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de la personne couvrait l'orifice de la boîte, le dos tourné vers le mur. Nous avions pris des renseignements sur le local de la chambre et sur celle qui était contiguë. D'après ces précautions, mon ami, persuadé de la vérité du prodige, sans pouvoir l'expliquer, forma le projet d'acheter le miroir, à quelque prix que ce fut, si le juif voulait répéter l'expérience dans un appartement de son hôtel. Il y consentit. L'expérience fut faite. Elle réussit aussi bien que la première. Il lui demanda le prix de ce miroir, qui ne valait pas plus de trente sous intrinsèquement. Le juif fit beaucoup de difficultés, disant que c'était un trésor pour lui, qui pouvait lui produire beaucoup. Enfin, après bien des débats, on convint à six mille livres, qui furent données après qu'on y eut vu encore une fois une autre personne. Notre premier soin fut de chercher des enfants nés sous la constellation désignée. Après bien des recherches, nous en trouvâmes un qui fut soumis à l'expérience, et qui voyait certains objets dans des instants, et qui ne voyait rien dans d'autres.

« Nous apprîmes, quelque temps après, que le juif continuait à recevoir du monde chez lui, et qu'il avait un second miroir. Nous fimes des recherches : le résultat de nos informations fut qu'il en avait procuré à plusieurs seigneurs à des prix plus ou moins hauts, suivant l'envie qu'ils avaient témoignée d'en avoir, et qu'il en avait déjà vendu pour quarante mille livres. Cette découverte me déconcerta et me fit soupçonner quelque supercherie. Je vis la plupart des personnes qui en étaient pourvues, qui assuraient avoir vu dans certains temps, et n'avoir rien vu dans d'autres. Elles étaient toutes de bonne foi. Ce juif en avait vendu à douze cents livres. Je fus le voir dans l'intention de lui faire des reproches sur ce qu'il nous avait assuré que ce miroir était unique. Il s'excusa en disant qu'à force de travail et d'expériences, il était parvenu à en faire de semblables, et qui produisaient le même effet. Je trouvai chez lui beaucoup de gens qui non-seulement voyaient, disaient-ils, les personnes qu'ils avaient demandées, qu'elles fussent vivantes ou mortes, éloignées ou non; mais qui entendaient les réponses aux demandes qu'ils leur faisaient, sans que personne se doutât de la conversation.

<< Tous ces gens me parurent suspects. J'y fis connaissance avec une femme qui m'avoua enfin que tout ce manége n'était qu'artificiel, et qu'elle ne voyait et n'entendait rien. Cette découverte me convainquit que ce juif n'était qu'un fourbe.

Mais je ne pouvais expliquer l'illusion de mon ami, dont la bonne foi et la franchise m'étaient connues. Voici de quelle manière je m'y pris pour découvrir la vérité je fis faire un miroir parfaitement semblable au sien. Pour qu'ils fussent plus ressemblants, on l'exposa à la fumée pendant quelque temps. Ces deux pièces se ressemblaient si fort que je m'y trompais moi-même. Je fis faire l'essai avec le nouveau miroir par plusieurs personnes, qui virent de même que dans l'ancien. Mon ami en fut aussi la dupe. Convaincu par cette expérience que ce prétendu prodige n'était qu'une illusion, à laquelle un désir ardent de voir ce qu'on souhaitait donnait tout son effet, je fis part de ma découverte à mon ami, qui eut peine à revenir de son erreur. L'amour-propre blessé, le regret d'avoir donné son argent, et d'avoir perdu un bien qu'il croyait posséder seul, le tinrent longtemps en suspens. Enfin, il fut obligé de se rendre à la vérité. L'enthousiasme cessa, la tête se remit, et, avec la meilleure volonté, mon ami ne put plus rien voir ni dans l'un, ni dans l'autre miroir. Plusieurs personnes dans le même cas que lui, apprenant notre aventure, furent indignées, et leur illusion ayant cessé, elles ne virent plus rien dans leur miroir. Parmi celles-ci, il s'en trouva qui furent se plaindre à M. de Sartines, alors lieutenant de police, qui fit mettre les compères du juif à Bicêtre, et fit bannir celui-ci de France. >>

Un peu de tolérance de la part de M. de Sartines, et tous ces miroirs allaient s'obscurcir d'eux-mêmes par respect pour un miroir plus éclatant, celui du fameux Cagliostro, déjà tout près de faire son entrée en France.

Comme ce personnage apparut sur la scène dans le temps même où elle était occupée par Mesmer, on a voulu faire de l'un le rival de l'autre, et l'on a prétendu que tous deux puisaient leurs prestiges à la même source. Cagliostro, moins restreintj'dans les applications qu'il savait faire de l'agent commun, plus encyclopédique que Mesmer, aurait, en quelque sorte, généralisé le magnétisme. Au fait, Cagliostro guérissait aussi bien que Mesmer, quoiqu'il fût sans titre et sans autre mission que celle qu'il s'était donnée; mais il guérissait

sans passes, sans baguettes de fer, sans manipulations, sans baquet, et tout simplement en touchant, ce qui le rapprochait plus de Gassner et de Greatrakes que de Mesmer. Autre différence: Cagliostro n'exploitait point ses malades, au contraire. Dans toutes les villes où il devait passer, de confortables cliniques étaient préparées par ses agents et à ses frais, et là, tous ceux qui venaient lui demander leur guérison, la recevaient de sa main, avec des secours pour leurs besoins et même pour ceux de leurs familles. Cagliostro était prodigue, et il le prouvait par les larges aumônes qu'il semait sur son passage. Du reste, profondément muet sur l'origine de sa fortune, il gardait le même silence sur la nature de son agent, et ne livrait rien à discuter aux savants, aux médecins ni aux académies. Il procédait avec audace, agissait d'autorité, et produisait partout un étonnement qui fit, sans aucun doute, une bonne part de son succès. Le roi Louis XVI, qui se moquait de Mesmer, déclarait coupable de lèse-majesté quiconque ferait injure à Cagliostro. Ce sublime charlatan n'eut donc pas, à ce titre, de démêlé avec M. de Sartines et ses successeurs.

Mais les cures médicales de Cagliostro n'étaient qu'un hors-d'œuvre dans sa carrière de magnétiseur universel, ou tout au plus un moyen calculé pour se mettre en crédit parmi la foule. Sa belle stature et sa haute mine, relevées par un costume de la plus bizarre magnificence, sa nombreuse suite et le grand train qu'il menait dans ses voyages, attiraient naturellement sur lui tous les yeux, et disposaient les esprits vulgaires à une admiration idolâtre. Sa plus grande force était dans la fascination puissante qu'il exerçait sur tout ce qui approchait de lui. On lui prêtait toutes sortes de sciences et de facultés merveilleuses. Voici sous quels traits le

peignait un contemporain qui assurait l'avoir connu particulièrement :

<< Docteur initié dans l'art cabalistique, dans cette partie de l'art qui fait commercer avec les peuples élémentaires, avec les morts et les absents; il est Rose-Croix, il possède toutes les sciences humaines, il est expert dans la transmutation des métaux, et principalement du métal de l'or; c'est un sylphe bienfaisant, qui traite les pauvres pour rien, vend pour quelque chose l'immortalité aux riches, renferme, par ses courses vagabondes, les espaces immenses des lieux dans le court espace des heures1. »

Si, à quelques-unes de ces qualités, les alchimistes de l'époque devaient reconnaître un successeur ou un adepte du sublime souffleur Lascaris, il en est d'autres auxquelles les médiums actuels de l'Amérique et de l'Europe pourraient reconnaître leur prédécesseur et même leur maître. Nous verrons, en effet, que Cagliostro a produit, sans l'emploi des tables, les plus étonnants miracles qui aient été admirés de nos jours. dans les médiums et leur entourage.

Bordes, dans ses Lettres sur la Suisse, qualifie Cagliostro d'homme admirable. « Sa figure, dit-il, annonce l'esprit, décèle le génie; ses yeux de feu lisent au fond des âmes. Il sait presque toutes les langues de l'Europe et de l'Asie; son éloquence étonne, entraîne, même dans celles qu'il parle le moins bien. »

La Gazette de santé complétait la peinture de ce personnage par quelques traits plus vulgaires, mais plus caractéristiques:

<< M. le comte de Cagliostro est possesseur, dit-on, des secrets merveilleux d'un fameux adepte qui a trouvé l'Élixir de vie.... M. le comte est peint en habit oriental. Son portrait

1. Tableau mouvant de Paris, t. II, p. 307.

se voit toujours à Médine, chez le Grand Seigneur; il ne se couche jamais que dans un fauteuil; il ne fait qu'un repas avec des macaronis. Il apporte la véritable médecine et chimie égyptienne, et propose cinquante mille écus pour fonder un hôpital égyptien. Il ne communique point avec les gens de l'art; mais, pour se distinguer d'eux, il guérit gratuitement. On nomme M. le chevalier de I...., qui se dit ressuscité par lui. Son remède est, dit-on, le même qu'appliquait, il y a quelques années, un fameux opérateur qui avait des montres pour boutons, à l'instar de la femme d'un autre qui portait des montres à carillon dans des pendants d'oreilles. Obligé de quitter la Russie par la jalousie du premier médecin de l'impératrice, M. le comte de Cagliostro lui proposa un singulier duel; c'était de composer, chacun de son côté, quatre pilules avec le poison le plus violent possible. « Je prendrai les vôtres, dit-il au docteur russe, j'avalerai par-dessus une goutte de mon élixir, et je me guérirai; vous prendrez les miennes, et guérissezvous si vous le pouvez. » Un cartel si raisonnable ne fut point accepté. »

Cagliostro venait, en effet, de Russie, lorsqu'il arriva en France. On raconte que, pendant son séjour à SaintPétersbourg, il souffrit, et même protégea les assiduités du ministre Potemkin auprès de sa femme Lorenza, ou Seraphina, car elle est connue sous ces deux noms. Potemkin avait donné une somme considérable pour acheter le silence de Cagliostro. Mais la czarine Catherine II, ayant eu vent de cette intrigue, donna une somme plus forte, et obtint l'éloignement de sa rivale.

Par prudence ou par discrétion, Cagliostro ne se rendit pas d'abord à Paris, qui, à cette époque (1780), appartenait tout entier à Mesmer. Tout au plus, y vint-il une ou deux fois incognito pendant les quatre premières années de son séjour en France. Ce fut Strasbourg qu'il choisit pour sa résidence. Cette ville, principal théâtre de ses opérations, est la même où, deux ou trois ans plus tard, on verra se former, par les soins et les leçons du comte

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