Page images
PDF
EPUB

< Quand on leur eut rendu la position habituelle, leurs pieds posant par terre, les coups commencèrent bientôt à se faire entendre. On proposa alors quelque autre expérience. Nous y consentîmes, bien que les premières fussent, suivant nous, assez concluantes. Celle qu'on choisit consista à tenir fermement les genoux des deux femmes, en y appliquant les mains de manière que tout mouvement latéral des os fût perceptible au toucher. Cette pression fut faite par-dessus les vêtements. On ne pouvait s'attendre à ce qu'elle empêchât complétement les bruits, inais elle devait prouver s'ils provenaient ou non de la jointure du genou. Il est évident que cette expérience avait bien moins de poids aux yeux d'un observateur que les précédentes, car la seule évidence du mouvement des os était le témoignage de ceux dont les mains se trouvaient en contact avec l'articulation. L'expérience fut renouvelée fréquemment pendant une heure et plus; chaque fois on appliquait les mains quelques minutes de suite. Le résultat fut toujours à la confusion des « frappeuses; » c'est-à-dire qu'on entendait beaucoup de coups quand les mains étaient retirées, aucun quand on les tenait appliquées sur les genoux. Une seule fois, le docteur Lée, ayant avec intention relâché l'étreinte, deux ou trois faibles coups simples furent frappés, et il constata immédiatement le mouvement sensible de l'os. On essaya aussi à plusieurs reprises de saisir les genoux le plus vite possible, au moment où les frappements commençaient; cette expérience eut toujours pour effet d'imposer un silence immédiat aux « esprits. »

<< On discuta alors la proposition qui fut faite de bander les genoux. Les amis des deux femmes s'opposaient à cette expérience, à moins que nous ne voulussions la considérer comme épreuve décisive. Nous n'avions pas préparé les choses nécessaires pour rendre le membre immobile, conséquemment nous refusâmes. C'était sans doute l'expérience sur laquelle comptaient les frappeuses, comme devant se terminer à leur honneur. Nous sommes peu près certains qu'avant de demander à être examinées, elles s'étaient assurées qu'un bandage appliqué au-dessus et au-dessous de la rotule, permettant de plier le membre, n'empêcherait pas le déplacement. Dans le cas où, dans d'autres localités, des expériences relatives à cette sorte d'imposture seraient nécessaires, nous conseillons de ne pas s'en rapporter à l'effet des bandages. Il est certain pourtant qu'avec un grand nombre de tours de bandes et des

éclisses latérales fermement posées, de manière à tenir la jambe bien étendue et à rendre les jointures immobiles, on parviendrait à arrêter les sons, du moment, toutefois, qu'ils proviendraient de la jointure du genou. On remarquera que dans notre exposé nous ne prétendons nullement que cette jointure soit la seule source de bruits, et si nos expériences, après avoir été dirigées sur cette partie, n'eussent pas réussi, nous nous serions occupés des autres articulations.

<< Dans la publication de cet exposé, on nous a parlé de dif férents cas, dans lesquels les mouvements des os qui entrent dans d'autres articulations sont produits par un effort mus-. culaire donnant naissance à des bruits. On nous a cité une personne qui fait entendre des coups avec la cheville, plusieurs autres avec les jointures des orteils et des doigts, une autre dont le mouvement de l'épaule s'entend fortement ; chez une autre encore, c'est celui de la jointure de la hanche. « La révélation de cette imposture ouvre un champ nouveau aux recherches physiologiques. Les bruits articulaires réclament en effet une investigation sérieuse.

«La conformation anatomique de la jointure du genou est évidemment très-favorable à la production de bruits forts par le déplacement. Les larges surfaces articulaires offrent un espace considérable au mouvement latéral, pourvu que les ligaments soient suffisamment détendus et que la force motrice soit convenablement appliquée. La petitesse relative du condyle extérieur du fémur favorise le déplacement à l'extérieur, et il surviendrait une véritable dislocation dans cette direction, sans les ligaments forts et nombreux qui rendent cette articulation la plus forte de notre corps. Ces ligaments protégent si bien cette jointure contre les accidents auxquels l'exposent sa position et ses relations, que les luxations de cette partie sont, par le fait, très-rares. Le déplacement qui occasionne les coups est suffisant pour déranger les os qui sé-parent les deux surfaces articulaires de l'extrémité supérieure du tibia, de sa situation dans le sillon qui sépare les condyles du fémur, et pour le porter plus ou moins sur la surface du condyle extérieur. Ce mouvement donne naissance au premier bruit, et le retour de l'os à sa place au second, qui, dans les coups de Rochester, suit généralement le premier de très-près. Nous ne pouvons expliquer entièrement le mécanisme précis par lequel s'effectue ce déplacement. La dame de notre ville qui reproduit les frappements fait glisser l'os en dehors

par un faible effort de sa volonté, et ni d'après ce qu'elle explique, ni même à la faveur de l'exploration manuelle, il n'est aisé de déterminer quels sont les muscles qui viennent porter sur la jointure. Dans ce cas, le déplacement survient quelquefois en pliant la jambe sans aucun effort tendant à le produire, mais alors il n'est généralement pas accompagné de beaucoup de bruit. L'os retourne à sa place, dès que cesse l'effort musculaire qui avait causé le déplacement. Pour que le déplacement cause du bruit, il faut qu'il soit opéré avec une certaine vitesse et une certaine force; cette dernière peut en quelque sorte être graduée à volonté. La dame en question ne peut aujourd'hui produire les coups que dans un seul genou; dans sa jeunesse, elle avait la même faculté dans les deux. D'après le nombre et le volume des sons produits par les frappeuses de Rochester, il est évident qu'elles peuvent faire entendre ces coups dans leurs deux genoux. Il serait à présumer que la fréquente répétition de ces déplacements doit, au bout de quelque temps, amener l'irritation et même quelque affection dans la jointure. Chez la dame à laquelle nous devons tant de renseignements utiles, ils sont suivis d'une certaine sensibilité; mais autrefois, quand elle avait l'habitude de les opérer tous les jours plus ou moins, elle ne ressentait aucune douleur, et les bruits étaient plus forts qu'à présent.

« Ce qui fait que certaines personnes, qui ont vu et entendu les frappeuses de Rochester, croient difficilement que les sons soient articulaires, c'est l'idée qu'elles ont que les coups viennent de différents endroits de la chambre, et à distance de celui où se trouvent les femmes. Cette difficulté tient à plusieurs circonstances qu'il est utile d'expliquer.

<«< D'abord, les bruits n'ont pas réellement lieu à distance : c'est une erreur provenant d'un manque d'appréciation des lois de l'acoustique. On ne peut ordinairement déterminer la direction d'où arrivent les sons, à moins que les autres sons ne prêtent leurs secours à l'oreille. On peut imiter des variations dans la distance supposée de la source, par de simples variations dans l'intensité du son, pourvu que la source véritable ne soit ni apparente ni sensible aux autres sens que l'ouïe. Sur ces principes est basée la science mensongère du ventriloque. En effet, celui-ci ne transmet sa voix ni en diverses directions ni à des distances différentes, comme on se · l'imagine communément; il en gradue simplement l'intensité de manière à la faire paraître plus ou moins éloignée;

en même temps, il dissimule toute manifestation extérieure sur la manière dont il produit le son; puis il sait adroitement assurer le succès de ses efforts, en dirigeant si bien, par sa conversation, l'attention de ses auditeurs vers des endroits particuliers, que, l'imagination aidant, on croit vraiment que la voix en arrive.

« Le genou étant recouvert par les vêtements, les légers mouvements qui produisent les coups se dissimulent aisément; pour cette raison, les femmes sont les meilleurs imposteurs de cette catégorie. »

Voilà plusieurs explications des coups mystérieux attribués aux esprits. Le lecteur pourra choisir entre elles celle qui lui paraîtra mériter la préférence. Nous avons exposé, en commençant, celle qui nous semble le plus satisfaisante. Elle consiste à attribuer ces bruits au médium lui-même, qui les produit à son insu, en frappant du pied le parquet ou la table, ou bien en exécutant, avec quelque partie de son corps, un de ces craquements que certaines personnes, par une conformation anatomique particulière, savent produire sans aucun mouvement visible à l'extérieur, et dont MM. Flint, Schiff, Jobert (de Lamballe), Velpeau et Cloquet ont cité différents cas. Le médium qui écrit les réponses des esprits, sous l'empire d'un demi-sommeil nerveux, peut aussi, sous l'influence du même état, produire le bruit dont il s'agit, sans en avoir conscience 1.

Si le bruit entendu est une parole humaine, on peut, avec M. Babinet et d'autres, l'attribuer à la ventriloquie. Cagliostro s'aidait fort habilement de ce moyen, sans le

1. On voit que nous admettons toujours ici la bonne foi du médium, et que nous écartons le cas de supercherie :

Je suppose qu'un moine est toujours charitable,

a dit le bon Lafontaine. Nous imitons le fabuliste; mais il y a bien des réserves à faire concernant l'innocence de ces opérateurs.

laisser soupçonner. Mais ici encore on doit bien s'assurer que les sons ont été réellement produits et ont frappé les oreilles de personnes étrangères aux expériences. S'ils n'ont été sensibles que pour les expérimentateurs ou pour des sujets chez lesquels l'hallucination peut être présumée, il n'y aurait là qu'une perception illusoire, mais sans fraude de la part de personne.

CHAPITRE XVIII.

Les professeurs de magie moderne.

M. Cahagnet.

[ocr errors]

M. Eliphas Lévi. Victor Hennequin. - Le docteur noir. Girard de Caudemberg. M. Henri Carion. M. le baron de Guldenstubbé et l'écriture directe des esprits. M. Allan Kardec et son livre des Esprits. M. Home. Résumé et conclusion.

Pour amener jusqu'au moment présent cette revue des prodiges qui ont fait suite aux tables tournantes, nous mentionnerons rapidement les écrits ou les œuvres de quelques magiciens émérites, nos contemporains.

Il convient de faire ici une certaine place à M. Cahagnet. Ce M. Cahagnet, ex-tourneur de chaises (c'est le titre qu'il prend, sans doute pour établir tout d'abord qu'il y avait déjà du tournoiement dans sa première profession), commence par disputer à M. le marquis de Mirville la priorité des manifestations révélatrices qui ont ouvert la voie aux prodiges américains. Ensuite il a, aussi bien que M. le baron Dupotet, son miroir magique, dont le secret lui aurait été révélé par Swedenborg lui-même. Ce miroir consiste en un morceau de glace sur lequel est appliquée, en manière de tain, une couche de mine de plomb.

« ՆախորդըՇարունակել »