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Quoi qu'il en soit de l'authenticité du texte qu'on vient de lire, il est certain que Cagliostro parlait de sa recette pour la régénération physique avec toute l'assurance d'un homme qui l'a plusieurs fois expérimentée sur luimême. Dans le Malade imaginaire, lorsque la jeune et espiègle servante d'Argant se fait présenter à son maître travestie en médecin, et que, voulant lui prouver par un exemple l'excellence du traitement qu'elle lui prescrit, elle n'hésite pas à se doter de quatre-vingt-dix ans, on est tenté de trouver le chiffre exagéré, même pour une charge comique. Cagliostro l'eût jugé trop timide pour le théâtre où il opérait il se donnait un âge fabuleux, infini, le lointain ténébreux dans lequel il cachait sa naissance ne permettant pas de le calculer. Parfois même, se lassant de n'être qu'immortel, il voulait faire croire à son éternité; et, usurpant les paroles de l'Évangile où Jésus-Christ s'exprime comme personne divine, il disait JE SUIS CELUI QUI EST, Ego sum qui sum.

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Quelquefois ce grand thaumaturge aimait à plaisanter sur son âge, et les excentricités qu'il se permettait sur cette question ne lui faisaient rien perdre de son crédit. On raconte que, parcourant un jour la galerie des tableaux du Louvre, il s'arrêta devant la magnifique Descente de croix de Jouvenet, et se prit à pleurer. Comme il n'était guère possible de mettre ses larmes sur le compte de l'émotion artistique, quelques personnes présentes s'enquirent avec intérêt de la cause de sa douleur.

« Hélas! répondit Cagliostro, je pleure la mort de ce grand moraliste, de cet homme si bon, d'un commerce infiniment agréable, et auquel j'ai dû de si doux moments. Nous avons dîné ensemble chez Ponce Pilate.

- De qui parlez-vous donc? interrompit M. de Richelieu stupéfait.

- De Jésus-Christ; je l'ai beaucoup connu. »

Cagliostro avait un valet, ou intendant, qui le secondait à merveille par son silence mystificateur, et qui, lorsqu'il se décidait à parler, était au moins de la force de son maître. A Strasbourg, M. d'Hannibal, seigneur allemand, le saisit un jour par l'oreille, et, d'un ton moitié goguenard, moitié furieux :

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Maraud, fit-il, tu vas me dire cette fois l'âge véritable de ton maître ! »

Notre homme de prendre alors une mine réfléchie et concentrée, et, un instant après, comme un vieillard qui vient de fouiller profondément dans sa mémoire:

« Écoutez-moi bien, monsieur, répondit-il; je ne saurais vous donner l'âge de M. le comte; cela m'est inconnu. Il a toujours été pour moi ce qu'il est pour vous, jeune, gaillard, buvant sec et dormant fort. Tout ce que je puis vous dire, c'est que je suis à son service depuis la décadence de la république romaine; car nous sommes tombés d'accord sur mon salaire précisément le jour où César périt assassiné dans le sénat. »

Les priviléges et dons précieux, offerts en appât aux futurs membres du cénacle des treize, étaient si séduisants, que le nombre des élus semblait trop restreint pour satisfaire à toutes les candidatures d'élite suscitées par le prospectus. Un des postulants les plus empressés, le duc de ***, csa faire à ce sujet des représentations au grand cophte.

Il y a tant de gens, lui dit-il, à qui il vous sera impossible de refuser un grade éminent, et qui ont des droits à l'obtenir! Comment n'admettrez-vous pas tel conseiller au parlement, qui magnétise comme un autre Mesmer, qui a combattu l'arrêt de la grand'chambre contre les novateurs physiciens? Comment refuserezvous le duc de Ch..., qui fait de l'or, des liqueurs et

des teintures stomachiques au moyen desquelles ce vieillard triomphe des atteintes de l'âge? Que répondrez-vous à Mme la comtesse de M..., qui, après avoir fait un cours complet de chimie chez Demachi, a établi chez elle un laboratoire où ses femmes, son cocher, son jardinier, son cuisinier et jusqu'à son marmiton, sont obligés de travailler? Et le président de V..., qui, sur les fleurs de lis de son siége, rêve d'alchimie, le repousserez-vous? Aurez-vous assez de pouvoir pour ne pas admettre au premier rang un grand prince, amiral, architecte, banquier, directeur de spectacle, grand joueur, arbitre de la mode, cité pour ses chevaux, pour ses fêtes et pour l'éducation philosophique qu'il a fait donner à ses enfants? Il vous sera impossible de refuser des gens ayant de pareils titres et une telle influence. Vous serez débordé. Augmentez, augmentez le cénacle.»

Cagliostro ne se rendait pas à ces raisons, et pourtant il en sentait toute la force. Pendant qu'il hésitait, qu'il ajournait, voulant, disait-il, se donner le temps de réfléchir, le temps amena un événement qui coupa court à toutes ses réflexions, et porta violemment l'intérêt du public sur un tout autre sujet. Paris n'eut pas son cénacle égyptien, mais la France eut un drame dans lequel Cagliostro dut accepter, malgré lui, un rôle qui le fit bien déchoir, car ce rôle fut celui d'un simple comparse. C'est qu'il se trouva, qu'en fait d'audace, tous les acteurs de ce drame étaient plus forts que lui.

CHAPITRE IV.

L'affaire du collier.

Par esprit de subordination conjugale, ou par une politique concertée entre elle et son époux, Lorenza Feliciani semblait mettre toute sa gloire à s'effacer devant lui. Pour faire adorer de la foule l'homme divin auquel elle s'était unie, Lorenza l'adorait elle-mêine, et plus humblement que personne. Elle se tenait à une respectueuse distance de sa face olympienne, trop heureuse si, parfois, un rayon perdu de ce front lumineux venait percer l'ombre où elle se tenait cachée. A Strasbourg, on l'a vue s'occuper de débarbouiller et de vêtir les colombes qui servaient aux opérations du grand cophte. C'est dans des soins aussi vulgaires que se renfermait habituellement son assistance à l'œuvre merveilleuse de son mari. Dans cette maison de la rue Saint-Claude, où celui-ci recevait son monde, et accordait ses consultations au milieu d'un somptueux appartement, Lorenza s'était arrangé une existence retirée, et, en quelque sorte, claustrale. Elle n'était visible qu'à certaines heures, et pour certaines personnes choisies, devant lesquelles elle affectait néanmoins de se produire toujours sous des costumes prestigieux.

Tel avait été depuis longtemps le train de vie ordinaire de Lorenza, à Paris. Mais, après ce maître coup de filet par lequel elle avait rapporté au ménage trentesix souscriptions à cent louis chacune, c'est-à-dire le beau denier sonnant de 86 400 livres, il aurait été contraire aux lois d'une bonne économie domestique de ne pas laisser un peu plus de champ à l'exercice des puissantes

facultés attractives dont elle était douée. Ce changement devait être la conséquence nécessaire de la grande scène où Lorenza s'était manifestée avec tant d'avantages. Après les fantasmagories de la rue Verte, et le souper qui avait suivi la séance de magie blanche, la Grande maîtresse était donc entrée dans ce courant de célébrité et de gloire qui, jusque-là, n'avait porté que le nom de Cagliostro. Sa beauté faisait l'entretien de la cour et de la ville, et c'étaient trente-six femmes, belles ellesmêmes, haut placées dans le monde, qui se chargeaient de la préconiser. Devenue, grâce à ces dignes protectrices, l'objet d'une curiosité universelle, Lorenza Feliciani vit bientôt son entourage s'augmenter, et elle ne sut pas toujours faire un choix réfléchi parmi tant de nouvelles amies auxquelles elle était exposée. A la suite des femmes, quelques hommes se glissèrent chez elle, et il s'en trouva qui osèrent lui parler d'amour.

Ici la chronique est un peu confuse. Il est presque avéré que, parmi ces soupirants, elle en distingua un, jeune et beau, qu'on nommai! le chevalier d'Oisemont. Mais à quel degré s'arrêta ou ne s'arrêta point cette préférence, c'est ce que la chronique, aidée par les plus méchantes langues, n'a pu suffisamment déterminer; incertitude profondément regrettable dans une matière où la précision fait tout. On parle cependant d'apparences tellement significatives, que Cagliostro, pour la première fois de sa vie, aurait été jaloux; mais nous, qui en savons sur son caractère beaucoup plus que nos lecteurs ne peuvent encore en savoir, nous accordons tout au plus qu'il feignit de l'être. La même chronique veut, d'ailleurs, qu'il s'absente de Paris en ce temps-là même, ce qui ne peut se concilier avec sa jalousie.

Quoi qu'il en soit, ce serait pendant cette absence de Ca

« ՆախորդըՇարունակել »