 mai 1751, et qui commence par ces mots: Providas romanorum pontificum. (Vie de Cagliostro, extraite de la procédure instruite contre lui à Rome, p. 85-87.)

1. Dictionnaire des sciences occultes, t. II, art. CAGLIOSTRO.

« Un jour, on le surprit occupé à étrangler un bon prêtre, qu'il avait demandé sous prétexte de se confesser, et sous les habits duquel il méditait son évasion. On arriva assez tôt pour empêcher la consommation de ce nouveau forfait; et, depuis, l'ami des anges fut surveillé avec grand soin. »

C'est le cas de dire: Qui veut noyer son chien, l'accuse de la rage.

Lorenza fut traitée avec moins d'inhumanité : on se borna à l'enfermer dans une maison de pénitence. Il paraît qu'elle était belle encore, et on voulut lui tenir compte du repentir qu'elle avait témoigné, mais surtout de ses aveux, qui avaient puissamment contribué à la condamnation de son mari. Celui-ci vécut environ deux ans dans sa prison. La date précise de sa mort est encore le secret de l'inquisition romaine, dont cette longue affaire marqua les derniers actes et les derniers jours. Le saint-office livra aux flammes les hardes et les papiers de Cagliostro et « le peuple de Rome, dit André Delrieu, qui se serait prosterné devant le plus petit de ses miracles, hurla triomphalement autour du bûcher qui consumait ses débris. »

Il était temps. La révolution française était un fait accompli. Débordant sur l'Italie, elle allait bientôt battre les murs de la ville éternelle et du château Saint-Ange. Plusieurs officiers des premiers bataillons qu'elle poussa vers Rome, étaient à peine entrés dans la ville, qu'ils s'enquirent avec anxiété du sort de Cagliostro. Ils pensaient à le délivrer, et peut-être même lui préparaientils un triomphe digne de celui qui lui avait été décerné dans Paris après l'affaire du collier. Mais ils arrivaient trop tard; Cagliostro, leur dit-on, venait de mourir. De quelle mort et à quel moment? C'est ce que nul n'a ja

mais pu dire. A cette nouvelle, nos officiers comprirent qu'il n'y avait aucune comparaison à faire entre un cidevant parlement de France et le tribunal de l'inquisition romaine, et sans regretter la Bastille détruite, ils ne purent s'empêcher de reconnaître qu'elle rendait encore plus facilement sa proie que le château SaintAnge.

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Si nous nous sommes étendu sur l'histoire de Cagliostro, c'est que l'on trouve, comme nous l'avons dit, réalisés dans les actes de ce personnage fameux la plupart des prodiges que notre époque a vus resplendir. Les miroirs magiques de Joseph Balsamo reparaîtront, de nos jours, dans les phénomènes de l'hypnotisme du docteur Braid et du biologisme du docteur Philips, sans que l'on puisse noter aucune différence bien appréciable entre ces deux modes d'influence de la volonté d'un homme sur des sujets dociles et soumis. Les pupilles de Cagliostro renaîtront à nos yeux dans ces médiums qui, sortis de l'Amérique, inonderont l'Europe, et l'on pourra se convaincre que la plupart des phénomènes que les spiritistes nous convient à admirer, ne sont qu'une nouvelle édition des opérations et des pratiques qui étaient familières à l'aventureux époux de Lorenza Feliciani. Mais dans tout cela nous ne recon

naîtrons que la puissante action de la volonté, traduite des phénomènes qui n'ont de surnaturel que l'apparence.

par

On a vu à quel degré Cagliostro avait remué les esprits en France, et quelle influence il dut exercer pour les diriger vers les voies dangereuses et stériles de l'illuminisme. A la même époque, Mesmer ou ses successeurs continuaient d'étonner l'imagination populaire par des résultats alors inexplicables pour la masse des intelligences. Un tel concours d'influences devait singulièrement accroître la disposition naturelle à l'homme, c'est-à-dire l'amour, on pourrait dire, le culte du merveilleux, et nous avons à raconter maintenant les événement et les résultats qui furent la suite de ces dispositions générales si fortement entretenues.

L'exaltation nerveuse à laquelle des individus ou des populations sont en proie prend presque toujours le caractère des idées qui occupent le plus les esprits. Or, l'idée politique étant celle qui agitait toutes les têtes dans les dernières années du dix-huitième siècle, l'exaltation produite par les prodiges de Cagliostro et par le magnétisme animal prit souvent le caractère de la prophétie politique. Il est certain que des phénomènes d'intuition très-fréquents et assez remarquables, tous relatifs à l'annonce d'une prochaine révolution politique ou sociale, se manifestèrent à la fin du siècle dernier. On ne peut nier qu'à cette époque plusieurs voix n'aient prédit la révolution française, et souvent avec une certaine précision dans les circonstances. Nous avons cité, à la fin du chapitre précédent, la fameuse Lettre de Cagliostro au peuple français. Dans un sermon prononcé à Notre-Dame par le P. Beauregard, cet orateur inspiré s'écriait vers la même époque : « Oui, Seigneur, vos

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