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L'une des boussoles étant à Paris et l'autre aux antipodes, la certitude et la rapidité de la transmission ne devaient rien souffrir d'un tel éloignement. En preuve de ce fait, Benoît affirmait qu'un de ses amis, nommé Biat-Chrétien, habitant de l'Amérique, avait construit, d'après les indications qu'il lui avait successivement transmises, un appareil parfaitement semblable à celui de Paris, et que chaque jour ils échangeaient entre eux une correspondance et des signaux. L'ancien et le nouveau monde se trouvaient ainsi en rapport continuel, sans intermédiaire apparent, dans la personne de M. Benoît (de l'Hérault), inventeur français, et de M. Biat-Chrétien, citoyen de l'Amérique.

Il n'y avait pas grand mal à se laisser conter toutes ces merveilles, puisque l'expérience devait promptement faire juger de leur réalité. M. Triat trouvait toutefois que ce moment était long à venir, puisqu'un an s'était écoulé depuis qu'il avait accueilli pour la première fois l'inventeur, qu'il continuait d'héberger. Il fallut bien pourtant que ce dernier s'exécutât. Après bien des retards et des faux-fuyants, la séance dans laquelle la boussole pasilalinique sympathique devait être soumise à une expérience sérieuse fut fixée au mercredi 2 octobre. Benoît assurait s'être mis en correspondance, le lundi 30 octobre, avec Biat-Chrétien en Amérique, lequel, sans quitter ce pays, devait assister à toutes les expériences qui se feraient à Paris ce jour-là et à l'heure fixée.

Le 2 octobre, en effet, M. Triat s'étant rendu chez Benoît, celui-ci, à l'aide de l'une des deux boussoles, avertit (il l'assura du moins) son correspondant américain de se tenir à son poste.

Il semble que, pour pareille expérience, les deux

boussoles devaient être établies, sinon d'un bout de Paris à l'autre, du moins dans deux chambres séparées. Benoît s'autorisa de certains défauts accidentels, de la construction provisoire des deux boussoles, pour demander qu'elles fussent placées l'une et l'autre dans la même pièce. Forcé d'en passer par là, M. Triat laissa les deux appareils placés en regard l'un de l'autre, séparés seulement par l'intervalle de la largeur de la chambre de Benoît. Il y avait loin de cette distance à celle qui sépare l'Amérique de l'Europe; mais il fallut se conformer aux désirs de l'opérateur. On aurait, au moins, voulu qu'un corps opaque, un paravent, une cloison de planches, fussent interposés entre les deux appareils. Cette condition si simple ne fut même pas accordée. Aussi l'expérience ne fut-elle qu'une véritable mystification. M. Jules Allix, l'un des opérateurs, était chargé d'envoyer les signaux en touchant les escargots qui représentaient les lettres alphabétiques, et de composer ainsi des mots. Benoît, placé devant l'autre boussole, devait recevoir les lettres et les mots désignés sur sa propre boussole par les mouvements des escargots correspondant aux mêmes lettres. Mais, sous différents prétextes, Benoît allait sans cesse de l'un à l'autre appareil, de sorte qu'il n'eut pas grand'peine à reproduire, avec sa boussole animée, les lettres envoyées par M. Jules Allix. M. Triat observait tout ce manége en se mordant les lèvres.

La transmission ne fut pas d'ailleurs aussi fidèle qu'elle aurait pu l'être avec le système commode de va-et-vient que se permettait le prétendu inventeur. M. Jules Allix avait transmis, en touchant ses escargots dans l'ordre voulu, le mot gymnase; Benoît lut sur sa boussole le mot gymoate. Puis, M. Triat opérant lui

même, envoya les deux mots lumière divine à M. Jules Allix, qui lut sur sa boussole lumhere divine. Mais tout cela n'était qu'une comédie, grâce aux voyages incessants que l'inventeur faisait d'une boussole à l'autre, sous le vain prétexte de surveiller le jeu du mécanisme des deux appareils.

Benoît fut ensuite prié de se mettre en rapport avec son Américain, qui était censé à son poste de l'autre côté de l'Atlantique. Il procéda, avec le plus grand sangfroid, à ce fantasmagorique appel. Il approcha un escargot, qu'il tenait à la main, des quatre escargots correspondant aux lettres et au mot BIAT; puis on attendit la réponse d'Amérique. Au bout d'un certain temps, quelques escargots ayant montré les cornes, en réunissant avec plus ou moins d'art les lettres ainsi désignées, on composa, couci-couci, cette réponse : CEST BIEN, qui, avec l'apostrophe, donnait : C'EST BIEN. Risum teneatis, amici.

M. Triat était parfaitement sûr d'avoir été dupe d'une mystification. Aussi, grande fut sa surprise, lorsqu'il lut, dans le feuilleton de la Presse du 26 octobre, le récit de cette expérience présenté par M. Jules Allix comme une démonstration sans réplique de la grande découverte annoncée. Il déclara aussitôt à Benoît qu'après ce qui s'était passé et ce qui avait été écrit, il était forcé de lui retirer son appui. Et comme Benoît insistait pour changer sa résolution :

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Écoutez, lui dit M. Triat, il est facile de me faire revenir de ma décision, et, en même temps, de vous passer du secours de qui que ce soit. On va établir l'une des deux boussoles dans mon gymnase, et l'autre dans la pièce à côté. Si vous le préférez, sans les changer de place, on les séparera par un simple paravent, et vous

vous interdirez d'aller, pendant l'expérience, de l'une à l'autre des deux boussoles. Si, dans ces conditions, vous réussissez à transmettre un seul mot d'un appareil à l'autre, je vous offre mille francs par jour tant que vos expériences réussiront. »

M. Triat alla ensuite trouver M. de Girardin, qui avait pris quelque intérêt à l'invention et à l'inventeur, et qui avait, dans ce but, ouvert les colonnes de la Presse au mémoire de M. Jules Allix. M. Triat lui ayant fait part de sa proposition, faite le jour même à Benoît (de l'Hérault), M. de Girardin l'approuva pleinement, et voulut même se mettre de la partie. « Je me joins à vous, dit-il à M. Triat, et pour la même somme. Dites donc à Benoît qu'il est assuré de deux mille francs par jour si l'expérience réussit, avec la condition que vous lui avez posée. Mon calcul est simple, ajouta M. de Girardin. Si Benoît réussit, nous louons le Jardin d'hiver, et nous faisons répéter par Benoît la même expérience dans des représentations publiques, qui lui rapporteront au delà de deux mille francs par jour.»

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A une proposition si simple, si avantageuse pour lui, si décisive pour son invention, savez-vous quelle fut la réponse de Benoît? Il disparut, sans donner autrement de ses nouvelles à ceux qui lui avaient prodigué silongtemps des encouragements pour ses recherches et des secours pour sa misère. Nous l'avons vu deux ou trois fois à Paris. C'était un homme maigre et noir, avec une grande barbe et certaines allures d'halluciné. Il est mort au commencement de 1852.

Au moment où Benoît quittait ce monde, les esprits américains faisaient irruption en Europe. S'il eût vécu quelques années encore, Benoît était taillé de manière à jouer un grand rôle et à devenir un personnage im

portant dans le mouvement spiritiste qui allait bientôt éclater en France. Mais la Parque cruelle en ordonna autrement.

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Les faits que nous venons de raconter, et qui se sont passés en France de l'année 1846 à l'année 1851, c'està-dire à l'époque où les tables tournantes et les esprits faisaient leurs premières manifestations en Amérique, avaient suffisamment préparé l'Europe à recevoir cette importation du nouveau monde. Nous avons maintenant à suivre le progrès et le développement de ces phénomènes dans notre hémisphère.

Les esprits, qui avaient ordonné à Mme Fish de changer de mari, demandèrent, dès le commencement de l'année 1852, que les spiritistes américains se réunissent en une convention générale; ils fixèrent même le lieu de leur première assemblée. Dans l'adresse qu'on fit circuler à cet effet, et qui fut publiée dans le Cleveland Plaindealer, du 29 janvier 1852, on lisait ce paragraphe : «........ Les invisibles ont promis que si cette convention se réunissait à Cléveland, ils signaleraient leur présence d'une manière si éclatante, que les doutes et les objections des sceptiques seraient anéantis à jamais. Appelons aussi les croyants d'au delà des mers;

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