Page images
PDF
EPUB

Il s'était fait accompagner du baron de Planta, un gentilhomme de sa maison, qui attendit à une assez grande distance le retour de monseigneur.

<< La nuit était limpide, éclairée par un faible clair de lune; mais le bosquet désigné était assez sombre. Mme de La Motte, portant un domino brun, vint touver M. de Rohan, et le prévint de l'arrivée de la reine. En effet, quelqu'un la suivait. Au frôlement d'une robe de soie, le prince, dont l'émotion était extrême, faillit se trouver mal. Mais, à la vue d'une femme, qui était la ressemblance vivante de la reine, il se ranima, et, ne doutant pas qu'il ne fût en présence de Marie-Antoinette, il salua profondément et baisa une main charmante qu'on lui abandonna. Au pâle rayon de la lune, monseigneur reconnut le profil de la reine, dont le costume, du reste, était d'une imitation parfaite; c'était un de ces élégants négligés que Marie-Antoinette portait à Trianon. M. de Rohan commença en balbutiant un peu sa propre justification; il allait expliquer toute sa conduite et parler de l'exaltation de ses sentiments, lorsque la fausse reine l'interrompit et lui dit à demi-voix, mais avec précipitation :

« Je n'ai qu'un moment à vous donner; je suis contente de vous; je vais bientôt vous élever à la plus haute faveur. >>

Alors un bruit de pas se fit entendre près du bosquet. La prétendue reine en parut effrayée; elle remit une rose à M. de Rohan, et lui dit tout bas : « Voilà Mme la comtesse d'Artois « qui me cherche, il faut s'éloigner. »

« Le premier quitta le bosquet à l'instant même et du côté opposé. Il rejoignit le baron de Planta et Mme de La Motte, et leur fit part, avec une vive expression de chagrin, du contretemps survenu. Il ne se doutait de rien. Les bruits de pas qu'il avait entendus avaient été produits par un compère qui servait l'intrigue arrangée par Mme de La Motte. Quant à Mlle d'Oliva, elle disparut aussi 1. »

Tous les acteurs avaient bien joué leurs rôles dans cette scène, trop courte pour le bonheur du cardinal. Ce fut là le tourment de sa nuit; mais le lendemain un doux réveil l'attendait. Comment aurait-il douté des sym

1. Jules de Saint-Félix, Aventures de Cagliostro, in-18, 1855, p. 131-133.

pathies de sa royale amante, quand, le matin, Mme de La Motte lui apporta un nouveau billet, dans lequel MarieAntoinette exprimait elle-même ses regrets de la fâcheuse interruption de la veille.

Dans son ivresse, le cardinal avait perdu de vue l'affaire la plus prosaïque, mais la plus importante. Le terme du payement des trois cent mille francs était expiré, et Saint-James, on ne sait pour quelle raison, n'avait pas encore donné son argent. Pressé par des engagements auxquels il ne pouvait faire face, le joaillier ne savait où donner de la tête. Dans son désespoir, il pensa naturellement que la personne qui devait prendre le plus d'intérêt à sa situation, serait la reine elle-même. Deux jours après la scène nocturne du bosquet de Trianon, il fut, par hasard, mandé au château d'après un ordre du roi, et ayant trouvé l'occasion de voir MarieAntoinette en personne pour lui remettre une petite parure, il lui remit en même temps un placet, qui contenait ces deux lignes « Je félicite Votre Majesté de posséder les plus beaux diamants connus en Europe, et je la supplie de ne pas m'oublier. »

:

Boehmer s'était retiré quand la reine jeta les yeux sur ce papier. L'ayant lu à haute voix, elle le jeta au feu en disant : « Il est fou. >>

Toutefois, revenant sur ces lignes qui l'avaient extrêmement surprise, elle sentit le besoin d'une explication, et donna ordre à sa première femme de chambre, Mme Campan, d'aller la demander au joaillier. C'était tout ce que voulait le pauvre homme. Il ne se fit donc nullement prier pour raconter avec détail toute son histoire. << Monsieur Boehmer, s'écria Mme Campan à ce récit, on vous a volé vos diamants. La reine ignore tout. » Il est facile de se représenter l'indignation de Marie

Antoinette, lorsque toute cette intrigue lui fut dévoilée. Elle invoqua l'autorité du roi, qui lui engagea sa parole que prompte justice serait faite des coupables.

Le biographe que nous avons déjà cité raconte ainsi la fin de ce drame et le commencement de la procédure dans laquelle Cagliostro se trouva enveloppé.

« Le jour de l'Assomption, le prince, grand aumônier, fut mandé dans le cabinet du roi. Le cardinal était vêtu, non pas de ses ornements pontificaux, comme l'ont dit certains historiens, et surtout certains romanciers, mais de son habit de cérémonie. La reine était présente, assise près de la table du conseil. Louis XVI adressa brusquement la parole à M. de Rohan. Ce fut un véritable interrogatoire. Le prince atterré répondit en balbutiant. Marie-Antoinette, pâle de colère, gardait le silence, sans même jeter les yeux sur le cardinal. Cependant celui-ci, recourant à un moyen extrême de justification, sortit de sa poche une lettre qu'il disait être de la reine et adressée à Mme de La Motte. Marie-Antoinette fit un mouvement nerveux. Son geste était indigné, ses yeux étincelaient. Le roi prit la lettre, il la parcourut, et la rendant au cardinal : « Monsieur, dit-il, ce n'est ni l'écriture de la reine, ni sa si«gnature. Comment un prince de la maison de Rohan, com<< ment le grand aumônier de la couronne a-t-il pu croire que la << reine signait Marie-Antoinette de France? Personne n'ignore << que les reines ne signent que leur nom de baptême. « Le cardinal resta muet.

<< Mais expliquez-moi donc toute cette énigme,» dit le roi avec une extrême impatience.

« Le cardinal s'appuyait contre la table; il pâlissait, et ne put répondre que ces paroles :

«Sire, je suis trop troublé pour m'expliquer devant Votre « Majesté. »

« Le roi reprit avec plus de bienveillance:

<< Remettez-vous, monsieur le cardinal. Passez dans la pièce « voisine, vous y trouverez ce qu'il faut pour écrire. Je désire < ne pas vous trouver coupable. »

« M. de Rohan se retira. Un quart d'heure après il remit au roi un papier où se trouvaient tracées quelques lignes qui, loin de donner des explications claires, jetaient encore plus de confusion dans cette malheureuse affaire.

<< Retirez-vous, monsieur, » dit le roi d'une voix indignée. « Le cardinal reprit le chemin de la galerie. Comme il traversait la salle des gardes, il vit le baron de Breteuil qui l'attendait. Il comprit tout. En effet, M. de Breteuil fit un signe, et M. de Rohan fut arrêté par les gardes du corps. On le conduisit dans son appartement, à la grande aumônerie, située dans un corps du logis du château royal. Là, il trouva le moyen d'écrire à la hâte un billet au crayon destiné à l'abbé Georget, son grand vicaire. L'heiduque du cardinal, coureur aussi rusé que leste, ramassa le billet que son maître lui jeta à la dérobée, et s'élança sur la route de Paris. L'abbé Georget, qui logeait à l'hôtel de Rohan, reçut le message, et brûla en toute hâte des papiers importants.

« Le lendemain, M. de Rohan était transféré à la Bastille. Le lieutenant de police avait reçu des ordres, et, dans la même journée, la dame de La Motte fut incarcérée. On chercha d'abord inutilement Villette et le sieur de La Motte. Ils étaient cachés, mais on finit par se saisir de Villette, et on l'écroua. La Motte se sauva en Angleterre. Restait Cagliostro, qui, tout sorcier qu'il était, ne se doutait de rien au fond de son laboratoire, rue Saint-Claude.

« Le soir même de l'arrestation du cardinal, des agents de la maréchaussée pénétrèrent dans le mystérieux logis de l'alchimiste, malgré le concierge et les gens de la maison. Un officier, l'épée au poing et suivi de ses gendarmes, se présenta tout à coup sur le seuil de la porte de la salle où Cagliostro faisait de la chimie. Le hardi aventurier paya d'audace, et se mit, dit-on, sur la défensive, armé d'une tige de fer.

<< Monsieur, dit l'officier, c'est par ordre du roi. J'ai avec << moi dix hommes bien armés et qui se moquent des sorciers. << Suivez-moi. >>

« La partie n'était pas égale, et toutes les incantations de la magie noire ou blanche se fondaient comme une vapeur devant un ordre si nettement formulé.

« Cagliostro suivit l'officier. Un fiacre attendait dans la cour. Il y monta, et, escorté de quatre cavaliers, il fut dirigé sur la Bastille, où il fut écroué. C'était à deux pas de la rue Saint-Claude, donnant sur le boulevard du Temple.

« Que devint Lorenza? On dit qu'effarée comme une colombe échappée à un lacet, elle s'enfuit à tire-d'aile et se réfugia en Italie, à Rome, dans sa famille. C'est ce qu'elle aurait dû faire plus tôt, la pauvre femme ! »

Tous les accusés furent renvoyés devant la grand'chambre du parlement.

CHAPITRE V.

Aventures et exploits de Cagliostro avant son arrivée à Strasbourg.

Puisque la justice met un temps d'arrêt dans la carrière de notre héros, nous profiterons de cette pause pour jeter un coup d'œil rétrospectif sur quelques-uns de ses exploits antérieurs à l'époque où nous l'avons vu paraître en France, et aussi pour répandre un peu de lumière sur le point de départ de cet homme extraordinaire, qui a voyagé presque autant que le Juif-Errant, et qui certainement a dépensé beaucoup plus que lui.

En cela nous suivrons une marche tracée par Cagliostro lui-même, qui, en rédigeant un mémoire pour sa justification pendant sa captivité à la Bastille, employa ses loisirs forcés à se fabriquer une origine mystérieusement glorieuse, que nous discuterons, du reste, et des antécédents qui, pour être vrais, n'auront souvent besoin que d'être complétés.

Enfin, et ce ne sera pas là le moindre intérêt de cette course en arrière à la suite de Cagliostro, nous aurons occasion de rencontrer sur notre chemin un autre homme extraordinaire, qui l'avait précédé de quelques années dans le même genre de célébrité, le fameux comte de Saint-Germain, à qui nous n'avons pas pu, dans cet ouvrage, consacrer un chapitre à part, l'histoire ni la tradition ne fournissant rien d'assez précis sur les

« ՆախորդըՇարունակել »